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dimanche 13 février 2011
mardi 8 février 2011
274. Souvenirs.
Ce sont les exclus et les perdants qui rédigent les mémoires. Je ne prétend même pas à cela. Je n'ai pas existé. Sans doute, des historiens et quelques maniaques se souviennent. A quelle grande entreprise qui hausse l'homme au-dessus de ce qu'il est, à quelle révolution, à quelle guerre, même raisonnable ai-je participé ? Et ce qui m'a valu de disparaître, le désastre même, ne fut pas grand. Les morts mêmes étaient insignifiantes. Elles ne marquaient rien. Les mères pleurent encore, mais c'est la police qui a tué, et rien de politique, rien d'envergure n'explique ni ne se rattache à ces morts. Onze morts, est-ce une raison pour entrer dans l'Histoire ?
Voici pourtant des souvenirs. Je n'ai rien vécu, j'ai pourtant fréquenté des hommes importants. J'en ai aimés certains. J'ai assisté de près au jeu du pouvoir (gnagnagna), à son impuissance. J'aurai de longues réflexions à infliger au lecteur (nul).
Voici pourtant des souvenirs. Je n'ai rien vécu, j'ai pourtant fréquenté des hommes importants. J'en ai aimés certains. J'ai assisté de près au jeu du pouvoir (gnagnagna), à son impuissance. J'aurai de longues réflexions à infliger au lecteur (nul).
Voilà....
273. Luxe.
J'ai connu le luxe des ministères. Lorsque je considère ma vie, ce qui suivit et précéda ma carrière de ministre, ce luxe était évident, sans doute excessif. Je n'avais à penser à rien. Je n'en garde presque aucun souvenir. Je pense avec plaisir à mon bureau, fort grand, brun et précieux. Quelques généraux d'Empire l'utilisèrent je crois. J'aimais qu'il ne soit pas doré mais que les veines et les baguettes soient noires. Je pense aux fenêtres et au parc sur lequel elles s'ouvraient. Je pense pareillement à des antichambres dorées, aux tableaux trop sombres ou trop rouges, aux laquais, aux damiers dans les hall, au pavage de marbre. Nous étions émerveillé. Un mois plus tard, nous étions indifférents. Le vernis, les laques, les costumes les chauffeurs ne nous inspiraient rien. Nous savions que les tapis salissent, que dès que nous sortons des hall, des couloirs tristes et lugubres parcouraient les bâtiments. Les berlines étaient noires. Je ne crois pas me souvenir d'elles. Elles roulaient, elles devaient être tendues de cuir. J'aimais la neutralité toute bienveillante de ma maison. Je l'ai oubliée dès que je partis. J'aimais bien une bergère, dans un salon. Elle s'ennuyait. Elle n'était pas gracieuse, et le peintre l'avait voulu. Elle savait qu'elle n'avait ni dons ni beauté pour lui servir. J'aimais sans doute l'espace.
On décidait à ma place. C'est ce qui me manque le plus, je crois, de n'être pas même compétent pour le choix d'un restaurant, pour le changement d'une fenêtre, d'une cartouche d'encre. Que d'autres pensent pour moi, dorment parfois, écrivent était un soulagement qui ne me rendait que plus terrible l'urgence de chaque instant : décider.
Ce que je quittai n'avait aucune importance.
Ce que je quittai n'avait aucune importance.
272. Réponse à P. B.
Il n'est pas vrai que les vieillards comprennent mieux ce qu'ils vécurent à trente ans, que ceux qui se sont retirés du monde, que les aveugles qui ne connurent jamais le monde, par leur surplomb en tout, parviennent à s'extraire de l'événement, à mieux le cerner pour mieux l'écrire. Il n'est pas vrai qu'en stabilisant les combats et les tourments qu'ils connurent, ils perdent quelque chose. L'incompréhension n'a pas décru. Ce qui s'expliquait encore dans l'action est plus terne ou plus vif, mais moins clair. Les actions se succèdent, sans doute. On les fait trop bien tenir, elles tiennent différemment. On ne sait pas ce qui les relie, pourquoi elles se succèdent. Pourquoi elles eurent lieu.
