Il n'était pas insensible à l'humour. On se tromperait pourtant en disant qu'il appréciait (ou condamnait) la chose. Ses lèvres et son visage remuaient, de la façon précise que nous attendons qu'ils remuent. Un mot d'esprit était un signal que quelque chose devait se déclencher et, effectivement, ce qui devait se retrousser se retroussait. Rien en lui ne fut jamais volontiers. Son intelligence n'est pas à prouver, et il riait quand la moitié des personnes présentes ne comprenait pas le trait d'esprit, la gaieté du coup porté, mais il riait blanc.
lundi 28 juin 2010
Maggie.
Certains ont dit qu'elle n'avait jamais connu le plaisir.
Ces basses remarques viennent toujours d'hommes (et de femmes) faibles et qui ont une faculté prodigieuse, celle de se persuader qu'une telle phrase efface leur médiocrité.
C'est la générosité qu'elle n'a jamais connue. Et l'amour, et la bonté.
Ces basses remarques viennent toujours d'hommes (et de femmes) faibles et qui ont une faculté prodigieuse, celle de se persuader qu'une telle phrase efface leur médiocrité.
C'est la générosité qu'elle n'a jamais connue. Et l'amour, et la bonté.
dimanche 27 juin 2010
102. Ascension (8/*).
Les élections furent gagnées. Julien y prit part. Peu ou, du moins, il se montra peu. Il n'intervint sur aucune chaîne nationale. Il rédigeait un certain nombre de déclarations de L., lisait, corrigeait. Il préparait des fiches. Il inventa même un slogan (je l'ai noté). Il était dévoué, efficace : des dizaines l'étaient pareillement.
Il était loin d'être le centre du parti. Mais il fut à la croisée d'un certain nombre de circonstances, secondé par le hasard plutôt que par la chance, et quels que furent ses mérites personnels : c'était un déséquilibre qui ne s'était jamais produit, et qui ne se rencontrerait plus avant quarante ans, qu'expliquaient des coups du sort plus que des calculs ou des personnalités propres : il s'agit maintenant de ne pas rire : dans ce gouvernement, les hommes et les blancs faisaient défaut. L. ne voulait pas présenter ce gouvernement : il fallait refléter les différentes composantes du peuple – il fallait cependant ne pas cesser de le rassurer. Les jupes étaient le signe sinon le facteur d'instabilité. [nous ne démêlons plus les causes des effets].
Il fallait rassurer qui n'avait pas voter pour L. et surtout, qui avait voté pour lui et risquait à tout moment de le regretter. Les vieillards avaient d'évidents avantages : l'expérience, une soif de pouvoir et de récompense souvent largement étanchée (ou, lorsqu'elle ne l'était pas, ils se persuadaient ou tentaient de persuader qu'ils avaient atteint la sagesse), la sagesse donc, les réseaux, le prestige (entendons par là la capacité à déplacer le centre de gravité du gouvernement, déplacer le pouvoir, donc les attaques) ; surtout, ils rassuraient. Mais ces vieillards (mâles, blancs, hétérosexuels) tiraient aussi le gouvernement vers le conformisme, la pesanteur, la tradition. Il n'étaient pas fanés, certes mais il fallait qu'à la liste des mâles, blancs, hétérosexuels et déjà considérablement défraîchis s'ajoute un jeune homme rassurant : le sous-secrétariat d'État à la réforme de la fonction publique venait de naître.
Il était loin d'être le centre du parti. Mais il fut à la croisée d'un certain nombre de circonstances, secondé par le hasard plutôt que par la chance, et quels que furent ses mérites personnels : c'était un déséquilibre qui ne s'était jamais produit, et qui ne se rencontrerait plus avant quarante ans, qu'expliquaient des coups du sort plus que des calculs ou des personnalités propres : il s'agit maintenant de ne pas rire : dans ce gouvernement, les hommes et les blancs faisaient défaut. L. ne voulait pas présenter ce gouvernement : il fallait refléter les différentes composantes du peuple – il fallait cependant ne pas cesser de le rassurer. Les jupes étaient le signe sinon le facteur d'instabilité. [nous ne démêlons plus les causes des effets].
Il fallait rassurer qui n'avait pas voter pour L. et surtout, qui avait voté pour lui et risquait à tout moment de le regretter. Les vieillards avaient d'évidents avantages : l'expérience, une soif de pouvoir et de récompense souvent largement étanchée (ou, lorsqu'elle ne l'était pas, ils se persuadaient ou tentaient de persuader qu'ils avaient atteint la sagesse), la sagesse donc, les réseaux, le prestige (entendons par là la capacité à déplacer le centre de gravité du gouvernement, déplacer le pouvoir, donc les attaques) ; surtout, ils rassuraient. Mais ces vieillards (mâles, blancs, hétérosexuels) tiraient aussi le gouvernement vers le conformisme, la pesanteur, la tradition. Il n'étaient pas fanés, certes mais il fallait qu'à la liste des mâles, blancs, hétérosexuels et déjà considérablement défraîchis s'ajoute un jeune homme rassurant : le sous-secrétariat d'État à la réforme de la fonction publique venait de naître.
101. Ascension (7/*).
Ce qui tient au hasard et qui perdrait à être expliqué, ce que nous nommerons grâce pour plus de commodité, dut intervenir à ce moment : il était militant, la piétaille colleuse, crieuse, les masses enthousiastes qui ne sont jamais consultées, ni sans doute remerciées, et qui s'indemnise en refusant, avec passion, de réfléchir.
