lundi 29 novembre 2010

Y.

Le beau costume, les traits et les cheveux et le costume impeccables, la musculature que l'on devine et une vie que l'on soupçonne saine et banale, tendre aussi, désirable, même, et les traits où l'on cherche une raison de ne pas désespérer, lisses, réguliers. Un nom prétentieux qui n'est pas ridicule cependant.

Châtier.

Vous savez que désigner et châtier les coupables me séduit toujours.

220. Naissance d'un pont.

Il ne savait ce qui relevait des lignes et des plaques, faces, dés, d'autres cubes, par tiges et lacs qui montaient l'enveloppaient et prenaient le nom de fatigue, qui devaient pareillement l'accabler et le ceindre, qu'il goûtait sans pouvoir toutefois supporter, auquel il refusait de s'abandonner, dont la seule jouissance signifierait le sommeil et la fin de toute jouissance. Pareillement, il goûtait au travail accompli en même temps qu'à ses effets et au plaisir d'être rompu et d'avoir fait.

Ces douleurs c'était un pont qu'il fit ce matin même, les cendres et fumées. Ce dos courbé était les vallées qui se creusaient et s'apaisaient, cédaient aux champs, aux betteraves, c'était ses doigts usés et courbés, une nouvelle usine, mille emplois, c'était la migraine et les voiles sorties, vers un monde de caisses et de départs, le ronron des voitures à venir, c'était la main qui soudain s'était levée, contractée, la ronde colonne du cou, la force du cou, cédant, la main qui soudain pend, Julien terrassé, les chiffres du matin.

mardi 16 novembre 2010

219. Parlez librement.

Il aimait cette expression qui était la plus terrible. Il se sentait grand et puissant de dire ces mots, de même que se sentait puissant, candidat à l'orgueil et aux responsabilités, celui qui l'écoutait. Et pareillement, pour chacun la certitude que la liberté et la transparence permettraient à deux intelligences et à deux cœurs de parler et, moins de parler que de se taire et de goûter des harmoniques nouvelles et, pourtant, déjà sues. Et chaque fois, ce n'était pas deux cœurs intelligents qui parlaient, mais une vie et son expérience, et la manière dont cette expérience a agrégé des marottes et des désirs, innocents certes, mais si personnels qu'on n'a pas à les dire, un filtre pour le monde et les choses de ce monde, la syntaxe que cette vie s'est constituée, par laquelle elle exprime ce qu'elle sent, ce qu'elle est donc, ce monde et cette syntaxe qui cognait comme un autre monde et son expression particulière. Si bien qu'à chaque fois, chacun se demandait qui était en face, quels obsessions sottes le guident, comment peut-il ne pas connaître cela, qu'a-t-il fait de ma riche et belle proposition : parlez librement. La déception était double, et pareillement double le refus d'entrer dans d'autres sphères, la certitude de sa médiocrité et la certitude de l'emporter, pour quelques raison secrète qu'on n'a pas même pénétrée, de l'emporter sur tous.

Mec métro.

Il était de ceux dont l'âme pend aux joues, dont les corps mobiles s'affichent et disent peur, plaisirs brutaux et secrets, colères terribles et sans doute minables, vulgarité, orgueil pendant encore, à ses joues, les yeux fixes et bleus. Les taches et plaques connaissaient tous les soubresauts de la rame et montraient, par moments, les rougeurs, de laides irrégularités, la pointe d'une plaie, les marques et les signes. Il y avait les lunettes carrées, la chemise à carreaux, un imperméable vieux sans être usé. Il avait dû connaître des guerres, le regard ne cillait pas.

.

Je rachèterai tout par ma souffrance secrète.

Barbares.

Il le savait, le malheur viendrait de ce qu'on les aurait considérés comme des barbares. Ils l'étaient pourtant. Il ne parvenait pas à se défaire de sa condescendance et de sa violence, qu'il regrettait toute deux, sans lesquelles il ne pouvait agir. Il savait qu'il y aurait des joies et souvent, des satisfactions, mais que la fin était déjà sur, le désastre et la délivrance.

lundi 8 novembre 2010

218. Origines.

Allons plus avant. Rien n'annonce la délivrance, nous semble-t-il. Julien n'est pas né, ses parents ne se connaissent pas. Ni celui qui frappe, ni ceux qui mourront, ne sont nés, ce qui suscita le malheur, et les feux, dans la nuit, et la colère ne s'est pas manifesté. Sommes-nous à la nuit des origines, aux fleuves que nous voulons bleus et gris, et montant vers quelle source, les paysages gris et ternes, les plantes qui tombent, les feuilles grandes, malades, les pins premiers, le thé des marais, le ciel noir, qui s'effile ? Nous n'y trouvons plus de serpents. Déjà les bêtes ont disparu, les premières choses à pattes ou nageantes et, maintenant, rien qui remue. L'eau sale ne contient rien. Les fleuves passent, et baissent, suintent à présent, le sol est une paroi. Y trouverons-nous quelque chose ? Des symptômes trouvent-ils là une cause ? Y a-t-il, dans la mer des origines, et dans le désir d'aller plus loin, de quoi étancher notre soif de causes ?