Trouble supérieur à celui dans l'action.
Trouble supérieur à celui dans l'action.
lundi 7 février 2011
271. Diverses nouvelles phrases.
J'épargnerai à mon lecteur comme je m'épargnerai un long lamento...
La seule chose dont on se rappelle de moi.
Implication du je. Je n'eus pas à le fréquenter.
Je suppose qu'une vie doit être une somme d'actions, de souvenirs, de douleurs, de plaisirs. Pour la mienne, je n'ai pas cette impression.
La seule chose dont on se rappelle de moi.
Implication du je. Je n'eus pas à le fréquenter.
Je suppose qu'une vie doit être une somme d'actions, de souvenirs, de douleurs, de plaisirs. Pour la mienne, je n'ai pas cette impression.
N'être qu'une ligne dans les encyclopédies les plus sérieuses me console.
Délivrance : Je n'ai pas prononcé ce mot. Il était stupide qu'il paraisse dans la presse et qu'il résume l'événement. Pourrais-je dire que je ne l'ai pas pensé, et que tout ce que je fis ce soir-là ne se résume pas à cela : une délivrance.
A mesure que l'attente augmentait, imminence, déconfiture, soudaine victoire, que ces mots allaient avoir un sens, ma patience croissait d'autant.
Délivrance : Je n'ai pas prononcé ce mot. Il était stupide qu'il paraisse dans la presse et qu'il résume l'événement. Pourrais-je dire que je ne l'ai pas pensé, et que tout ce que je fis ce soir-là ne se résume pas à cela : une délivrance.
A mesure que l'attente augmentait, imminence, déconfiture, soudaine victoire, que ces mots allaient avoir un sens, ma patience croissait d'autant.
270. Lancar.
Sa bassesse n'avait pas de limite. Il ne travaillait que pour un clan et, dans ce clan, pour deux, peut-être trois hommes. Il avait si peu d'idées, si ce n'est qu'il convoitait le pouvoir et qu'il devait appartenir à lui et à ses amis. Il ne connaissait pas les dossiers. La mauvaise foi la moins supportable. Rien à dire et des manières insupportables, faussement bienveillantes, faussement apaisées, patelines. N'étant rien, ses interventions publiques lui permettaient de prendre des masques contradictoires, des changements à peine tenables en trente ans de vie politique. Il avait été l'ami fidèle, le légaliste, celui qui ose parler vrai, qui brise les tabous qu'instaure le politiquement correct, le sage, celui qui appelle à la modération et à l'union des hommes de bonne volonté. Il n'avait pas vingt-cinq ans. Il était beau, dit-on. Mais la vulgarité de chacune de ses attaques avait assoupli les traits fins de son visage. Il prenait du ventre comme on prenait du galon. On ne connaissait jamais les proportions exactes de cynisme et de sottise dans ces déclarations calculées et qui apportent la délivrance. On aimait qu'un jeune homme portât des chemises et des vestes et qu'il le fît aussi bien. Mais c'était un costume de laquais qu'il portait. Il aspirait à beaucoup de chose. Il ne crachait pas moins de choses. Il devait présider quelque comité. On se moquait de lui mais savoir qu'il existait l'arrachait à son néant. Qu'on aime, à voir qui l'aimait, le rendait plus odieux encore. Il n'incarnait rien.
Il ne ferait pas carrière toutefois. On trouverait de plus talentueux. Son souci n'était pas d'être plat et cynique, de n'avoir rien à dire et de montrer un orgueil inouï, mais de faire comprendre sans doute très clairement que son clan et le parti auquel il appartenait était ceci : la conservation sociale, peu importent les moyens, et la perpétuation de la misère et de la richesse.