On le fit cadre. Il ne savait pas ce qui expliquait cette promotion, mais il apprit ce qu'elle impliquait : il collait moins, mais criait davantage. Surtout, il faisait la claque. Il appelait, organisait. L'ensemble des verres de bière et de jus de fruit, de gâteaux salés, de chaises, de lumières, de tapis, de micros et de journalistes, qui a reçu pour nom logistique, et qui occupait presque tous ses week-end, le bruit et les cris remplaçait maintenant les papiers.
C'était sans doute son dévouement et son intelligence qui payaient – et son étonnante absence de réticence, sa disponibilité, sa bonne volonté : sa certitude d' œuvrer pour le bien.
Il fut vite connu et estimé. Ce fut une grande joie que d'avoir le numéro de téléphone d'un ancien premier ministre, d'un ancien ministre de l'économie et de l'industrie, d'avoir reçu une tape sur l'épaule, un sourire reconnaissant, et surtout, une somme d'amitié qui ne cessait de croître.
On le fit cadre. Il ne savait pas ce qui expliquait cette promotion, mais il apprit ce qu'elle impliquait : il collait moins, mais criait davantage. Surtout, il faisait la claque. Il appelait, organisait. L'ensemble des verres de bière et de jus de fruit, de gâteaux salés, de chaises, de lumières, de tapis, de micros et de journalistes, qui a reçu pour nom logistique, et qui occupait presque tous ses week-end, le bruit et les cris remplaçait maintenant les papiers.
C'était sans doute son dévouement et son intelligence qui payaient – et son étonnante absence de réticence, sa disponibilité, sa bonne volonté : sa certitude d' œuvrer pour le bien.
Il fut vite connu et estimé. Ce fut une grande joie que d'avoir le numéro de téléphone d'un ancien premier ministre, d'un ancien ministre de l'économie et de l'industrie, d'avoir reçu une tape sur l'épaule, un sourire reconnaissant, et surtout, une somme d'amitié qui ne cessait de croître.
lundi 21 juin 2010
Ascension (6b./*).
Insister.
Depuis trente ans, il n'y avait pas de plus sinistre criminel que celui qui se plaignait. Mais les terribles condamnations, à mesure que les années passaient, devenaient inoffensive : insulter ceux qui souffrent les avait décontenancer un temps. Vous vous trompez, vous fantasmez, vous stigmatisez, vous généralisez, vous exagérez, vous tirez des conclusions hâtives, vous ne dites rien, vous confondez l'effet et la cause. Les poisons s'étaient peu à peu neutralisés : le malade ne mourait pas ou plutôt, mourait d'autre chose. Il fallait donc bien qu'il soit malade.
Une chose étrange était là : constater n'était plus le fait de fous.
Depuis trente ans, il n'y avait pas de plus sinistre criminel que celui qui se plaignait. Mais les terribles condamnations, à mesure que les années passaient, devenaient inoffensive : insulter ceux qui souffrent les avait décontenancer un temps. Vous vous trompez, vous fantasmez, vous stigmatisez, vous généralisez, vous exagérez, vous tirez des conclusions hâtives, vous ne dites rien, vous confondez l'effet et la cause. Les poisons s'étaient peu à peu neutralisés : le malade ne mourait pas ou plutôt, mourait d'autre chose. Il fallait donc bien qu'il soit malade.
Une chose étrange était là : constater n'était plus le fait de fous.
100. Ascension (6/*).
Ses yeux ne roulaient pas et conservaient une pâle fixité, sans que l'on devine si leur gris était terne ou pur. La question ne se posait pas en ces termes, mais ce qui montait à mesure que le discours était prononcé, la netteté du constat, l'évidence, polies, dessouillées, ce qui empêchait la salle de vibrait, mais plutôt la saisissait, frappait son cœur, n'était pas la vérité. Ce que chacun recevait en partage n'était pas la vérité, mais la simplicité : notre azyme était fabriqué. Comment aurait-il pu ne pas l'être ?
D'autant plus efficace qu'il l'utilisait peu, Julien disait, lorsqu'il avait le désagréable soutien de l'extrême droite : « si Madame G. dit qu'il pleut et qu'il pleut, je ne vais pas, parce que je n'apprécie pas Madame G., dire qu'il fait soleil. » La chose était préparée, elle m'apparut pourtant lumineuse, lorsque je l'entendis pour la première fois. La morale, pour une fois, était subordonnée à cette forme de morale qui est l'honnêteté intellectuelle. Il le répéta quelques fois : l'évidence ne me fut plus délivrée avec autant de force. Quelque chose avait cédé : ce n'était pas ma poitrine que l'on avait frappée. Le constat, que mille données expliquaient, et qui seraient mobilisées, le simple constat n'était plus criminel.
Après la pluie et le soleil, venait l'enfant de CM1. « Faut-il plus de prévention ou plus de répression ? Un enfant de CM1 pourrait vous répondre : les deux. » ; « Faut-il condamner le pouvoir israélien qui promet la guerre ou les Palestiniens qui forcent à la guerre ? Un enfant de CM1 pourrait vous répondre : les deux. » L'effet me semblait plus radical encore : dans un système politique qui présentait deux camps si proches que tout semblait pourtant opposer, Julien était un miracle de dialectique qui unissait ce qui ne l'avait jamais été. Aucun camp ne se trompait si ce n'est qu'il refusait que l'autre pût avoir raison. Le brillant dialecticien était finalement, et nous ne le comprîmes que trop tard, don Juan, qui sait offrir son cœur aux deux paysannes qu'il séduit, et se jouer des deux.
