jeudi 3 février 2011

265. Début de tel chapitre.

Les grandes manœuvres ont commencé.

Il y avait peu de chose en face : un président sortant, qui pourrait être haï s'il était capable de ne pas être médiocre et de tenter, pour une fois, une entreprise d'envergure, non pas d'œuvrer au mal, mais d'insulter honteusement et de faire arrêter, de détourner, de se retrouver, au petit matin, avec un cadavre, noyé dans une flaque, étonnamment pendu – s'il n'était pas tout simplement méprisé. Tout juste incapable, G. pouvait être réélu. Le Parti était puissant, divisé, si plein de haine qu'on n'était pas sûr d'aimer la victoire si un autre camarade que soi devait l'obtenir. L'enjeu était simple : contenir et faire disparaître l'ami, sans le détruire ni l'humilier, et dire rassembler lorsque l'on se trouverait devant G.

Le Parti était une grande machine. Précieuse et subtile et compliquée, sans doute, mais très sûrement tueuse.

[…]

Julien gagna. Sa victoire ne correspondait à aucun de ses plans. Aucun plan, parmi les défaits ou les vainqueurs, ne prévoyait ces ralliements inédits, ces décisions, les mouvements inexplicables de presque chaque faction, que les calculs les plus saugrenus, que la haine, si vieille, n'expliquaient pas. Les coups depuis deux ans pensés, décidés s'étaient presque neutralisés. Le vacarme serait reconstitué, plus tard, par les historiens les plus maniaques, et l'on saurait ce qui poussa à l'alliance des refondateurs et des réformateurs, des radicaux et des républicains, des démocrates et des promoteurs du pacte social, des écologistes, aux ruptures entre libéraux et libéraux démocrates, entre chrétiens réformistes et chrétiens sociaux. Il n'est pas sûr toutefois que les historiens parviennent à dire ce qui relevait du cynisme, de la seule volonté appliquée à prendre, à dominer et parfois à détruire, de la haine qui se moque de tout perdre pourvu qu'elle s'exerce et que l'ami de trente ans disparaisse, et des convictions. On ne parlait que d'elles, et l'on parlait la main sur le cœur. Mais elles existaient. Ils désiraient aussi agir. Ils oubliaient ces convictions, elles se rappelaient à eux et si, dix ans durant, ils n'avaient pas connu les sombres voitures offertes avec chauffeur, les honneurs, les rencontres avec les rois et les reines, et s'ils trouvaient que dix années durent longtemps, ils voulaient œuvrer au bien et transformer un pays qu'ils aimaient. Les accès de bonté ne sont pas plus rares que les accès de colère. Ils ne sont pas moins les symptômes d'un dérèglement. Mais dans la cohue de ces jours-ci, où amis, adversaires mais non ennemis, alliés objectifs, alliés fidèles, se foutaient sur la gueule avec une immense ferveur, alors que les majorités qui n'existaient pas étaient déjà défaites, il y eu des moments de bonté. La grâce n'existait pas, mais la certitude, partagée, qu'une journée ne devait pas être seulement noire. Héros, martyrs et, bien plus souvent, cocus et malins se succédèrent.

Julien ne fut pas aussi vertueux que les impuissants. Il ne fut pas terrible et tenta sa chance, parmi d'autres. Il dut rompre des alliances. Il permit au Parti, en soutenant H., de ne pas mourir. Julien put revendiquer, ce jour-là, d'être chanceux.

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