269. Un mot.
Il y avait les notables, les adhérents historiques, ceux qui n'avaient rien renouvelé et que l'on comptait toutefois, ceux qui n'avaient jamais rien signé ni payé, les conventions, les déclarations, les promesses. Lorsqu'il parla, il semblait employer une langue neuve. Elle était seulement moins figée. Les mots venaient moins sûrement. Il hésitait parfois. La haine se sentait moins. Peut-être même n'existait-elle pas. Ce qui tenait à l'idéologie aux refrains et à ce qui devait se dire et s'entendre lors de chaque congrès, ce que chaque secrétaire disait et répétait, il ne le disait pas. Il avait la qualité qui l'emporte sur toutes les qualités : il était nouveau. Il n'était pas exempt de défauts. Il n'était pas éloquent, mais ce qu'il disait nous plaisait.
Nous nous contentions de peu. Un mot nous suffisait. Les positions étaient figées si bien qu'un mot qui disait qu'elles n'existaient pas nous comblait.
Nous nous contentions de peu. Un mot nous suffisait. Les positions étaient figées si bien qu'un mot qui disait qu'elles n'existaient pas nous comblait.
JQ
Son absence de flegme, au point de s'agiter et de presque manquer de dignité.
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Il devint ce qu'il crut être, la France.
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L'Etat, càd Julien Queuille, désirait...
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Il devint ce qu'il crut être, la France.
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L'Etat, càd Julien Queuille, désirait...
Parousie.
Le Christ glorieux révélera la disposition secrète des cœurs et rendra à chaque homme selon ses œuvres et selon son accueil ou son refus de la Grâce.
dimanche 6 février 2011
Foules. Assiégés.
Gouvernement que la rue pousse à la démission.
Fantastique. Atmosphère. Régulièrement, paragraphe sur ce qui se passe.
cf. Balcon.
La foule devait passer, des pierres se détachaient du plafond.
Était-ce des révolutionnaires ou des ombres de révolutionnaires.
Fantastique. Atmosphère. Régulièrement, paragraphe sur ce qui se passe.
cf. Balcon.
La foule devait passer, des pierres se détachaient du plafond.
Était-ce des révolutionnaires ou des ombres de révolutionnaires.
268. Assiégés.
On a peu parlé de l'atmosphère qui régnait alors au palais. Le gouvernement paraissait ne rien comprendre à ce qui se passait dans le pays. C'était le cas. Il savait le nombre précis de manifestants, qu'il divisait par trois lorsqu'il l'évoquait. Il connaissait les taux qui, d'ordinaire, règlent la vie des Français et permettent de dire, par la croissance et le chômage, par l'endettement, mais ces taux expliquaient peu de choses. Ils étaient mécontent et les panneaux et les banderoles que l'on voyait expliquaient peu de choses. Leur départ était envisagé si ce n'est désiré. Voilà tout ce qu'ils comprenaient et la seule chose qu'ils ne pouvaient admettre. Ils soupçonnaient qu'une hausse massive des salaires et qu'un vaste plan de recrutement calmeraient les esprits, mais ils ne pouvaient pas le faire.
Ils habitaient une forteresse assiégée. Ils étaient scrutés et impuissants. Des rumeurs passaient : c'étaient la colère des professeurs, des infirmières, des chercheurs. Elles inquiétaient mais duraient peu. La rapidité avec laquelle elles surgissaient puis disparaissaient faisaient oublier leur violence, bien que chacun sût que c'est par elle qu'ils tomberaient. Les digues cédaient encore. Les places fortes n'existaient plus. Ils s'enfonçaient toujours plus loin dans les salons et les chambres dorés. Les émeutes entraient plus avant dans un palais que rien ne défendait sinon la complexité de ses couloirs, des antichambres qui ne donnaient que sur des antichambres. Une question se poserait : non pas comment faire retomber la rébellion, qui ne pourrait que triompher, mais comment lui laisser un champ de décombres pour récompense ? Comment reprendre ensuite le pays, puisque l'honneur ni les trésors n'ont été perdus ? Les rumeurs passaient. On ne savait toujours pas s'ils étaient à l'angle du corridor, au-dessus, s'ils allaient surgir au balcon ou si l'imagination inventait tout. Les télévisions ne disaient rien. Ils croulaient. Ils organisaient ce qu'ils pouvaient. Les assauts se répétaient. Angoissé, douloureux de ne rien comprendre, ils attendaient.