D'autant plus efficace qu'il l'utilisait peu, Julien disait, lorsqu'il avait le désagréable soutien de l'extrême droite : « si Madame G. dit qu'il pleut et qu'il pleut, je ne vais pas, parce que je n'apprécie pas Madame G., dire qu'il fait soleil. » La chose était préparée, elle m'apparut pourtant lumineuse, lorsque je l'entendis pour la première fois. La morale, pour une fois, était subordonnée à cette forme de morale qui est l'honnêteté intellectuelle. Il le répéta quelques fois : l'évidence ne me fut plus délivrée avec autant de force. Quelque chose avait cédé : ce n'était pas ma poitrine que l'on avait frappée. Le constat, que mille données expliquaient, et qui seraient mobilisées, le simple constat n'était plus criminel.
Après la pluie et le soleil, venait l'enfant de CM1. « Faut-il plus de prévention ou plus de répression ? Un enfant de CM1 pourrait vous répondre : les deux. » ; « Faut-il condamner le pouvoir israélien qui promet la guerre ou les Palestiniens qui forcent à la guerre ? Un enfant de CM1 pourrait vous répondre : les deux. » L'effet me semblait plus radical encore : dans un système politique qui présentait deux camps si proches que tout semblait pourtant opposer, Julien était un miracle de dialectique qui unissait ce qui ne l'avait jamais été. Aucun camp ne se trompait si ce n'est qu'il refusait que l'autre pût avoir raison. Le brillant dialecticien était finalement, et nous ne le comprîmes que trop tard, don Juan, qui sait offrir son cœur aux deux paysannes qu'il séduit, et se jouer des deux.
jeudi 17 juin 2010
99. Ascension (5/*).
C'est à cette minute qu'apparut ce qui n'existe qu'une fois par génération : un homme de bonne volonté. Il accusait bien des traits et des défauts de ses amis, et presque de ses collègues : une appétence pour les responsabilités, pour les divers avantages qui y étaient liés, le désir qu'une vie vouée à la politique ait ses compensations, que le pouvoir scruté et adoré soit sien, quelques années, le goût du billard à plusieurs bandes, la légalité douteuse qui reste la légalité, les amitiés et les haines, les convictions que définit plus que de raison la raison politique ; à la différence de bien d'autres, il ne se résumait pas à cela.
Il n'y avait pas la classe politique et Julien, pas plus que n'existent les purs à ma droite et les corrompus à ma gauche (ou que tous sont corrompus), il n'était pas même certain qu'un spectre reliât/relie le premier cynique et Julien, que les cyniques triomphent, que les béjaunes échouent. Il disposait d'une qualité contre laquelle beaucoup semblaient être naturellement prémunis : la certitude qu'une action efficace et juste était possible, que les sacrifices étaient moins nécessaires, du moins, plus limités qu'on ne le dit souvent, lorsque les couloirs sont vides de micro, la certitude que les cyniques sont de grands enfants, et que le comble du cynisme et le comble de la naïveté communiquent au point de se confondre.
Dessillés, il devenait candide. Ce qui était l'objet de transactions ne l'était plus. Il biffait moins ses interventions, et s'entêtait. La souplesse était désormais un refus renfrogné : le jeune homme était redevenu le petit garçon. C'était la même générosité, mais taciturne. On ne le comprit pas d'abord, on l'aima toujours. Ses discours applaudis « Face à la droite dure » ou « Une société de la fraternité » étaient oubliés. Il reprit ce qui n'avait intéressé personne. Il rendait son texte plus terne, ajoutait des chiffres, renonçait à un effet de manche, à une rhétorique, à l'inépuisable catalogue de citations, aux tripartitions.
Je regarde une vidéo d'archive. Un petit garçon sage et convaincu, borné, parfois sur le point de pleurer, lisait ses cahiers d'écolier. L'effet fut prodigieux.
Il n'y avait pas la classe politique et Julien, pas plus que n'existent les purs à ma droite et les corrompus à ma gauche (ou que tous sont corrompus), il n'était pas même certain qu'un spectre reliât/relie le premier cynique et Julien, que les cyniques triomphent, que les béjaunes échouent. Il disposait d'une qualité contre laquelle beaucoup semblaient être naturellement prémunis : la certitude qu'une action efficace et juste était possible, que les sacrifices étaient moins nécessaires, du moins, plus limités qu'on ne le dit souvent, lorsque les couloirs sont vides de micro, la certitude que les cyniques sont de grands enfants, et que le comble du cynisme et le comble de la naïveté communiquent au point de se confondre.
Dessillés, il devenait candide. Ce qui était l'objet de transactions ne l'était plus. Il biffait moins ses interventions, et s'entêtait. La souplesse était désormais un refus renfrogné : le jeune homme était redevenu le petit garçon. C'était la même générosité, mais taciturne. On ne le comprit pas d'abord, on l'aima toujours. Ses discours applaudis « Face à la droite dure » ou « Une société de la fraternité » étaient oubliés. Il reprit ce qui n'avait intéressé personne. Il rendait son texte plus terne, ajoutait des chiffres, renonçait à un effet de manche, à une rhétorique, à l'inépuisable catalogue de citations, aux tripartitions.
