dimanche 12 décembre 2010

230. Marin.

On a beaucoup évoqué sa « complexité ». C'était souvent d'habiles commentateurs, sans doute des dialecticiens, et des amis, qui l'avaient approché, et plus que tout, l'avaient éprouvé. Il y avait, selon eux, le tacticien, le compagnon fidèle, celui qui aimait la France et celui que l'argent fascinait.

Julien, qui le combattit, y voit moins de détours, et moins de couches à celui qui, plus facilement qu'un oignon, se dévoile. Pour les êtres, les vérités définitives existent-elles ? Peut-on se saisir en quelques phrases ?

Marin, comme tant d'autres, était tout entier conduit par son désir de pouvoir. Ses réseaux et ses amis couvraient toute la terre. Il les sollicitait souvent, afin d'avoir un pouvoir accru, plus étendu par toute la terre. Qu'en faisait-il ? Peu de choses, sinon augmenter encore ce qui était de l'emprise et de l'étendue. Dévorer sans être rassasié accumuler sans fin, porter sa main de marquis sur le monde, et le scruter, et ne pas jouir de sa contemplation, ni même cesser de le convoiter et de, plus encore, l'accaparer. Marin était seul, profondément, et saisir entre le pouce et l'index le monde le désennuyait quelque peu, lui permettait de ne pas scruter le vide. Il n'était pas complexe. Il était un néant qui tentait, désespéré, de posséder, et plus que tout, d'être. Il était le vide. Il aspirait. Tout serait à lui, il ne serait rien. Il avait lui même tenté de se convaincre, en même temps qu'il séduisait les électeurs, qu'il se proposait un être et un destin, une série de valeurs et de projets. Il changeait de discours, non d'avis. L'homme public ne désavouait ni n'adhérait à ce que proposait le candidat. Il assistait. Il était au spectacle. Il se jugeait séduisant en défenseur des valeurs familiales, en promoteur d'un libéralisme à la française, en défenseur d'un modèle social menacé. Il l'oubliait et, d'un cynisme éprouvé, ou absolument désespéré, ce qui revenait au même, il assistait à un changement qui concernait moins son être que ses périodes et ses discours. Il passait.

229. JQ.

Voici Julien Queuille. Ce que nous voyons de séduisant, d'enjoué, de sérieux, d'appliqué même, ce qui reste de l'ancien écolier et de l'ancien étudiant, du militant, ce que nous devinons d'éprouvé, d'usé par le pouvoir et, plus que tout, par sa propre faiblesse, par la certitude que ce qu'il a d'enjoué, de sérieux et de puissant ne peut qu'échouer, tout est là. Les habits (la veste et la chemise et la cravate) détonnent un peu, par leurs couleurs et leurs matières. Les yeux se sont allumés. Il ne sait pas pour quoi. Il se souvient cependant que cette énergie disponible, son tempérament qui ne verse pas dans la mélancolie, son enjouement et son sérieux, l'esprit d'enfance qui toujours l'anime, lui seront inutiles. C'est la même photographie qu'à l'instant. Le sourire est plus triste. Un pan de visage s'est déformé, semble inquiet et le sourire qui le relève effraie. La barbe n'a pas été rasée depuis deux jours. Il commence à perdre ses cheveux.

228. Marin-du-Néant.

C'est un prince. On aimerait voir un prince du mal. Seuls son visage et sa main sont visibles. Un manteau noir, dont on ne distingue ni les boutons ni le col, ni même les manches couvre tout, est une grande tache noire, qui s'étend aux autres manteaux, au ciel aussi, confond le ciel et les hommes, est une mare noire dont sortent des pointes d'argent, des ganses et des visages. Il y a des képis plus loin. Les généraux, l'armée entoure le prince. Il est faible sans doute, et le regard reste volontaire. L'on sent la puissance dans la main qui reste le long du corps, qui tient toujours, qui sort d'une longue tache noire, et appelle le monde à rejoindre la tache et la puissance. Une cour est en sortie, et parade, comme le prince et comme le mal paradent, s'étendent aux blanches montagnes, qui déjà aspirent à la nuit, et au long manteau dont ne sort rien, sinon de vieilles mains, des bâtons de maréchaux, les forces qui couvent, le quitteront et iront sur le monde. Sa bienveillance ne semble pas entamée, ni son sourire de qui dispose de toutes les forces de la nation.

C'est Marin. Fort et vide. On sait qu'il existe, et sa main et son visage l'attestent, et son immense intelligence, la certitude d'avoir un monde entre l'index et le pouce, l'équilibre entre la préservation et la destruction de ce monde, en lui, l'immense lassitude d'être, la fatigue d'avoir à choisir, la certitude de n'avoir rien à entreprendre, et, ce qui l'emportera, le vague à l'âme, la paresse même, et le monde sera sauvé. Rien ne sortira de la tache noire qu'une main et qu'un visage. Marin promènera son sourire usé sur le monde. Il donnera encore, à Julien, le désir plus grand que tout de pleurer. Puissance, savoir, tache qui appelle à elle les forces qui sont et qui appellent la menace... Prince du néant.

dimanche 5 décembre 2010

227. Wikileaks.

Voilà, le pot-aux-roses est dévoilé. Nous saurons bientôt ce qu'ont dit et fait les grands. Nous connaîtrons les désirs et les mobiles secrets. Quelques princes œuvrent et décident de tout. Ils sont bientôt nus.