Franco. Del C.
Les dossiers se classaient toujours en deux tas. Ceux qu'il fallait résoudre et ceux que le temps seul résoudrait.
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Les télévisions et les ministres scrutaient encore une maison de campagne. C'était moins qu'un manoir, mais c'est là qu'il attendait l'agonie. On discutait encore de son absence et de sa présence, de son trépas de roi. Du corps pourrissant et du corps mystique. De son corps déjà embaumé d'autant plus glorieux et pourrissant que seule une garde-malade l'approchait. Il agaçait sans cesser d'être sacré. Il n'était plus rien et tout le monde pensait à lui. Était-il satisfait ? Il régnait et ne gouvernait pas.
267. Médiocre.
Voici le médiocre qui nous manquait, et qui manquait aussi au pays. Sans bêtise, sans lâcheté, il ne se haussait jamais. Sa médiocrité n'excluait ni le calcul, ni la puissance des moyens mis au service de la victoire, ni la victoire. Quelques dizaines de voix lui permettaient d'être élu, trois ou quatre voix lui donnaient des majorités. Sa médiocrité minutieuse l'emportait toujours devant des concurrents qui semblaient toujours dilettantes, toujours aventuriers et trop peu soucieux des banalités qui nous poussent à nous décider. Il n'emportait jamais rien. Il préservait les équilibres, c'était sa principale qualité. Il en présentait d'autres d'ailleurs, patience, bienveillance, fermeté, goût des choses préparées et sûres. Quant à ses habitudes, ses préférences, de sa femme aux steaks qu'il commandait, aux films qu'il déclarait aimer, aux photos sur ses bureaux, son conformisme stupéfiait. Il aimait les choses et les vérités définitives et ne changerait pas les deux ou trois idées qui définiraient toute sa politique et toute sa vie : haine de la gauche radicale, préférence marquée pour le libéralisme, refus d'une alliance autre qu'européenne, voilà. Ennui, inertie, routine presque absolue, c'était sa vie. On s'était moqué de lui. Sa médiocrité était connue, mais ce n'était presque jamais par là qu'il était attaqué. Il n'était pas inconséquent. Il suivait sans aucune inflexion la politique qu'il avait une fois décidée. Il ne souffrait aucunement. Les douleurs venaient d'une percée de ses ennemis, de la place qu'il jugeait excessive de l'État. Il savait par ailleurs faire venir les foules. Mais d'être en tout moyen et comme borné, il ne s'y était pas habitué, il ne comprenait pas qu'on usât différemment. C'était des mœurs qu'il désapprouvait, qui était simplement nuisibles. Ses réussites montraient la puissance des trois principes qui faisaient sa vie. Il disait un lieu commun et les choses advenaient. Il serait oublié mais n'aurait jamais été détesté. Il n'est pas dit que le pays n'ait pas profité de ces cinq années. Rien d'imprévisible ne survint. Les scandales et les crises s'espacèrent. Sa seule longévité fut un bien. Le pays n'aurait rien gagné à ce que ces cinq années se prolongent, mais ce train lent, paisible et borné fut utile.