Je regarde une vidéo d'archive. Un petit garçon sage et convaincu, borné, parfois sur le point de pleurer, lisait ses cahiers d'écolier. L'effet fut prodigieux.
98. Ascension (4/*).
Il comprenait que faire rouler chiffres et phrases, cadencer, piquer de citations une plate proposition, la rendre séduisante ou, mieux encore, vibrante, en vue d'obtenir une majorité relative, un cinquante et un pour cent, la vie de Paul (et la sienne), disparaître en quittant un pouvoir qui n'était soumis à aucune fin, ne serait pas sa vie.
Il pensait de nouveau à Paul : luxe, réussite, certitude de la réussite et des réussites à venir, cravates, chemises à rayures ou unies (accordées) regard qui se substituait à toute promesse : demain sera beau. Et l'ironie ne vient pas de ce que sa mort rend impossible tout demain (personne n'est protégé d'une tuile qui tomberait au coin du front) ; mais, vivant, vainqueur, il n'eût rien accompli de plus. Il fit plus, mort, oublié de tous sinon de Julien et de quelques intimes, qu'en arrachant cinquante et un pour cent : ce qu'eût été sa vie.
97. Ascension (3/*).
Il faut rendre justice à Julien : je ne pense pas qu'il ressentît de la joie à la mort de Paul. Une chose qui le dérangeait avait cessé d'être. Une gêne l'avait remplacée, non que la faute, ou la pensée d'être coupable la remplaçât, mais ce n'était pas une manière, selon son élégance et son goût de la bataille, de se délivrer d'un ennemi. La chemise blanche naissait entre de noirs pétales. Brun, il eût été plus convaincant, mais le blond terne de ses cheveux, sur le ciel gris par endroits, convenait au recueillement sobre et élégant des lieux. Celui qui venait de mourir n'avait pas trente ans, et annonçait de grandes victoires : ce jour-là, Julien ne vit pas de grandes tristesses.
Venait l'heure des derniers hommages. La famille et le prêtre s'y collaient. Les discours lui apparaissaient, plus que décevants, convenus. Était-ce là tout ce qu'on pouvait dire d'un homme : brillant, heureux, intelligent, conquérant, emplissant de fierté une famille ? N'avait-il pas eu le temps d'être bon père, bon fils ou, si ce temps-là avait manqué, n'avait-il pas pu impressionner ses proches par des convictions qui justifiaient ces sacrifices ? Sa femme ne se consolait pas, mais Julien se demandait ce qu'elle pouvait regretter. Ses camarades, amis et soutiens l'admiraient, mais l'aimaient-ils ? L'on parla de « tragédie », de « destin », de « destin du pays », de « brillant avenir », de « futur président du conseil », d'un « travailleur hors du commun doublé d'un grand stratège ». Certes, mais à la pesée des cœurs, que présenteras-tu, Paul ?
Il occupa la première page des hebdomadaires durant un mois et fut aussitôt oublié, plus vite oublié que Julien.
Parce qu'ils se ressemblaient, Julien pensait, dans le train qui le ramenait à Paris, à sa mort. Elle pourrait survenir aussitôt (la chose n'était pas nouvelle), aurait les mêmes conséquences et serait suivie du même oubli. Le parti occupait sa vie, et aux obsèques, chacun louerait ses inutiles talents. Ils n'auraient servi à rien, et s'il avait conquis le pouvoir, qu'en aurait-il fait ? Intelligence, sens tactique, meneur d'homme, sachant charmer, apprécié, rêvant, accédant au pouvoir, il n'aurait exercé ses dons qu'à le conserver et à expliquer, discours après discours quelles valeurs étaient les siennes.
Il occupa la première page des hebdomadaires durant un mois et fut aussitôt oublié, plus vite oublié que Julien.
Parce qu'ils se ressemblaient, Julien pensait, dans le train qui le ramenait à Paris, à sa mort. Elle pourrait survenir aussitôt (la chose n'était pas nouvelle), aurait les mêmes conséquences et serait suivie du même oubli. Le parti occupait sa vie, et aux obsèques, chacun louerait ses inutiles talents. Ils n'auraient servi à rien, et s'il avait conquis le pouvoir, qu'en aurait-il fait ? Intelligence, sens tactique, meneur d'homme, sachant charmer, apprécié, rêvant, accédant au pouvoir, il n'aurait exercé ses dons qu'à le conserver et à expliquer, discours après discours quelles valeurs étaient les siennes.
mercredi 16 juin 2010
96. Ascension (2/*).
Il nous faut à présent parler de Paul. Il me semble impossible de comprendre ce qu'a été Julien sans l'évoquer. C'était un camarade, entendons par là un concurrent, c'est-à-dire un adversaire. Les querelles d'idées étaient inévitablement des querelles de personne. Les chapelles n'avaient qu'un culte : la victoire politique de celui qui officiait.
