lundi 8 mars 2010

66. Son coeur.

Il était un analyste passionnant. L'écouter me faisait entrer dans un système de causes et de conséquences heureux. Tout s'expliquait, se tenait. Les évidences s'imposaient à moi. Poulies, cornues, architectures, rouages : tout marchait, roulait. Le système avait aussi ses double-tiroirs et ses faux miroirs (ses alambics à torsade, si l'on veut, ses secrets mécanismes). Une boutade ou une déclaration à l'emporte-pièce me décontenançait. Il écartait d'un revers de mains certaines évidences, se jetait en d'autres : il allait haut. Je me révoltais, j'étais séduit. Paradoxes et banalités passaient. Tout s'expliquait. Une concession devenait lumineuse.

Il ne parlait plus. Je sortais alors d'un rêve. Je n'aurais pas plus répété (même imparfaitement) ce qu'il venait de dire que reconstruit ce qu'il levait de manière si virtuose. Une formule restait, dont je comprenais la saveur paradoxale, sans pouvoir l'expliquer ni la contester. Une vérité qu'un quart d'heure transforme en charmant souvenir, en aphorisme, en bon mot (sarcastique, faussement ingénu ?) n'est plus une vérité.

Mes objections ne résistaient pas au revers de sa main, mais je commençait à comprendre. Je savais où le menaient ses marottes. Surtout, je compris qu'il analysait moins la France et le monde que lui même. Les vérités bien senties (et leur demi-sourire), les impeccables chaînes de donc, de bien que qu'un jeu de mot concluait, l'inquiétude du raisonnement, janséniste, histrion, secret : ce n'était pas le monde, mais Julien.

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