266. Enfance.
On s'étonne qu'une enfance et qu'une adolescence aient précédé tout cela. Nous aimons les signes, dès qu'ils marchent, que de blanches fleurs poussent sur leur passage, que le vol des oies s'infléchisse, les orages deviennent plus violents, se calment. Nous aimons les enfances monstrueuses, la cruauté qui très tôt apparaît. Ce n'est pas une enfance et une adolescence que nous attendons, mais leur vie de héros, de tyran réduite, résumée, qui n'attend que de se développer, qui n'offrira rien que ce qu'elle n'offre déjà. Nous sommes, bien sûr, toujours déçus, de la platitude de ces enfances pareilles à mille, à l'absence de crise. Nous voyons des pères absents et sévères, des mères distantes ou aimants. Et ensuite ?
Présence.
J'étais debout, je fumais, je tripotais un portable, je faisais quatre pas. J'étais mal à l'aise. Je tentais de donner une nouvelle forme à ma présence.
samedi 5 février 2011
Parents.
On évoquerait en vain ses parents, son père aimant, sa mère aimante, doux, exigeants, parfois distraits, parfois pressants, attentifs et pénibles, sur lesquels il put toujours compter, avec lesquels il passait des moments agréables, s'ils n'étaient pas trop fréquents. Elle était médecin, il était professeur.
Enchaînement à absolument faire.
à peine changement de paragraphe. Passage récit singulatif à récit itératif.
On se rend compte que le temps a passé. Mais juste ligne sautée.
On se rend compte que le temps a passé. Mais juste ligne sautée.
Julien m'a depuis longtemps...
Mimoso/Rama Yade.
Il avait une chose simplement troublante : une beauté aussi grande que son absence de talent. On le regardait, on le scrutait pour ne voir encore que sa beauté, qui n'ajoutait rien à son talent, à laquelle ses dons inexistants n'ôtaient rien. On espérait parfois. On se doutait parfois qu'on n'espérait rien, qu'on ne faisait qu'apprécier, toujours, sa grande beauté.
jeudi 3 février 2011
Identique aux minéraux.
La tristesse et son échec le tourmentèrent longtemps sans doute. Il dut se réveiller de nombreuses fois. Mais la tristesse l'épuisait aussi. Son énergie était peu de chose devant ces remords, ces veillées qui se prolongeait, le regard porté sur la rue, sur un lampadaire et son halo jaune. Il était peu de choses et sa douleur même finissait par ne plus être compliquée, par se résumer à si peu. Il s'était assez détesté, il s'enorgueillissait encore. Les longues souffrances sont la marque des grands orgueilleux. Mais tout se simplifiait. L'accablement le rendait identique aux minéraux.
Pot-aux-roses.
Il m'avait dit qu'une chose désespère lorsque l'on rentre en politique et qu'enfin les cercles et les sphères sont accessibles. On y trouve ce que l'on désire, le luxe et une certaine jouissance à exercer le pouvoir, mais que le pot-aux-roses, les lieux secrets où l'on choisit, les caves où tout se décide, n'existent pas.
265. Début de tel chapitre.
Les grandes manœuvres ont commencé.
Il y avait peu de chose en face : un président sortant, qui pourrait être haï s'il était capable de ne pas être médiocre et de tenter, pour une fois, une entreprise d'envergure, non pas d'œuvrer au mal, mais d'insulter honteusement et de faire arrêter, de détourner, de se retrouver, au petit matin, avec un cadavre, noyé dans une flaque, étonnamment pendu – s'il n'était pas tout simplement méprisé. Tout juste incapable, G. pouvait être réélu. Le Parti était puissant, divisé, si plein de haine qu'on n'était pas sûr d'aimer la victoire si un autre camarade que soi devait l'obtenir. L'enjeu était simple : contenir et faire disparaître l'ami, sans le détruire ni l'humilier, et dire rassembler lorsque l'on se trouverait devant G.
Le Parti était une grande machine. Précieuse et subtile et compliquée, sans doute, mais très sûrement tueuse.