Julien et lui se ressemblaient plus qu'ils ne l'avouaient : ils étaient beaux et arrogants. Ce n'était pas une mèche qui pendait ou tombait mais un noir profond, précocement piqué de cheveux gris, frisait, désolait Paul de friser, épousait le contours d'une oreille (Paul ne va que de profil). Une vague et des golfes clairs, une jeune calvitie, les sourcils plus noirs, longs, anguleux, et qui, eux, ne seraient jamais blancs, ni gris. Volontaire, se voulant raffiné, aisé, facile, bavard, plus sûr de soi qu'on ne le fut jamais, désireux de paraître supérieur et certain de l'être, sans nul défaut que cette pathologique confiance en soi, alors que personne ne contestait ses dons de garçon intelligent, capable, qui charmait. Il empâtait, cependant. Il m'est facile, vingt ans plus tard, d'expliquer que Paul était fondamentalement antipathique. C'était une impression que peu partageaient. Tout au plus était-il léger ou confiant plus que de raison.
Ils ferraillaient : les jeunes loups, les pragmatiques, la relève (libérale), les dispensateurs d'espoir, ceux qui offraient un rêve (selon qui les présentait) devant les fondamentalistes, les archaïques, les humanistes, modérés sans doute mous. Ils s'étaient affrontés au congrès, ils se seraient affrontés une vie durant.
Le lendemain de congrès (matin, six heures), Paul eut un accident de voiture. Julien et le Parti allèrent aux obsèques. Nous sommes le ** février. Les élections se tiennent en avril.
Julien et lui se ressemblaient plus qu'ils ne l'avouaient : ils étaient beaux et arrogants. Ce n'était pas une mèche qui pendait ou tombait mais un noir profond, précocement piqué de cheveux gris, frisait, désolait Paul de friser, épousait le contours d'une oreille (Paul ne va que de profil). Une vague et des golfes clairs, une jeune calvitie, les sourcils plus noirs, longs, anguleux, et qui, eux, ne seraient jamais blancs, ni gris. Volontaire, se voulant raffiné, aisé, facile, bavard, plus sûr de soi qu'on ne le fut jamais, désireux de paraître supérieur et certain de l'être, sans nul défaut que cette pathologique confiance en soi, alors que personne ne contestait ses dons de garçon intelligent, capable, qui charmait. Il empâtait, cependant. Il m'est facile, vingt ans plus tard, d'expliquer que Paul était fondamentalement antipathique. C'était une impression que peu partageaient. Tout au plus était-il léger ou confiant plus que de raison.
Ils ferraillaient : les jeunes loups, les pragmatiques, la relève (libérale), les dispensateurs d'espoir, ceux qui offraient un rêve (selon qui les présentait) devant les fondamentalistes, les archaïques, les humanistes, modérés sans doute mous. Ils s'étaient affrontés au congrès, ils se seraient affrontés une vie durant.
Le lendemain de congrès (matin, six heures), Paul eut un accident de voiture. Julien et le Parti allèrent aux obsèques. Nous sommes le ** février. Les élections se tiennent en avril.
95. Ascension (1/*).
Je dirai en quelques mots ce que fut son ascension. Il était facile de la reconstituer (un papier du Monde, un portrait du supplément du Figaro, plutôt favorables). Peu de gens furent serviles avec Julien (ou pendant quelques semaines seulement). Sa chute montre nettement qu'aucune puissance sinon quelques amis et quelques sondages ne le soutenaient.
Il n'avais pas été remarqué immédiatement. Il n'était pas terne, quoique sans éclat, mais sa personnalité, mettons ses feux, étaient discrets, et ses rares qualités demandaient du temps avant d'être appréciées. Il était allé à un meeting, sa fiancée l'avait traîné. Il était retourné à une convention du parti. Il avait discuté (c'était là ce qu'il réussissait le mieux, parler et charmer qui écoutait, et laisser une impression qui ne parvenait pas à se fixer sur tel détail, ou sur un détail infime, comme un sourire que rien ne laissait présager à ce moment, un mouvement maladroit et sincère des mains, une bonne volonté qui n'offensait pas, un morceau de phrase, une résignation). Il était expert du ronron qui n'est pas le galimatias. Il avait discuté dans le bureau du député, s'était ennuyé sans le paraître. Il avait participé à une grève et à quelques manifestations.
Une première intervention qui n'avait pas été remarquée : « La place des séniors dans la société de demain ». C'était honnête et rien n'importait plus, à l'époque, que l'absence de gaffes. Une tape sur l'épaule, des applaudissement peu nourris.
Pour un autre meeting, il manquait ce qui pourtant manque rarement : un jeune homme de bonne famille. Derechef, « La place des seniors dans la société de demain » dont une virgule changea, un paragraphe fut déplacé, la première et la dernière phrase. Une autre intervention de prévue : « Face à la droite sécuritaire ». Bien moins bon, il fut acclamé. Une tape sur l'épaule, une discussion, deux phrases dites ; il portait beau, le voilà cadre. Quatre ans avaient passé.
94. Apocalypse.
L’apocalypse n’avait pas eu lieu. Pourtant, le monde s’usait. Aristote l’avait cru éternel. Le vice humain, ses armées n’avaient pas crû aussi vite que son immense fatigue. L'on cuvait sept mille ans de déraison et n’aspirait plus qu’au repos. Pétrole tari, couteaux émoussés, nantis repus, le monde n’était pas meilleur, seulement plus las, et à l’apathie des cœurs avait succédé celle des œuvres. On ne parvenait plus à se faire peur, on parlait de bombes et de turbans pour que les enfants la ferment enfin, le soir, on tuait un peu, on trafiquait, on mourrait aussi régulièrement qu’il y a cent ans, on violait de temps à autres, on se désennuyait. On n’avait pas cessé de proposer à madame, madame ne se résignait pas.
Le cœur n’y était plus.
Le cœur n’y était plus.