Nous lisons ce qui menace le monde et qu'on a caché au monde entier. Nous n'apprenons rien. Ce que nous pensions, ils le pensaient aussi, ils l'écrivaient. Cet homme est faible, cet homme est fou. Et nous sommes déçus. Nous devrions ajouter la lucidité à la déception. Rien n'a été dévoilé parce qu'il n'y a pas de secrets, ou du moins, que ces secrets sont des nombres, des positions sur des cartes.

Nous sommes d'autant plus méfiants. On nous trompe de manière plus sournoise encore. Ces révélations de seconde-main nous laissent présager des secrets plus enfouis, plus anciens et terribles. Nous mesurons ce qu'on nous cache à l'aune de ce qu'on nous a montré. Cherchons plus avant. Cherchons les lignes entre les lignes, les plans derrière les plans. Nous voici dans un bureau, et qui n'est qu'une antichambre. Cherchons la chambre secrète. Nous la trouverons et serons encore déçu. Nous aurons d'autres rideaux à soulever, d'autres bibliothèques à faire pivoter.

226. Voici la mort

Voici la mort.

Elle ne vient pas d'une balle manquée. Ce n'est pas plus le cancer des princes qui, après avoir touché la prostate, s'étend à l'estomac, aux poumons, plus avant dans les tissus et nous corrompt moins qu'il ne nous remplace. Nous le savons : notre mort viendra presque trop tard et nous y aurons déjà pensé, nous l'aurons attendue, préparée sans doute. Nous saurons, nous savons déjà, à quoi penser, quel souvenir, quel geste, quelle prière, que dire, quel dernier vers dire et répéter. Nous ne mourrons pas dans notre sommeil. Nous aurons déjà renoncé au pouvoir et à l'amour. Notre vie nous sera apparue de nombreuses fois, et nous n'aurons, pas plus que dans la vie qui vient de passer, réussi à lui donner une cohérence, à trouver deux phrases qui coïncideraient avec ce que nous estimons être nous à dire « voilà ce que je suis ». Nous sommes déjà résignés. Ce qui s'insinue en nous est moins terrible qu'un poison, pourtant. C'est le sentiment de ce que nous avons échoué, de ce que nous avons réussi et qui, désormais, n'est pas même un souvenir. Ce que nous aurions dû faire, et la certitude que l'ayant fait, nous n'aurions été meilleurs ou plus heureux.

Nous ne mourrons pas glorieux. Rien ne relèvera du sacrifice, du symbole, de la grandeur à laquelle nous avons aspiré. Ce sera au petit matin, sans doute, quand l'air frais est presque douloureux. Nous dirons ces quelques mots. Nous nous sommes vu agripper des nappes, faire voler les tables à nos côtes, injurier, nous oublier. Nous serons pareillement calmes, nous nous serons persuadés de consentir à tout. Nous guetterons l'éclair, la torpeur douloureuse pour un instant, l'éclair qui nous éteindra, la minuscule douleur, le vertige passager auquel on ne survit pas. Ce sera une crise cardiaque. Les doigts se crispent. Nous y sommes.

samedi 4 décembre 2010

225. Colère.

Assister à ses colères, c'était être au spectacle. Les choses volaient. Il devenait grossier. Il était d'autant plus violent et grossier que ses colères étaient feintes, que les vraies, la fureur et le feu qui devaient tomber du ciel n'étaient pas visibles, qu'il les contenait et brûlait de les garder, de disposer de tant d'énergie. Il lui arrivait, de plus en plus souvent, de constater l'écart entre ce qu'il éprouvait et ce qu'il eût été normal d'éprouver. Rien ne parcourait ses bras, ni haussait et rendait douloureuses les sensations. Alors, il suscitait l'énergie qu'il n'avait pas, qui l'avait fait puissant, jadis. Il tonnait. Il n'était pas assez furieux et ajoutait la vulgarité et les insultes. On tremblait alors, quand les vases tombaient. Il avait là un plaisir qu'on lui refusait ailleurs.

Qu'ajoutaient merde, bordel de dieu, putain de dieu ? Le dieu était mécontent et insultait dieu. Joues rouges et enflées, veines désormais visibles, il était plus terrible à mesure que sa santé lui était enlevée, l'usure qui le menaçait s'étendait aux autres, le feu qui le prenait s'étendait, vaste, et embraserait le ministère avec.

jeudi 2 décembre 2010

Unie.

Il souffre d'une souffrance qui n'est pas unie, et qui ajoute à la souffrance.

Sa souffrance n'était pas unie, et ajoutait à la souffrance.

224. Saint-Guillaume.

Il marchait enveloppé de ses secrets.