[…]
Julien gagna. Sa victoire ne correspondait à aucun de ses plans. Aucun plan, parmi les défaits ou les vainqueurs, ne prévoyait ces ralliements inédits, ces décisions, les mouvements inexplicables de presque chaque faction, que les calculs les plus saugrenus, que la haine, si vieille, n'expliquaient pas. Les coups depuis deux ans pensés, décidés s'étaient presque neutralisés. Le vacarme serait reconstitué, plus tard, par les historiens les plus maniaques, et l'on saurait ce qui poussa à l'alliance des refondateurs et des réformateurs, des radicaux et des républicains, des démocrates et des promoteurs du pacte social, des écologistes, aux ruptures entre libéraux et libéraux démocrates, entre chrétiens réformistes et chrétiens sociaux. Il n'est pas sûr toutefois que les historiens parviennent à dire ce qui relevait du cynisme, de la seule volonté appliquée à prendre, à dominer et parfois à détruire, de la haine qui se moque de tout perdre pourvu qu'elle s'exerce et que l'ami de trente ans disparaisse, et des convictions. On ne parlait que d'elles, et l'on parlait la main sur le cœur. Mais elles existaient. Ils désiraient aussi agir. Ils oubliaient ces convictions, elles se rappelaient à eux et si, dix ans durant, ils n'avaient pas connu les sombres voitures offertes avec chauffeur, les honneurs, les rencontres avec les rois et les reines, et s'ils trouvaient que dix années durent longtemps, ils voulaient œuvrer au bien et transformer un pays qu'ils aimaient. Les accès de bonté ne sont pas plus rares que les accès de colère. Ils ne sont pas moins les symptômes d'un dérèglement. Mais dans la cohue de ces jours-ci, où amis, adversaires mais non ennemis, alliés objectifs, alliés fidèles, se foutaient sur la gueule avec une immense ferveur, alors que les majorités qui n'existaient pas étaient déjà défaites, il y eu des moments de bonté. La grâce n'existait pas, mais la certitude, partagée, qu'une journée ne devait pas être seulement noire. Héros, martyrs et, bien plus souvent, cocus et malins se succédèrent.
Julien ne fut pas aussi vertueux que les impuissants. Il ne fut pas terrible et tenta sa chance, parmi d'autres. Il dut rompre des alliances. Il permit au Parti, en soutenant H., de ne pas mourir. Julien put revendiquer, ce jour-là, d'être chanceux.
Il y avait peu de chose en face : un président sortant, qui pourrait être haï s'il était capable de ne pas être médiocre et de tenter, pour une fois, une entreprise d'envergure, non pas d'œuvrer au mal, mais d'insulter honteusement et de faire arrêter, de détourner, de se retrouver, au petit matin, avec un cadavre, noyé dans une flaque, étonnamment pendu – s'il n'était pas tout simplement méprisé. Tout juste incapable, G. pouvait être réélu. Le Parti était puissant, divisé, si plein de haine qu'on n'était pas sûr d'aimer la victoire si un autre camarade que soi devait l'obtenir. L'enjeu était simple : contenir et faire disparaître l'ami, sans le détruire ni l'humilier, et dire rassembler lorsque l'on se trouverait devant G.
Le Parti était une grande machine. Précieuse et subtile et compliquée, sans doute, mais très sûrement tueuse.
