mercredi 3 mars 2010

62. Premier dialogue 1.

Nous nous promenons longuement, le long des quais. Pour l'instant, il ne m'est guère permis de le voir sans penser à ce qu'il fut. Il n'y a pas Julien et Julien Queuille.

Une semaine auparavant, je sonnais à sa porte. Rien ne m'avait surpris en le voyant. C'était sa voix, le plain-chant qu'il travaillait, la basse-taille, lui, interdit, la voix creusée et le fil de voix lorsqu'il était désemparé et le reconnaissait. C'était ses mouvements de bras, les yeux, le bras restant droit. Il ne m'était pas étranger et je savais quoi dire, ce qui l'aurait contrarié. J'amenais les sujets de conversations qui ne me décevraient pas. J'avais lu des entretiens, connaissais ses goûts, les questions triomphaient de difficultés que je créais, qui n'étaient rien pour qui savait la réponse (or, il ne changeait pas d'avis, il pensait plutôt qu'avoir un avis sur ces questions-là ne présentait pas d'intérêt). C'était de fausses conversations qu'avaient de faux interlocuteurs. Je ne le compris pas immédiatement. Ce défaut était alors inédit pour moi : je ne parlais pas de moi. C'était une joie commune de s'intéresser à lui. Nos conversations n'en étaient pas, roulaient sur si peu de choses que je n'ose m'en souvenir.

Un « et vous ? » me glaça. Je n'étais rien. Je devais le laisser parler. J'étais encore jeune, journaliste, ou chroniqueur, ou essayiste, et j'écoutais. Mais il ne me nourrissait pas. Je pensais à ce qu'il me disait. Voilà peu de choses. Je dus ne plus être journaliste, ou thésard, ou essayiste.

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