Une main a touché l'autre, qui repose sur une canne. Il ne va plus sans elle, ni sans le jeune élu, dont l'épaule accueille la main, et le bras, et cent trente kilos de puissance. La hanche, paraît-il, le fait souffrir. Sans doute est-ce pour cela que les jambes ont maigri, que la peau, quand il n'est pas maquillé, est rose et blanche, par plaques, que les cheveux deviennent rares, ces derniers temps, que les os cassent. Chacun sait que la douleur ne le quitte plus. Comme autrefois, on l'aime excessivement, on le méprise. Il le mérite. On ne parvient toujours pas à s'émouvoir. Les douleurs ne diminueront pas. Jusqu'au cimetière, il démentira et personne ne sera ému, ne l'aimera ni ne le méprisera moins.
À y regarder, les mains ne s'appuient pas sur la canne, mais la tiennent, et deux, trois doigts, maigres et fermes, sont une serre. La main ne lâchera pas, ni la paume l'autre paume.
Il est en colère, abruti, narquois, surpris, heureux, méfiant. Il a tous les visages. Il n'en change pas selon les circonstances, il n'est pas plus acteur qu'insincère, les portant successivement, cabotinant toujours, au-dessus de tout, portant la moue comme le sourire et l'indignation, puisqu'il n'y a pas de nouvelle ni d'idée qu'il ne puisse accueillir sans colère, sarcasme, et satisfaction. La surprise, pourtant, n'est jamais vraie : un dieu a du courroux et de la joie. Ses adversaires luttent-ils inutilement : il est agacé ; un ami gagne-t-il tel poste : il est satisfait, et sourit avec condescendance. Il n'est pas surpris.
Il aura tout connu, si ce n'est la mélancolie. Personne n'a plus d'arrogance. Il ne regrettera rien, n'aura peur de rien, peut-être de la mort, dont il parle, par bravade, en philosophe, par le scandale et l'humour, dont il parle comme il parle de tout, à laquelle il pense, et qu'elle prendra debout, main sur le pommeau, main sur la main, bouche ouverte, regard agacé, peut-être satisfait.
Aussitôt qu'il parle, il ne peut que s'égarer. Le voilà quittant la mairie où il a tenu un discours socialiste. Il monte en voiture, il est libéral. Il quitte le centre culturel, inauguré, et lâche une citation de Mao, De Gaulle, Lénine, Malraux, qui n'a qu'une interprétation, keynésienne. Là, il parle d'Israël, de la Palestine. Il y aura un procès qu'il gagnera. La tirade parle de nouveau la langue socialiste, il s'y ennuie aussitôt et scandalise. Il tonne devant les grands-mères du premier rang, radieuses. Une vanne raciste, un procès, un appel, une relaxe, un procès, un pourvoi. Il est édile, il s'enivre et contente ceux qui jouissent de se scandaliser. Personne n'est si imbécile, courageux, fanfaron, puissant.
Son accent est moins feint que ses colères.
Il est dans le fauteuil des tribuns. Les mains se nouent à la canne, qu'il prend à la main. Il mouline, montre un ennemi qu'il noie d'insultes, et sa région.