dimanche 7 novembre 2010

217. Enfance.

Voici l'enfance. Tout s'y joue, dit-t-on. Je ne désire pas savoir d'où vient ce caractère, trouver d'autres raisons que celles qu'il avance ou qu'il refuse, pénétrer ailleurs que dans ses mensonges ou ses hontes et trouver, plus loin, quelle infime chose, pour quelles ondes de choc, tapie, plus profondément déposée, tombée. Nous n'y pénétrerons pas pour y trouver un motif, une violence première, à contempler puis déloger. Nous y trouverions une série de goûts, quelques figures, ce qui a trait au plaisir, à la violence et à la mort.

Ce furent des années bourgeoises et heureuses. Il y eut ce qui compose toute enfance, les soucis matériels peut-être nommés, mais n'existant pas, les disputes et les séparations, rarement la solitude, rarement la faim, la tristesse, des joies et des victoires raisonnables, de bonnes notes. Il y trouva de quoi composer une vie politique ou, plus modestement une vie, avec ses désirs, ses revanches à prendre, sa soif, quelques amertumes qui suscitent l'action sans l'obséder.

Y voyons-nous la délivrance ?

216. Serviteurs (2).

Dès lors, les serviteurs qui ploient étaient la médiocrité et la brutalité, les choses closes et protégées. La protection, qui était le calme, devenait le privilège, de là l'insensibilité, la faute. Les serviteurs étaient déjà laquais, fats, aux sourires ironiques, aux servilités payées et récompensées par ce qu'ils prétendent savoir, par les secrets qu'ils pensent détenir, qui sont faux ou insignifiants, par leur retenue même, insultants. Ils étaient la permanence aussi. Ils avaient une vie mais personne ne s'en souciait, ils appartenait à un corps renouvelé, insouciant. Rien ne dépassait, rien n'entamait les sphères. Ils survivaient quand passaient les rois, s'accoutumaient à tout. Ils n'étaient pas seulement une raison de s'indigner, le luxe inouï, en dépit de tout. Ils rappelaient sans cesse aux maîtres suprêmes, à ceux qui disposaient d'eux, qu'eux même ne changeraient jamais, et que les mouvements politiques ne suscitait pas même un haussement de cil. Leur précision, leur délicatesse, les gants et les colliers, cédaient sans cesse devant le roi qui passait. Mais ils se courbaient, esquivaient tous les traits destinés aux puissants, humble jusqu'à toucher le sol, inutiles, dispos, propres et glorieux, d'une gloire mesquine et femelle, souriaient, disparaissaient, seraient là dans trente ans.

215. Luxe.

Bonne idée, mal écrit.

J'aimerais décrire la vie de luxe qu'il connut, que je peux difficilement imaginer. Je conçois qu'il y ait des dorures, les murs pâles, ou crèmes, l'or qui pend, les tableaux Régence, les belles natures, les corbeilles et la soie, les robes et les jupons, les natures mortes, ailleurs le cuir, les meubles qui craquent, brun, acajou, ocre. J'imagine les bureaux et les antichambres. Il connu aussi les couloirs blancs, les murs de papier, les fleurs et les feuilles, les pruniers, les laques noires, la simplicité qui donne une idée de ce que vivent les dieux. Et dans ses déplacements, c'était aussi les perles et les soies, de hautes arcades, les pierres centenaires. J'aimerais savoir si ce luxe le modifia. Son aise bourgeoise ne l'avait cependant pas accoutumé au bois de rose, aux charpentes peintes, aux tapis de fleurs. Pensait-il aux clochetons et serviteurs ? Il les regrettait sans doute, il avait aimait l'assurance d'être délivré enfin des contingences, de la matière même, d'être la seule disponibilité à l'action. Il l'associait cependant à la gloire et l'orgueil, à sa fortune passée qui était désormais liée à sa faute, à ses fatuités, à la délivrance et à la mort.

Scène ?

La chambre n'était pas noire, mais dorée, chocolat. Les ombres des statuettes étaient africaines, rayaient le mur de brun et de cuivre. Le sol était un damier, pareillement sombre et d'or. Il était étendu sur un lit, et nulle chaleur ne l'accablait.