Epigraphe V.
93. Ternit.
Une puissance qui se maintient ternit aussitôt : il lui suffit d'une dizaine d'année, parfois moins. Je ne parle pas de tel homme politique, qui de mystique, n'attend pas cinq ans avant, tout honnête et noble qu'il fut (et aventureux, parmi le cuir et les dorures mêmes), de devenir monarque, monarque fastueux certes et, vers la fin, belle proie pour un maire de palais. Tout héros est intendant par ailleurs, et bientôt secrétaire de direction.
Les solides bourgeoisies de la Hanse... Certes, les rivalités, les parts et les dettes, patiemment, les générations passant, qu'épongent et revendent des générations de marchands. Étouffons le bâillement que fait naître la solidité, et dans la solidité une idée de poutre entretenue, de menus réglés, de silos encombrés, de ventes toujours profitables, de bœuf plus que de vache et d'excrément de bœuf.
Le pouvoir vitement gagné suscite le même ennui. Des putains devenues reines et des chauffeurs de taxis, des cow-boy présidents. Et puis ?
Les grandes décadences se ressemblent. Les discours sur la sexualité ne présentent pas d'intérêt, et ceux qui en parlent, si l'on excepte les médecins et les spécialistes, ou du moins qui en parlent en soulignant ses aspects exotiques (ils ne parlent masturbation et sodomie pour des fins métaphysiques) se trompent et, parfois, deviennent riches. Des panthères mouchetées, des bassins parfumés, les coupes d'alcool venant aux lèvres d'esclaves farouches et domptés, et plus que la débauche d'alcool et de corps, un ennui terrible, que les excès n'ont jamais fait oublier. Fidel Castro, Claude, Giscard, Kim Jong-il.
Il y a plus intéressant : le grand intendant (cinquième personnage de l'État) dont l'empire s'étend. Un meurtre et la dynastie n'est plus. La reine dispose-t-elle d'une immense armée, un détachement de vingt homme prend le château et le royaume. Un tyran n'a que son cœur de tyran. Une tenancière d'un bordel que chacun fréquente (colonels, grands commis, prélats), règne-t-elle sur un pays ? Les maires du palais. Ubu est-il puissant ? Qu'est-ce qu'un pouvoir qu'une mort défait ? Les grandes manœuvres des antichambres.
Les solides bourgeoisies de la Hanse... Certes, les rivalités, les parts et les dettes, patiemment, les générations passant, qu'épongent et revendent des générations de marchands. Étouffons le bâillement que fait naître la solidité, et dans la solidité une idée de poutre entretenue, de menus réglés, de silos encombrés, de ventes toujours profitables, de bœuf plus que de vache et d'excrément de bœuf.
Le pouvoir vitement gagné suscite le même ennui. Des putains devenues reines et des chauffeurs de taxis, des cow-boy présidents. Et puis ?
Les grandes décadences se ressemblent. Les discours sur la sexualité ne présentent pas d'intérêt, et ceux qui en parlent, si l'on excepte les médecins et les spécialistes, ou du moins qui en parlent en soulignant ses aspects exotiques (ils ne parlent masturbation et sodomie pour des fins métaphysiques) se trompent et, parfois, deviennent riches. Des panthères mouchetées, des bassins parfumés, les coupes d'alcool venant aux lèvres d'esclaves farouches et domptés, et plus que la débauche d'alcool et de corps, un ennui terrible, que les excès n'ont jamais fait oublier. Fidel Castro, Claude, Giscard, Kim Jong-il.
Il y a plus intéressant : le grand intendant (cinquième personnage de l'État) dont l'empire s'étend. Un meurtre et la dynastie n'est plus. La reine dispose-t-elle d'une immense armée, un détachement de vingt homme prend le château et le royaume. Un tyran n'a que son cœur de tyran. Une tenancière d'un bordel que chacun fréquente (colonels, grands commis, prélats), règne-t-elle sur un pays ? Les maires du palais. Ubu est-il puissant ? Qu'est-ce qu'un pouvoir qu'une mort défait ? Les grandes manœuvres des antichambres.
La fin des temps (0).
L'histoire prend fin et nous aurons bientôt un monde sans pape ni Dieu. Un jour, au fond d'une mine, on demandera à un petit vieux « qui es-tu ? ». « Je suis le pape ». Et tout recommencera.
mardi 15 juin 2010
92. Nous ne quittons pas le pouvoir.
Notre héros cherche à circonscrire le nuage radioactif de Tchernobyl (il vient du futur). Il fait ce qu'il peut et s'entretient, avant de quitter la centrale nucléaire, avec un personnage que protège un épais équipement (blanc, longs gants, masque noir). Ils quittent des lieux contaminés. Le second personnage ôte sa protection. Un « vous ! » (c'est le héros qui est surpris) retentit. Le lecteur comprend que Gorbatchev était à la manœuvre et dirigeait la minuscule et secrète équipe chargée de nettoyer le site.
