Il y a eu trois passions dans ma vie :
la passion de l’indépendance,
la passion de l’indifférence,
et la passion de la volupté.
Le bonheur de sentir que l’on garde jusqu’au bout cette passion de l’indifférence.
Voir les êtres, les sujets, les problèmes s’éteindre en vous, l’un après l’autre, comme des lumières, la minuit passée, s’éteignent une à une dans une ville.
Murmurer : « Il commence à se faire tard en moi… »
Henry de Montherlant.
*
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Il avait mené tous les combats, son courage et sa pugnacité ne pouvaient être comparés qu'à sa puissance d'indignation.
Il avait exercé les plus hautes charges. Il avait cédé la place et, après des interventions, grandes et belles, qui s'étaient espacées pourtant, la publication de Mémoires, être devenu une référence parmi la relève politique, loué parfois, glosé, et parfois éreinté, son parcours remarquable, sans doute, et des réformes importantes, qui ont marqué leur temps, et ce discours important, et un bon mot – on l'oubliait.
Il était loin de considérer que sa vie, trente ans à conquérir le pouvoir et dix à l'exercer, méritait autre chose que l'oubli. Il savait ce qu'il avait fait. Ils n'étaient pas ingrats : d'autres que lui devaient agir, d'autres encore devaient parler.
Il ne se désintéressait toutefois pas de la marche du monde. Il lisait. Il recevait avec indifférence ce qui naguère, il y a peut-être trois mois, l'aurait empli d'enthousiasme, accablé, aurait suscité une anxiété que des recherches et des conversations n'auraient pas comblée, eût été le signe d'un mal et que seule la colère accueille le mal. Il n'avait pas bronché.
Les êtres, les sujets, les problèmes ne l'entamaient plus. Sa vieille peau (sur laquelle s'appuyer devenait dangereux) avait pris les écailles et la couleur des poissons. Elle ne dorait cependant pas quand le soir venait. Parcourant de vieux os, une peau qui s'assombrissait par plaques, et par taches qui gonflaient ou que résorbaient de pâles traces. Qui casserait, mais les os ne casseraient pas : ils ne seraient plus là. Elle ne vibrait pas. Il mourrait mais rien ne l'attendrait. Il était la montagne. Il était la ville sur laquelle il n'y a pas de soleil pour se coucher, ni d'étoiles pour s'éteindre. L'idée d'attendre l'aube lui était étrangère.
La source des indignations et des joies ne donnait plus d'eau. Le constat fait, c'était une surprise pour lui, et un malheur, pour quelques instants. Si la politique, à quoi sa vie se réduisait (oublions les amours et les promenades), n'était plus rien, il fallait se désespérer. La minute d'après, c'était une joie. Il s'amusait que rien ne le touche. L'arrogance du ministre en place, la satisfaction des porte-paroles, leurs plus bêtes mensonges, les accusations, le ronron ténébreux, les indignations, la certitude qu'accablés de preuves, ils mourraient et insulteraient en mourant – n'étaient plus rien. Les insultes, le fascisme, les lois moins criminelles qu'imbéciles (depuis deux dents ans, nous ne savions toujours pas quel vice était la cause de l'autre), les innocents aux amitiés douteuses, et que l'on persécutait... Il essayait encore : un sous-secrétaire d'État incompétent, des journalistes, de journaux indépendants, dont les amis sont proches du pouvoir, et qui répètent tous la syntaxe du pouvoir, les terroristes amis, et les incapables pérorant. Les imbéciles, les imbéciles, les imbéciles, le mot qu'il avait tant fait rouler perdait sa ronde puissance. Son dos ne frissonnait plus. L'arrogance n'était cause de rien. La bêtise des chambres, la pesanteur, la mollesse enrubannée d'honneurs, le conformisme (et la grammaire) des organes de presse : un souffle qui remue la cendre. Il s'en foutait.
Il découvrait la dernière passion, celle promise aux vieillards : la passion de l'indifférence. Rien ce ce qu'il recevait ne le concernait. Il était la source des lueurs. L'écart entre ce qu'il eût ressenti jamais et ce qu'il n'éprouvait plus, désormais, était une joie renouvelée. Il lisait journaux, magazines, presse la ligne, devenait gourmand et, plus que tout lisait le courrier des lecteurs ainsi que les commentaires, il chipotait encore les émissions de télévision (la voix de la sottise était douloureuse encore). La sottise qui le cernait l'irriguait à présent.
