mardi 15 juin 2010

91. Nous nous étonnons que des voitures brûlent encore.

Nous nous étonnons que des voitures brûlent encore. Nous voyons ce que nous avons toujours vu : des ombres courent après des ombres. Nous ne voyons pas les hautes colonnes de fumée, seulement la carcasse et la rose lueur, la flamme orange, racornie, et les contours fuyants. À à nos fenêtres, devant un poste de télévision, ce qui s'allume et verse dans la nuit.

Il nous faut si peu. D'un côté, nous voyons (nous avons désiré) le cuir des uniformes et des chapeaux (mettons les casques), fumée, eau, l'électricité éclate, les balles ne fusent cependant pas ; les bâtons qui tuent rarement : nous avons voulu ce fasciste. À ma gauche, maintenant, tels que nous les avons voulus : jeunes, négligés, minutieusement négligés. Les premiers sont minces et musclés, les second peut-être un peu trop minces. Le tyran est grand. Il n'est pas obèse mais lourd, gras. Si le tyran est une femme, ses mœurs sont libres (quoi que laissent présager une apparence austère) et son amant (officier) désagréable, obscène. Le tyran d'en face (jeune, négligé, etc.) n'est pas nécessairement beau, mais retient l'attention. Sa prose est nerveuse, scrupuleuse. Nous nous lassons à peine : nous voyons ce que le spectacle a de forcé, nous ne pourrions cependant pas nous en passer : ses émeutes, les défilés, le tiercé dont l'ordre importe peu (et qui, quel que soit l'ordre, est devenu une trinité) dont personne n'oserait se passer, réglant moins les échanges et les rapports que la perception de ces rapports : le salaud, la victime, le héros (modèle que surent cristalliser le nazi, le résistant, le juif), modèle qui, moins qu'une définition, était le filtre que chacun s'appliquait, se transformant en juif ou en résistant, désignant un juif ou un résistant, et créant un nazi.

Nous sommes des spectateurs dociles et nous en avons toujours eu pour notre argent : de l'émotion, des joies usées, la jouissance de nous scandaliser, la peur (prendre régulièrement, ne pas hésiter à augmenter les doses). Des ennemis, des hommes et des femmes luttant, parfois de bonne volonté, des noms et des hommes.

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