Souvenir de page lue dans un manuel d'histoire : « Le roi et la reine étaient pareillement prisonniers de l'étiquette, et ce, jusqu'à l'absurde. Un meuble perd son pied. Un commis est demandé. Il se déclare incompétent. Il appelle un chambellan, pareillement incompétent, puis le maître de, le chargé de. Le roi est réduit à des bricolages d'étudiant désargenté pour ne pas voir le meuble s'effondrer. »
Le directeur de l'École Normale Supérieure préside un cocktail (il est dix neuf heures). Discours long, pas même préparé, toujours le même, ronron des vérités dont la seule ambition est, pour des raisons de bienséance, de retarder l'hallali sur le buffet (toujours excellemment pourvu). Un maladroit fait tomber son verre. Il est dix-neuf heures, les agents d'entretien sont partis depuis trois heures. Le directeur ouvre (il dispose de la clef, fort petite, qui n'est pas un passe-partout) un local à balais et à seaux (qu'il connaît), sort un balai et un seau, et éponge l'orange.
Chacun aura compris ce que ces trois souvenirs (souvenir ou souvenirs de lecture) ont de commun. Les plus éminents personnages (deux maîtres du monde et un prélat) sont réduits à des tâches dégradantes ou dangereuses. Ce n'est pas l'alliance de la puissance et de la soumission aux choses qui m'intéresse d'abord ici. Ce n'est pas plus celle de la gloire et de l'humilité. J'aime à savoir que coïncident en eux la dignité la plus figée ; en Louis, l'orgueil, l'homme des cérémonies maîtrisées, des hommes et des règles pliant genou ; en Gorbatchev, la doctrine, la dialectique, les odes, le hiératisme sacré des convois à liserés, étoiles rouge, les lauriers pareillement rouges ; en Olivier Faron, les écritures dorées, ou pâles des thèses qui sèchent ; la dignité raide et ce que j'aime presque à ranger parmi l'efficacité. Ils ont une prise sur le réel. Entendons-nous cette prise-là est minuscule (un coca, un meuble) ou, de manière moins anecdotique, un accident nucléaire. Je suis persuadé que de moyens fonctionnaires ne taillent pas même leurs crayons. Il y a du réel dans les offices obscures qu'il faut rendre le matin, je ne parierais pas que de sous-directeurs de cabinet vivent dans un monde ou se torcher va de soi.
Ces basses œuvres relèvent moins de la nécessité que de l'efficacité. L'étiquette soviétique, royale, universitaire ont des lacunes. Gorbatchev prend son balai comme chacun (sinon ses ministres, qui n'ont aucun pouvoir) le prend. Il aime saisir le serpillère, le fait devant un visiteur important (s'il n'est pas secrétaire d'État), Reagan l'aide volontiers. Ils bavardent et font attention à ne pas se couper. De même, Reagan irait débloquer tel missile à main nu (des gants de protection, certes), Louis XIV abriterait un espion que sa propre police chercherait et dont personne ne connaîtrait l'existence, qui ne serait qu'une ombre dans la penderie. Olivier Faron beurre les tartines. Je pense à trois êtres qui somnolent pendant les cérémonies et qui pensent cantine, dortoirs, industries.
Il n'y a pas les instances qui décident et celles qui appliquent. Je pense à des sots aux plafonds décorés (Louis, Olivier, Michaël ne les ont pas appréciés une heure) qui justifieraient leur vie par ces plafonds. Je pense à ceux qui ne feront jamais qu'exécuter. Certains quittent les mocassins pour les tuyauteries. La chose va de soi. Un certain plaisir s'y mêle.
Nous ne quittons pas le pouvoir.
Souvenir de page lue dans un manuel d'histoire : « Le roi et la reine étaient pareillement prisonniers de l'étiquette, et ce, jusqu'à l'absurde. Un meuble perd son pied. Un commis est demandé. Il se déclare incompétent. Il appelle un chambellan, pareillement incompétent, puis le maître de, le chargé de. Le roi est réduit à des bricolages d'étudiant désargenté pour ne pas voir le meuble s'effondrer. »
Le directeur de l'École Normale Supérieure préside un cocktail (il est dix neuf heures). Discours long, pas même préparé, toujours le même, ronron des vérités dont la seule ambition est, pour des raisons de bienséance, de retarder l'hallali sur le buffet (toujours excellemment pourvu). Un maladroit fait tomber son verre. Il est dix-neuf heures, les agents d'entretien sont partis depuis trois heures. Le directeur ouvre (il dispose de la clef, fort petite, qui n'est pas un passe-partout) un local à balais et à seaux (qu'il connaît), sort un balai et un seau, et éponge l'orange.
Chacun aura compris ce que ces trois souvenirs (souvenir ou souvenirs de lecture) ont de commun. Les plus éminents personnages (deux maîtres du monde et un prélat) sont réduits à des tâches dégradantes ou dangereuses. Ce n'est pas l'alliance de la puissance et de la soumission aux choses qui m'intéresse d'abord ici. Ce n'est pas plus celle de la gloire et de l'humilité. J'aime à savoir que coïncident en eux la dignité la plus figée ; en Louis, l'orgueil, l'homme des cérémonies maîtrisées, des hommes et des règles pliant genou ; en Gorbatchev, la doctrine, la dialectique, les odes, le hiératisme sacré des convois à liserés, étoiles rouge, les lauriers pareillement rouges ; en Olivier Faron, les écritures dorées, ou pâles des thèses qui sèchent ; la dignité raide et ce que j'aime presque à ranger parmi l'efficacité. Ils ont une prise sur le réel. Entendons-nous cette prise-là est minuscule (un coca, un meuble) ou, de manière moins anecdotique, un accident nucléaire. Je suis persuadé que de moyens fonctionnaires ne taillent pas même leurs crayons. Il y a du réel dans les offices obscures qu'il faut rendre le matin, je ne parierais pas que de sous-directeurs de cabinet vivent dans un monde ou se torcher va de soi.