On imaginait tout ce que contenait son sourire ironique, qui n'était toutefois pas sans bienveillance. Nous nous occupons de tout. Faites nous confiance. Et la cuisine, un cynisme presque officiel, qui plaisait toutefois. Il n'était pas devenu riche. Mais tout ce qui prétendait à la puissance, dans le pays, dépendait de sa puissance. Son sourire ne s'effaçait pas, et les mains allaient et venaient. Ses prévenances étaient infinies, caressant, gentil, insinuant, offrant une liqueur, un canard, il exécutait, désarmait et charmait, louant un ennemi inattendu, la petite chapelle d'Uzès, les ors baroques, un volume oublié de mémoires. Tout allait tranquille, il n'y aurait pas à changer, pas même à presser le pas. Il séduisait moins qu'il endormait, et passait, sous les palmes et les arcs, tendait la main, sa chevalière, les Vierges que priait ma mère, les cèdres, les chemins pavés de pierres dures.

Il était ce que le Parti et les Français détestaient : la culture, et sous prétexte de culture, les intérêts propres qui se confondent avec ceux de l'État, et le faire sans cynisme, puisqu'il était, et tout le monde le savait l'État. Il était la France éternelle. Il était Blois et Saint-Amant. Il était, pareillement, les flûtes basses, les chapelles noires, l'affût, le matin, parmi les roseaux. Personne ne suscitait mieux la grandeur, ni ne la préparait moins. Sa mort, prochaine, lui faisait oublier que le pays vivrait encore, et ce que se récitent les agoniques, leur rosaire secret, dont ils suivent les perles, quitte à n'en garder qu'une, au dernier moment, dédorée, est, plus que tout, inutile.

Sacrifices.

Il évoquait ses sacrifices.

223. Sa volonté intacte.

Ce n'était plus une émotion, un désir, choses, trames tendues, un objectif. L'objectif était à présent moins qu'un point et moins qu'une lumière. Ce n'était pas plus une chaleur, le monde diminué, rougeoyant, dont on ne sait s'il annonce le désastre ou l'agonie. Ce n'était plus l'horizon, le soleil devant lequel passent les formes noires. Ou bien les plans et les lignes qui parcourent les plans. C'était moins qu'une douleur. Rien n'existait que cela : la victoire à venir. On lui parlait. Ce qui lui était présenté, par ses amis et par les choses, le monde sensible, cessait d'être. Les calculs n'étaient plus le soleil rouge, le point, n'étaient plus, ni les cartes ou les colonnes, ou les six mots qui, répétés, faisaient un slogan. C'était sa réélection. Sa volonté intacte.


222. Bon médecin.

Il y avait aussi le bon médecin de famille. Il avait voulu devenir maire et bien sûr, ne le serait jamais. Non que bien est toujours défait devant le mal et l'arrogance du mal, que ses secrets réseaux, les cœur qu'il envahit et pourrit l'emportent sur les justes et les bons. Il était pareillement avide. Seulement il était faible. Ses sourires étaient tristes, ses mains douces et molles. Il ne consolait pas d'un rhume. Il l'oublia complètement.

221. Premier souvenir politique.

C'était son premier souvenir politique. Trente personnes qu'un manque de chance, que le désœuvrement rassemblent pour nous, que trente délégués et responsables encadrent. Nous avons cinq, six ans, et pour nos six ans, tout relève de la nécessité et, de l'ordre du monde, de le stabilité de ce que rien ne mine. Et que les limites apparaissent, que le monde apparaisse par moments plus grand et moins certain, c'est tout au plus un désagrément qui nous accable, un malaise que nous expliquerons, dans dix ans, sans doute. C'était le maire et les médiocres qui cernaient le maire, c'était comme d'habitude un malaise, la possibilité de subir plus que de comprendre. On parlait aspirations, politique politicienne, priorité numéro 1, défense de notre patrimoine. Les choses étaient ainsi divisées, les choses qui n'étaient pas encore compliquées, s'ordonnaient. Était-ce de sa laideur, l'œuf simple, sa tête, de la veste de chasseur, des cheveux rares que venaient le malaise, le cœur vidé puis étreint, et déjà humide du métal froid qui l'emplissait ? On était hypnotisé par le ventre et les mouvements des lèvres, la vulgarité et la terrible joie, sa satisfaction qu'on ne comprendrait pas plus à présent, un mystère bruyant et d'un quintal, lui qui rayonnait à onze heures. Il n'aimait pas le monde qu'on désirait qu'il convoite, les olives et les terrains de tennis, et le ciel laid, plein de soleil. Il oublia tout, dès qu'il le put.


Qu'en restait-il ? La conviction que les panses énormes étaient dispensées de faire de la politique. Qu'il n'était pas possible de concilier quelque dignité et d'être, comme G., un homme politique, qu'à sa condition d'élu, de responsable, se mêlait nécessairement la vulgarité, la division du monde en bons et en mauvais, en amis et en exclus, les buffets apéritifs, la présence au marché et aux salles de sport, qu'il accepter de perdre sa dignité, et qu'il remplacerait la joie, ce qui débordait de l'homme et qui n'était pas un ventre, par ses souffrances, qu'il agirait cependant, qu'il oublierait la pureté et connaîtrait le remords.