[…]
Julien gagna. Sa victoire ne correspondait à aucun de ses plans. Aucun plan, parmi les défaits ou les vainqueurs, ne prévoyait ces ralliements inédits, ces décisions, les mouvements inexplicables de presque chaque faction, que les calculs les plus saugrenus, que la haine, si vieille, n'expliquaient pas. Les coups depuis deux ans pensés, décidés s'étaient presque neutralisés. Le vacarme serait reconstitué, plus tard, par les historiens les plus maniaques, et l'on saurait ce qui poussa à l'alliance des refondateurs et des réformateurs, des radicaux et des républicains, des démocrates et des promoteurs du pacte social, des écologistes, aux ruptures entre libéraux et libéraux démocrates, entre chrétiens réformistes et chrétiens sociaux. Il n'est pas sûr toutefois que les historiens parviennent à dire ce qui relevait du cynisme, de la seule volonté appliquée à prendre, à dominer et parfois à détruire, de la haine qui se moque de tout perdre pourvu qu'elle s'exerce et que l'ami de trente ans disparaisse, et des convictions. On ne parlait que d'elles, et l'on parlait la main sur le cœur. Mais elles existaient. Ils désiraient aussi agir. Ils oubliaient ces convictions, elles se rappelaient à eux et si, dix ans durant, ils n'avaient pas connu les sombres voitures offertes avec chauffeur, les honneurs, les rencontres avec les rois et les reines, et s'ils trouvaient que dix années durent longtemps, ils voulaient œuvrer au bien et transformer un pays qu'ils aimaient. Les accès de bonté ne sont pas plus rares que les accès de colère. Ils ne sont pas moins les symptômes d'un dérèglement. Mais dans la cohue de ces jours-ci, où amis, adversaires mais non ennemis, alliés objectifs, alliés fidèles, se foutaient sur la gueule avec une immense ferveur, alors que les majorités qui n'existaient pas étaient déjà défaites, il y eu des moments de bonté. La grâce n'existait pas, mais la certitude, partagée, qu'une journée ne devait pas être seulement noire. Héros, martyrs et, bien plus souvent, cocus et malins se succédèrent.
Julien ne fut pas aussi vertueux que les impuissants. Il ne fut pas terrible et tenta sa chance, parmi d'autres. Il dut rompre des alliances. Il permit au Parti, en soutenant H., de ne pas mourir. Julien put revendiquer, ce jour-là, d'être chanceux.
Venin.
Il avait dit en séance plénière : Gardez votre venin. Mais Marin ne tuait pas. Il aurait plutôt été une bave, qui n'empoisonne pas, ne ronge pas et parvient, tout au plus, à ôter tout désir pour ce qu'elle touche.
264. Angoisses.
L'angoisse n'était plus rien pour lui. Elle ne différenciait pas des autres douleurs. Ses manifestations physiques, les mouvements de gorge, son dos plein de sueur, les poignets chauds, le front chaud, les veines qu'il sentait à présent, étaient celles de la fièvre. Quant aux causes de la chaleur et de la gorge qui brusquement épaissit, de la poitrine bloquée, inutile d'y voir autre chose que la fièvre, et pour la fièvre, il n'y avait qu'à accepter et attendre.
Il s'étendait sur son lit, le temps que les bras qui brûlaient, les jambes qui n'étaient plus redeviennent ses bras et ses jambes, que sa bouche rouvre enfin, qu'aucun battement ne soit plus perceptible. Hébétude suivie, mouvements rapides et confus, il fallait pareillement attendre. Il n'est pas sûr qu'en cherchant ce qui les suscitait, et qui, bien plus que la délivrance, expliquait les nuits à scruter le plafond ou la poussière sur sa table de chevet, expliquait la délivrance même, et qui la précédait, on trouve de quoi se satisfaire. Le bonheur de ses premières années, l'absence de vocation aux faits divers, l'amour, les amitiés dissimulent peut-être quelque sombre privilège, une terreur oubliée, d'autres erreurs encore, les portes qui se claquent, les jardins verts et roses et inquiétants. Qu'importe ?Penser à ce qu'il avait dit et fait était son sujet perpétuel, de même que s'accabler ou s'excuser et transformer chaque instant en prétoire. Quant à dire et s'avouer ce qu'il était, révéler des traits si communs, paresse, orgueil sans raison, banalité de la conversation qu'un jeu et des tours qu'il croyait inédits devaient faire oublier, absence d'intérêt et de choses à dire, égoïsme, médiocrité en un mot, mais aussi rage, impuissance, jalousie, esprit de revanche, lâcheté la plupart du temps, il ne le pouvait pas. S'examiner était brûlant et douloureux. Ses accès douloureux passaient. Les migraines ni les angoisses ne duraient.