Ces basses œuvres relèvent moins de la nécessité que de l'efficacité. L'étiquette soviétique, royale, universitaire ont des lacunes. Gorbatchev prend son balai comme chacun (sinon ses ministres, qui n'ont aucun pouvoir) le prend. Il aime saisir le serpillère, le fait devant un visiteur important (s'il n'est pas secrétaire d'État), Reagan l'aide volontiers. Ils bavardent et font attention à ne pas se couper. De même, Reagan irait débloquer tel missile à main nu (des gants de protection, certes), Louis XIV abriterait un espion que sa propre police chercherait et dont personne ne connaîtrait l'existence, qui ne serait qu'une ombre dans la penderie. Olivier Faron beurre les tartines. Je pense à trois êtres qui somnolent pendant les cérémonies et qui pensent cantine, dortoirs, industries.
Il n'y a pas les instances qui décident et celles qui appliquent. Je pense à des sots aux plafonds décorés (Louis, Olivier, Michaël ne les ont pas appréciés une heure) qui justifieraient leur vie par ces plafonds. Je pense à ceux qui ne feront jamais qu'exécuter. Certains quittent les mocassins pour les tuyauteries. La chose va de soi. Un certain plaisir s'y mêle.
Nous ne quittons pas le pouvoir.
91. Nous nous étonnons que des voitures brûlent encore.
Nous nous étonnons que des voitures brûlent encore. Nous voyons ce que nous avons toujours vu : des ombres courent après des ombres. Nous ne voyons pas les hautes colonnes de fumée, seulement la carcasse et la rose lueur, la flamme orange, racornie, et les contours fuyants. À à nos fenêtres, devant un poste de télévision, ce qui s'allume et verse dans la nuit.
Il nous faut si peu. D'un côté, nous voyons (nous avons désiré) le cuir des uniformes et des chapeaux (mettons les casques), fumée, eau, l'électricité éclate, les balles ne fusent cependant pas ; les bâtons qui tuent rarement : nous avons voulu ce fasciste. À ma gauche, maintenant, tels que nous les avons voulus : jeunes, négligés, minutieusement négligés. Les premiers sont minces et musclés, les second peut-être un peu trop minces. Le tyran est grand. Il n'est pas obèse mais lourd, gras. Si le tyran est une femme, ses mœurs sont libres (quoi que laissent présager une apparence austère) et son amant (officier) désagréable, obscène. Le tyran d'en face (jeune, négligé, etc.) n'est pas nécessairement beau, mais retient l'attention. Sa prose est nerveuse, scrupuleuse. Nous nous lassons à peine : nous voyons ce que le spectacle a de forcé, nous ne pourrions cependant pas nous en passer : ses émeutes, les défilés, le tiercé dont l'ordre importe peu (et qui, quel que soit l'ordre, est devenu une trinité) dont personne n'oserait se passer, réglant moins les échanges et les rapports que la perception de ces rapports : le salaud, la victime, le héros (modèle que surent cristalliser le nazi, le résistant, le juif), modèle qui, moins qu'une définition, était le filtre que chacun s'appliquait, se transformant en juif ou en résistant, désignant un juif ou un résistant, et créant un nazi.
Nous sommes des spectateurs dociles et nous en avons toujours eu pour notre argent : de l'émotion, des joies usées, la jouissance de nous scandaliser, la peur (prendre régulièrement, ne pas hésiter à augmenter les doses). Des ennemis, des hommes et des femmes luttant, parfois de bonne volonté, des noms et des hommes.
Il nous faut si peu. D'un côté, nous voyons (nous avons désiré) le cuir des uniformes et des chapeaux (mettons les casques), fumée, eau, l'électricité éclate, les balles ne fusent cependant pas ; les bâtons qui tuent rarement : nous avons voulu ce fasciste. À ma gauche, maintenant, tels que nous les avons voulus : jeunes, négligés, minutieusement négligés. Les premiers sont minces et musclés, les second peut-être un peu trop minces. Le tyran est grand. Il n'est pas obèse mais lourd, gras. Si le tyran est une femme, ses mœurs sont libres (quoi que laissent présager une apparence austère) et son amant (officier) désagréable, obscène. Le tyran d'en face (jeune, négligé, etc.) n'est pas nécessairement beau, mais retient l'attention. Sa prose est nerveuse, scrupuleuse. Nous nous lassons à peine : nous voyons ce que le spectacle a de forcé, nous ne pourrions cependant pas nous en passer : ses émeutes, les défilés, le tiercé dont l'ordre importe peu (et qui, quel que soit l'ordre, est devenu une trinité) dont personne n'oserait se passer, réglant moins les échanges et les rapports que la perception de ces rapports : le salaud, la victime, le héros (modèle que surent cristalliser le nazi, le résistant, le juif), modèle qui, moins qu'une définition, était le filtre que chacun s'appliquait, se transformant en juif ou en résistant, désignant un juif ou un résistant, et créant un nazi.
Nous sommes des spectateurs dociles et nous en avons toujours eu pour notre argent : de l'émotion, des joies usées, la jouissance de nous scandaliser, la peur (prendre régulièrement, ne pas hésiter à augmenter les doses). Des ennemis, des hommes et des femmes luttant, parfois de bonne volonté, des noms et des hommes.
Inscription à :
Articles (Atom)