Première page (qui sera suivie de « Je fus pendant vingt ans l'ami de Julien Queuille, qui fut président du conseil. »)
Voici les documents dont disposent les archives :
Voici la vidéo que le monde connaît : un homme qu'encadrent deux conseillers et un garde du corps se dirige vers sa voiture. Il ne sourit pas. Nous voyons sa détermination, sinon sa gravité : il n'a qu'à regarder l'horizon pour savoir ce qui l'attend et ce que le pays devra affronter. Il a la sérénité et la fermeté qu'il évoquait, la veille, à la télévision. Il est celui dont chacun attend la venue.
La voiture démarre. Elle parcourt trente mètres. L'image ne cille pas. La voiture est remplacée par un feu et de la fumée. Une silhouette noire et rouge sort de la voiture, et tremble au sol, quelques instants. Ce qui restait de la voiture et l'homme à terre disparaissent à présent. Les flammes ont doublé, elles se tachent de noir. Les images ne présentent plus de jaune. Une chose agitée, rouge, brune, se tord. Taches, fissures, plaies, communiquent de la flamme au feu, de ce qui s'allume, noir, à ce qui le surmonte, gris, au brouillard rouge qui se lève, et qui ne consomme rien. Il est difficile de distinguer la fumée de ce qui la produit. Nous ne les voyons pas mais six corps cuisent, sous des plaques et des tôles. Le feu ne diminue pas mais reste sombre et ne fournit aucun éclat à la scène. La fumée monte encore, et ne diminuera pas jusqu'à la fin de l'enregistrement. La vidéo se poursuit et rien ne change : seul le mouvement des fumées, la colonne de sel et de feu, les immeubles au loin, un ciel, le trottoir. Des dizaines de personnes doivent regarder la scène, mais l'angle de la caméra ne permet pas de les voir. Les premiers véhicules arriveront dans deux minutes. Notre imagination peut beaucoup, elle entrevoit des torrents, les têtes de serpent d'un monstre inconnu, un cratère qui délivre au monde son message de braises et de cendres, la nébuleuse d'Orion : ces images ont une laideur de fait divers.
J'ai pu consulter une centaine de photos. Ce sont là des documents plus intéressants pour celui qui voit dans cet attentat la fin d'un monde. Nous y voyons l'enfer, le feu, le souffre, une promesse de tourments. Un trou terrible ou mesquin, selon l'angle. Des visages consternés et, parfois, le désespoir. La fumée, noire et tourmentée près des corps, soudain grise, presque blanche à mesure qu'elle touche le ciel, s'épaissit et devient plus nette, couvre la voiture, les corps, les autres voitures gagnées par l'explosion, couvre le ciel qu'elle remplace à présent, où ne luit rien, et parfois, dans son désordre, laisse un visage paraître, laisse voir le serpent qu'elle n'est pas.
Sollicitons encore notre imagination.
Des tours, des parlements, des cathédrales, des palais ont été la cible d'attentats. Ce n'est là qu'une voiture. Elles ont explosé par centaines. En France, nous avons connu plusieurs (trois, avant ce jour-là) attentats à la voiture piégée. Il nous est difficile de penser, en les regardant, que le **/**/****, la France entre dans la nuit.
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