jeudi 17 juin 2010

97. Ascension (3/*).

Il faut rendre justice à Julien : je ne pense pas qu'il ressentît de la joie à la mort de Paul. Une chose qui le dérangeait avait cessé d'être. Une gêne l'avait remplacée, non que la faute, ou la pensée d'être coupable la remplaçât, mais ce n'était pas une manière, selon son élégance et son goût de la bataille, de se délivrer d'un ennemi. La chemise blanche naissait entre de noirs pétales. Brun, il eût été plus convaincant, mais le blond terne de ses cheveux, sur le ciel gris par endroits, convenait au recueillement sobre et élégant des lieux. Celui qui venait de mourir n'avait pas trente ans, et annonçait de grandes victoires : ce jour-là, Julien ne vit pas de grandes tristesses.

Venait l'heure des derniers hommages. La famille et le prêtre s'y collaient. Les discours lui apparaissaient, plus que décevants, convenus. Était-ce là tout ce qu'on pouvait dire d'un homme : brillant, heureux, intelligent, conquérant, emplissant de fierté une famille ? N'avait-il pas eu le temps d'être bon père, bon fils ou, si ce temps-là avait manqué, n'avait-il pas pu impressionner ses proches par des convictions qui justifiaient ces sacrifices ? Sa femme ne se consolait pas, mais Julien se demandait ce qu'elle pouvait regretter. Ses camarades, amis et soutiens l'admiraient, mais l'aimaient-ils ? L'on parla de « tragédie », de « destin », de « destin du pays », de « brillant avenir », de « futur président du conseil », d'un « travailleur hors du commun doublé d'un grand stratège ». Certes, mais à la pesée des cœurs, que présenteras-tu, Paul ?

Il occupa la première page des hebdomadaires durant un mois et fut aussitôt oublié, plus vite oublié que Julien.

Parce qu'ils se ressemblaient, Julien pensait, dans le train qui le ramenait à Paris, à sa mort. Elle pourrait survenir aussitôt (la chose n'était pas nouvelle), aurait les mêmes conséquences et serait suivie du même oubli. Le parti occupait sa vie, et aux obsèques, chacun louerait ses inutiles talents. Ils n'auraient servi à rien, et s'il avait conquis le pouvoir, qu'en aurait-il fait ? Intelligence, sens tactique, meneur d'homme, sachant charmer, apprécié, rêvant, accédant au pouvoir, il n'aurait exercé ses dons qu'à le conserver et à expliquer, discours après discours quelles valeurs étaient les siennes.

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