lundi 12 juillet 2010

111. La rose et l'oignon (des antichambres donnant sur des antichambres).

Il n'y a pas de pot-aux-roses.

La phrase, une fois prononcée, amène-t-elle le soulagement ou la déception ? Nous attendons encore quelques révélations – qui fut l'assassin, fut-il corrompu, à quoi doit-on son élection, fut-ce un sosie ? – de quelques pots-de-vin, la certitude, que nous n'aurons pas, et qui nous permettra de penser encore qu'au bout des pelures d'oignon, l'oignon, la secrète perle, attend de rayonner, la vérité d'une trahison, qu'il savait, qu'elle a menti.

Nous saurons, nous ne saurons pas que les services secrets ont tué, que le chef des services secrets fut manipulé, que la femme du présent, sa maîtresse, le voyait chaque soir, que sa mère, dont le mari était encore un agent secret, le secrétaire du parti conservateur, l'amant de la secrétaire du chef des services secrets – que derrière chaque bureau, une tenture attend de découvrir une porte, qu'au bout du tunnel une salle de réunion attend, où l'on préside au sort du monde, ceinte d'une superbe bibliothèque, dont l'un des volumes, creux, actionné avec rigueur, dévoile un pan de la bibliothèque, pour un autre bureau, une salle et ses moniteurs, un souterrain, le dernier bureau qu'un passage conduit encore ailleurs, l'oignon se dévidant encore, offrant pions et rois, maîtres, jusqu'au grand décideur – où mène la porte contre laquelle il est adossé ?

Les partis secrets (le serment date de la faculté), les conjurations (tailler son poing, porter un tatouage à la cheville), la synarchie... Conspirer, comploter me semble bien naturel, de même que faire profiter du décor : salons ruisselants d'or, fenêtres donnant sur un jardin à la française ; haute-technologie, un laser et des radars rôdent non loin ; la sobriété de bon ton (qu'un sous-main, qu'un flacon font cependant mentir) qui apporte la certitude que désormais, on ne se paie pas de mots, l'austérité même, puisque qui contrôle jouit de contrôler, vît-on dans de laides rues, dans un meublé, non de posséder ; d'épais dossiers reliés de cuir brun, la liasse de dix feuilles, expliquant tout, tout sur clé usb. Cela est bien recevable.

Et pour ceux que les complots, et les adverbes, et les italiques hérissent (qui pilotait vraiment les avions ? qui avait réellement intérêt à ce qu'il disparût, que la guerre éclatât ?) la version contemporaine des décideurs : les très officiels conseils d'administration. Leur cynisme ni leur malveillance ne sont à contester, seulement leur compétence.

Voici le pot-aux-roses : il n'y a pas de projet. Ce n'est pas que des désirs individuels, parfois collectifs n'oublient parfois l'intérêt commun, et qu'afin de réussir, ils se tiennent au plus terrible secret : la main qui assassine est guidée, le conseil est commandé à distance, il est nécessaire que rien ne s'ébruite, vous ne sortirez pas d'ici : on conspire. On n'en est pas moins impuissant.

Même à faire échouer les projets de loi, que peuvent-ils ? Quand ils pourraient agir sur chaque gouvernement et sur chaque conseil d'administration, que feraient-ils sinon maîtriser des effets dont ils ne connaîtraient, dont ils ne seraient pas même les causes ? sinon éplucher un nouvel oignon : agir sur un symptôme, non sur sa cause, en oublier la cause et se transformer en symptôme de symptôme, offrant la prise au symptôme, goûter au cancer qui ne tue pas l'organe qu'il a touché, qu'il étouffe cependant, par plaques, par pétales se chevauchant, un dôme dont la forme approche le bulbe.

Ses roses remparts, ses tiroirs à muqueuses, le liserai blanc que ceint le liserai rose, une forteresse dont les murs n'abritent pas de citadelle (ou une citadelle farcie de corps de gardes, de cours). Des antichambres qui donnent sur des antichambres.

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