Et lorsqu'il était interrogé, il consentait à se rendre commun : Voyons, vous savez que le bonheur n'existe pas.
263. Laqués.
Son appartement était grand, lumineux lorsque les rideaux étaient tirés. C'était l'œuvre de ses parents plutôt que la sienne mais enfin, il était bellement meublé et décoré. Il avait ce qui, pour moi, était la marque et la dernière étape de la richesses : les murs crème qu'encadrent des baguettes dorées organisées en rectangles, en cercles, les tableaux modernes, d'autres traits et d'autres cercles, les bergeries sombres. Des statues que je ne connaissais pas, mais étonnantes, belles sans doute, que j'aurais aimé comprendre et posséder, des meubles vieux et sombres, et des plafonds aux vieux tapis, le confort, l'ordre bourgeois, un désir de rester là pour les trente ans à venir. Cela ne faisait rien face à l'évidence de cette platitude : on souffre aussi dans les salons laqués.
mardi 1 février 2011
262. Bar.
Ne pas savoir, ne pas soucier de ne pas savoir, et puis ? Se désintéresser était moins grave que dire une platitude. Dire une platitude n'était rien. Nous nous connaissions. Nous savions lorsque une sottise ou, plus souvent, une banalité était imminente. Ne pas prononcer de phrases, rester dix minutes sans parler, poser son regard sur un journal oublié, ne pas le lire, ne pas même savoir que le grain de sucre que l'on scrute, que la cuillère que l'on tourne existent, ce n'était rien. Un immense « à quoi bon ? » se substituait à toute gêne, aux souffrances de la journée, à la certitude de ses insuffisances. Parler comptait peu, ou évoquer, une fois encore pour faussement s'accabler, pour s'examiner, pour accuser ou dire une fois de plus que les personnes comptent moins que les circonstances. Le bar presque vide. Les lumières oranges, basses. Il est dix-sept heures. Nous ne serons pas chassés, mais notre travail est fait, nous ne lirons plus, voilà deux, peut-être trois heures inutiles, et chères. Rien ne compte. Que le temps passe, nous savons qu'il passe, nous est indifférent.
Clan.
Ch. n'était pas seul. Un clan le précédait partout, et restait après lui. Des amis, des alliés, les directeurs et ce qu'un parti compte de trésoriers, de secrétaires, de porte-paroles, volaient, cachaient qu'on volait, niaient qu'on volait, et ne le quittaient pas. Sur les photos, ils posaient la main sur le cœur. Ils chantaient et buvaient et aimaient leur pays, qu'ils confondaient avec leur domaine, comme ils prenaient ses finances et ses caisses pour celles du parti, pour les leurs parfois. Aucune décision n'était prise sans qu'un ami ne l'ait voulu, que Ch. l'ait accepté, qu'un ami ou Ch. n'en profite. Ils étaient l'État. Personne n'aimait davantage le pays, ni ne le célébrait avec plus de ferveur. Un clan, qu'un chef de clan dominait, régnait.
Ronron.
Son ronron, c'était ces phrases cadencées, justes souvent, aux temps ingénieux, aux équilibres rarement précaires, le départ entre bien et mal, entre utile et nuisible était fait, les métaphores venaient décorer un texte superbe, si attendu pourtant, exprimé mille fois, de manière plus séduisante peut-être, lorsqu'il parlait, et que l'injustice et l'incertitude étaient congédiées. Nous étions tranquilles alors. Nous pouvions patienter. Les mauvaises décisions ne se confondaient pas avec ce qu'il proposait. Ce qui nous séduisait ne nous surprenait jamais. Nous l'écoutions peu d'ailleurs, nous savions non pas ce qui était bon pour nous, mais qui déciderait ce qui était bon.
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