vendredi 23 juillet 2010

114. Moi & la post-modernité : beau, riche et lucide.

Note pour les futurs exégètes.

Voici ce que l'on m'a appris être la post-modernité en littérature : l'impossibilité d'écrire une œuvre de manière positive (le héros a une aventure), impossibilité constatée avec dérision ou mélancolie ; l'élaboration difficile de cette œuvre, en creux ou négativement, et parfois, jusqu'à ce que son élaboration pénible soit l'œuvre même. Je ne reviens pas sur la disparition du héros et parfois du personnage, sur l'amenuisement de l'intrigue et des aventures, sur la métatextualité permanente, le work in progress (l'auteur raconte comment il échoue à écrire l'œuvre qu'il désire écrire et la narration de cet échec est l'œuvre proposée à lire), ni sur l'irrévérence et l'ironie avec laquelle sont traités les auteurs qui nous ont précédés : « Chut, c'est le silence infini de Pascal » je cite de mémoire Beckett.

En somme, la post-modernité, usée, épuisée, affirme ne plus rien avoir à dire ou à écrire (comme pour tous les historicismes littéraires, « Tout est dit et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent ») et prétend être indépassable (comme tous les historicismes littéraires). Elle ne peut offrir un nouveau Pascal, un nouveau Racine (l'expression n'a pas de sens, mais chacun la comprend) : elle les tourne donc en dérision. Tel auteur n'a pas d'imagination et renonce à la psychologie, ne sait pas raconter et renonce à l'intrigue, trouve confondant de bêtise et de passéisme ce que les programmes scolaires nomment « le travail de la langue » et refuse la figure.

Ce que la littérature perd en richesse, elle le gagne en lucidité et (il faut l'avouer) en technique.

Il n'y a rien à gagner à se montrer révisionniste. Nous savons les platitudes que propose « le retour au récit ». De grandes œuvres relèvent par ailleurs de cette esthétique post-moderne, et leur diversité même (L'Emploi du temps, Molloy, Les Fruits d'or, Un Nid pour quoi faire, l'œuvre d'Éric Chevillard, Duras de temps à autres) montre combien elle fut intéressante et, plus qu'intéressante, féconde. La sottise intégrale que constitue l'autofiction (sauf à considérer que Proust, Céline, et Villon (Rutebeuf ! ) sont autofictifs) ne peut faire oublier Beckett ou le Nouveau roman.

La post-modernité sera dépassée (elle est un historicisme qui prétend, comme tous les historicisme, ne pas l'être), et le dépassement ne pourra être que dialectique. Certains comme Michon, Bergounioux, Muray, Quignard parfois le permettent. Elle ne pourra renoncer à la lucidité ni se contenter de la seule lucidité.

***

J'aimerais expliquer comment j'essaie de m'en sortir (ne pas être Zola d'une part, ni Chevillard). Je n'établit pas de grande synthèse théorique (pour l'instant), j'indique petitement comment j'essaie d'évoluer entre ces deux pôles : richesse et lucidité.

1- Grâce aux accumulations qui, par leur effet de liste, sont souvent ironiques. Elles parcourent une catégorie, la traitent avec irrévérence (par la disparate, par les omissions, par le jeu des déterminants, par son pouvoir extrême de condensation). Rien n'interdit cependant à l'auteur de rendre particulièrement séduisant chacun des termes de l'énumération et, prétendant être lucide (il passe vite, on ne la lui fait pas), se prélasser dans ce qui lui est interdit, dans les stéréotypes dont personne n'admettrait la décence, et qu'il fréquente avec amour, dans un passé littéraire qu'il voit avec mélancolie et auquel, quoi qu'il dise, il n'a pas renoncé.

2- Grâce à la négation (qui peut se redoubler) qu'un mais positif conclue : il n'était ni X ni Y mais Z. Nous refusons ainsi des termes que l'on jugerait naïfs ou dépassés. Mais nier une chose, et nier une chose fascinante, c'est lui permettre encore d'exister. La nier n'est pas la tourner en dérision ni l'oublier. Le Z est le lieu du fantasme ou de la marotte qui l'emporte sur tout. Z est le nouveau paradigme, le fantasme qui doit l'emporter. Il ne peut naître que d'une négation (l'accumulation en est une) incomplète. Il se souvient des deux temps qui l'ont précédé (la richesse et la lucidité) et ne permet à aucun des deux de triompher de l'autre.

3- En introduisant du jeu dans la tripartition rhétorique. Le tiercé rapporte davantage dans le désordre (mais différemment de la marquise de Cambremer de Proust).


A poursuivre.

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