mercredi 11 août 2010

117. Pronunciamiento.

Aux phrases perçues, qu'il faisait siennes et par lesquelles il menait bientôt le pays, s'ajoutaient les images. Était-ce cela qui le perdit, ou sa perte, rapports et notes, sondages, papier qui s'accumulait, le laissait indifférent, qui ne valait plus que pour un grand feu, la vérité qu'il oubliait et sur laquelle il n'avait plus prise, le conduisaient-elles à désirer vivre ces images ?

La confiance lui était accordée. Depuis cent ans, ceux qui servaient l'État ne s'étaient pas opposés à ceux qui représentaient l'État. La police puis l'armée n'aimaient pas leurs récents triomphes, certes, mais auraient tout au plus cessé d'obéir.

Comment penser à ceci : il est onze heures sur l'esplanade où passe un maréchal qu'encadrent neuf généraux (ou sa version moins luxueuse : trois ou quatre généraux), rapides, aux visages fermés, tandis que le maréchal sourit (ils sont la rigueur, il est la sérénité) et tend une main amicale, offre sa bienveillance. Des soldats ont pris un aéroport, une assemblée, quelques rues. Pareillement graves, certains, les généraux, le maréchal ont défilé, souri. Il est deux heures et un homme (il aurait pu être beau, si un récent empâtement ne gâchait pas ses trente-deux ans) sort un mouchoir coûteux. Son costume est froissé, son dos trempé. Il ne connaît pas cette peur, et le métal froid qui envahit son cœur, le vide froid qu'est devenu son dos, les blanches taches devant ses yeux, le sel sur ses lèvres, ses dents qui claquent qu'il soude à ses dents, les tremblements des doigts, qu'il ne contrôle pas. Il vivra encore vingt secondes. Il a su comprendre qu'aucune porte oubliée ne le sauverait, et que les secondes offertes lui permettraient de composer un peu avec sa mort, l'infini, lui-même. Quand les balles auront cessé de fuser, il n'aura rien cédé de sa dignité. Plus tard, une femme court et est assassinée, dans le jardin présidentiel, par ses gardes du corps. Au matin, on l'a trouvé dans sa voiture et tué comme un chien.

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