mardi 13 avril 2010

85. Temps 1. Paul.

Nous parlions boutique.

En **** c'était la technocratie à la manœuvre. Il n'était pas sans talent, et ses qualités se résumaient en une ligne : rien ne pouvait arriver pendant son mandat. C'était un mandat de transition, entendons par là que de grandes réformes pouvaient avoir lieu (elles avaient lieu), mais que rien ne détonnerait. Rien n'éclaterait ni ne détonnerait pour une raison fort simple : rien n'intéressait. Tout ce qui n'appartenait pas à la grisaille y versait immédiatement. Il entreprenait, ne recueillait aucun fruit, avait le bon goût de ne susciter aucun scandale. Ce furent trois ans utiles pour la France, puisque n'aspirant à rien, il faisait. Dans l'ombre, certains fourbissaient partis et programmes. Préparaient les grandes manœuvres. Mais rien n'avait lieu, et c'est parce que personne ne se satisfaisait sans toutefois critiquer qu'il put entreprendre.

Il était un meilleur président que Julien. Il lui ressemblait beaucoup : grande intelligence, rare enthousiasme pour le pouvoir, compétence, charisme inévident, second et peut-être troisième couteau dont la gloire ne tenait qu'aux circonstances et aux calculs (disons que pour chaque gloire, jouent les circonstances, mais que pour eux, elles jouèrent et décidèrent seules, sans que la trouvaille du destin - un bon mot, une idée que chacun s'arracherait, un geste courageux - n'y eut part), simplicité de mœurs, sérieux, goût sûr dont la principale manifestation était la discrétion.

Ce qui sépare la réussite (de second ordre, mais peu contestable) du désastre : Paul n'aimait pas le pouvoir. Il compensait les désagréments par son goût des dorures, des boiseries, des dîners, des chauffeurs, des amitiés. C'était un de ces bourgeois secrets qui mènent le monde. Il renonçait le moins possible à la discrétion. Un surcroît de bourgeoisie était son dédommagement. Il appartenait aux élites dont l'absence (pas de photos) est la marque sûre de la puissance. Un nom parfois cité que personne ne connaît, une famille, des propriétés. On l'envoya chercher. Il démissionna trois ans plus tard, ne fit rien que d'utile.

Julien appartenait certes à la bourgeoisie (plus petite, et provinciale, quand l'autre était mondiale). Ce fut une grande joie d'accéder au pouvoir. Il souffrait que l'on soit tout au monarque - à lui. Ce qui était agacement, lassitude et négociations chez Paul était les souffrances ou le bonheur de Julien.

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