Il ne voyait plus : il ne faisait que contempler.
Il avait exercé les plus hautes charges. Il avait cédé la place et, après des interventions, grandes et belles, qui s'étaient espacées pourtant, la publication de Mémoires, être devenu une référence parmi la relève politique, loué parfois, glosé, et parfois éreinté, son parcours remarquable, sans doute, et des réformes importantes, qui ont marqué leur temps, et ce discours important, et un bon mot – on l'oubliait.
Il était loin de considérer que sa vie, trente ans à conquérir le pouvoir et dix à l'exercer, méritait autre chose que l'oubli. Il savait ce qu'il avait fait. Ils n'étaient pas ingrats : d'autres que lui devaient agir, d'autres encore devaient parler.
Il ne se désintéressait toutefois pas de la marche du monde. Il lisait. Il recevait avec indifférence ce qui naguère, il y a peut-être trois mois, l'aurait empli d'enthousiasme, accablé, aurait suscité une anxiété que des recherches et des conversations n'auraient pas comblée, eût été le signe d'un mal et que seule la colère accueille le mal. Il n'avait pas bronché.
Les êtres, les sujets, les problèmes ne l'entamaient plus. Sa vieille peau (sur laquelle s'appuyer devenait dangereux) avait pris les écailles et la couleur des poissons. Elle ne dorait cependant pas quand le soir venait. Parcourant de vieux os, une peau qui s'assombrissait par plaques, et par taches qui gonflaient ou que résorbaient de pâles traces. Qui casserait, mais les os ne casseraient pas : ils ne seraient plus là. Elle ne vibrait pas. Il mourrait mais rien ne l'attendrait. Il était la montagne. Il était la ville sur laquelle il n'y a pas de soleil pour se coucher, ni d'étoiles pour s'éteindre. L'idée d'attendre l'aube lui était étrangère.
La source des indignations et des joies ne donnait plus d'eau. Le constat fait, c'était une surprise pour lui, et un malheur, pour quelques instants. Si la politique, à quoi sa vie se réduisait (oublions les amours et les promenades), n'était plus rien, il fallait se désespérer. La minute d'après, c'était une joie. Il s'amusait que rien ne le touche. L'arrogance du ministre en place, la satisfaction des porte-paroles, leurs plus bêtes mensonges, les accusations, le ronron ténébreux, les indignations, la certitude qu'accablés de preuves, ils mourraient et insulteraient en mourant – n'étaient plus rien. Les insultes, le fascisme, les lois moins criminelles qu'imbéciles (depuis deux dents ans, nous ne savions toujours pas quel vice était la cause de l'autre), les innocents aux amitiés douteuses, et que l'on persécutait... Il essayait encore : un sous-secrétaire d'État incompétent, des journalistes, de journaux indépendants, dont les amis sont proches du pouvoir, et qui répètent tous la syntaxe du pouvoir, les terroristes amis, et les incapables pérorant. Les imbéciles, les imbéciles, les imbéciles, le mot qu'il avait tant fait rouler perdait sa ronde puissance. Son dos ne frissonnait plus. L'arrogance n'était cause de rien. La bêtise des chambres, la pesanteur, la mollesse enrubannée d'honneurs, le conformisme (et la grammaire) des organes de presse : un souffle qui remue la cendre. Il s'en foutait.
Il découvrait la dernière passion, celle promise aux vieillards : la passion de l'indifférence. Rien ce ce qu'il recevait ne le concernait. Il était la source des lueurs. L'écart entre ce qu'il eût ressenti jamais et ce qu'il n'éprouvait plus, désormais, était une joie renouvelée. Il lisait journaux, magazines, presse la ligne, devenait gourmand et, plus que tout lisait le courrier des lecteurs ainsi que les commentaires, il chipotait encore les émissions de télévision (la voix de la sottise était douloureuse encore). La sottise qui le cernait l'irriguait à présent.
Il ne voyait plus : il ne faisait que contempler.
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