lundi 3 mai 2010

87. Mathesis générale (suite).

Nous occupons notre temps à revivre, à réinterpréter ce que nous avons voulu et fait afin de faire coïncider ces faits et ces pensées avec un mystérieux projet, un projet bon, qui nous permet de trouver grâce à nos propres yeux. Ce projet, nous ne savons qui le secréta. Les événements nous l'ont imposé, et bien sûr, nous ne pouvons que l'adopter, quitte à nous justifier, à intégrer dans ce projet ce qui vient de bien d'autres projets, pareillement imposés (ou imposés par le hasard) ne relevant pas du choix, pareillement causes de réinterprétations qui rendent notre vie cohérente, belle et bonne, simple aussi, lumineuse : déjà parée pour la pesée des cœurs. Ainsi, les échecs sont de bonnes choses, in fine, les cercles et flammes de la mathesis générale, tournent et s'emboîtent, harmonieux, tournent et voient voleter, autour du mandala que nous nous épuisons à tracer, dieux et démons (nos laides et belles actions), que nous ne pourrions supporter s'ils n'apparaissaient pas sous cette forme, bien ou mal que la dérision n'entame pas, beaux et grands, dans le bien ou dans le mal (et tournent les mondes du mandala).

Julien acceptait que sa vie fût désordonné. C'est une qualité rare. Il avait d'abord accepté d'avoir fait le mal. Il prenait le mal sur lui : il l'avait bu. Il avait tenté bien des choses : trouver une excuse, impliquer le hasard, dire qu'un bien venait toujours d'un mal, parler inexpérience, bonne volonté, orgueil. Il s'était vu cynique, martyr, il s'était scruté et avait failli se contempler. Il se serait dès lors oublié : aurait publié un volume, aurait peut-être fait carrière. Tout se justifie toujours. Il ne s'était pas scruté lui, mais son démon intime, sa forme personnelle du mal (il ne s'était pas demandé si d'autres formes existaient) : d'abord le mélange de sottise, d'imprévoyance, de désinvolture qui pousse à soutenir que c'est la seule chose à faire, qui mène au mal ; ensuite, le désir de voir autre chose dans le mal que ce qu'il est : lui donner des excuses, dire l'avoir désiré, et le présenter comme un projet. Julien avait considéré sa vie de manière dérisoire : il savait qu'il n'était pas quelqu'un de bon (s'en désespérait), il savait qu'il était insignifiant, en somme, il refusait d'être autre chose que minable. Il n'avait pas été le chevalier qui se lave de fautes. Ce n'était pas même délibéré.

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