Nul, mais ambiance semblable ?

samedi 6 novembre 2010

214. Corps de mort.

C'était dans la petite chambre qui jouxtait son bureau. Nous voyions son corps allongé. Il n'était pas mort et méritait sans doute de l'être. Ses beaux traits avaient enflé, ne pendaient pas. Sous de nouvelles masses, ils s'étaient tendus, gelés et mobiles à la fois, prêts, disponibles. Ses yeux fermés semblaient bouger, un agacement les parcourait encore, et ne semblait les vouer qu'au repos. Il était pâle. Il ne méritait pas le soleil qu'il fuyait, et des pâles traits, du corps peut-être musclé, mais fort et presque gras, désirable sans être vivant, paraissaient son orgueil, son humour presque involontaire, instantané, cédant aussitôt au mépris, sa brutalité. De ses costumes noirs et blancs, sa cravate, ses lunettes de soleil, l'enterrement auquel il se destinait chaque matin, les plaques de morts formant son visage, c'était encore une lassitude qui l'excluait presque du commerce des hommes. La colère et les passions pouvaient l'animer, le désir, non pas celles qui donnaient la vie, la peur même lui était refusée, l'amour qui cédait aussi à sa volonté, toujours plus grande, n'étant toutefois pas la vie. Encore une fois, il serait bientôt mort, tout en lui le disait, on le redoutait, on regrettait que ce ne soit pas le cas. Il était fragile comme les hommes de quarante ans, lorsqu'ils refusent de connaître leur faiblesse. Il appelait le criminel qui le viserait bientôt.

vendredi 5 novembre 2010

Point rouge.

Les puissances étaient aussi le point rouge qu'il portait à sa veste.

213. Changement/Scène.

Je ne sais pas dans quelle partie. Faire une scène. Celui qui ne suscitait peut-être pas le respect mais la pitié. Tout le monde reconnaît qu'il a échoué, qu'on est mieux à sa place qu'à la sienne, mais qu'il a fait de son mieux et que la situation ne pouvait se conclure que par un désastre.

La voix a des inflexions nouvelles, les yeux ont roulé. C'est à ce moment que l'on comprend, d'ordinaire, que l'homme bon, et juste, qui a sans doute échoué, qui a pourtant fait de son mieux, a quelque chose de forcé, et comme d'insincère dans le regard, dans la voix, dans les mains qui bougent rapidement, dans le port et dans la jambe qui vient toucher l'autre jambe. Les phrases se suivent, mais le ronron ne fonctionnent plus. Il y a une menace dans chaque phrase. Maintenant, le monstre peut s'éveiller et enfin révéler ses plans - nous pouvons enfin nous coucher, et prendre une aspirine. Son assurance, les doigts levés, jouant sur les doigts, la jonquille sur le bureau, le portait, le bois des meubles et des portraits nous insupportent. Il y a une conspiration dans la jonquille, le costume, la chemise froissée, vers la taille, dans la mécanique qui ne fonctionne plus, la victoire trop parfaite, quelques morts récentes, des révélations désagréables, un mensonge qui serait suivis de tant d'autres, pour quel crime, pour conserver le pouvoir, parmi les bois et le sous-main d'or et de cuir. On tuerait pour la cravate nouée et les tableaux aux murs. Un œil ne vient pas comme il devrait, et tourne. Les bras et les mains se sont vidées. Les mouvements brusques, un regard de fou sont maintenant assis au bureau, signent distraitement des papiers officiels. Sa haute taille trop enveloppée de secrets. Est-on devenu fou, présente-t-on l'autre forme de folie qu'est la lucidité ?

Cyniques (II).

Il s'avoue parfois, qu'il est une ordure, et ne renonce par pour autant à son grand orgueil. Il ruine le monde et, pourtant, sait qu'il l'a sauvé. Il s'insinue et profite de tout, reste un grand prince. Il s'oublie comme le font les orgueilleux, son front s'est levé et se penche vers le ciel, personne n'est moins dupe du monde ni de soi. Rien n'est plus naïf qu'un cynique, son orgueil l'empêche de n'être que noir. Un sourire reste dessiné sur son visage. Il a le sarcasme et la beauté. Les chroniqueurs disputeront des mérites d'un criminel fat et brillant.

jeudi 4 novembre 2010

212. Cyniques.

Les cyniques existent, mais le froid ni les serpents ne les concernent. Ils calculent sans doute, réduisent le monde à un calcul et, sans doute, le regrettent, voudraient qu'il soit autre, l'admettent et décident d'en tirer profit. Parfois, il ne se console pas du désordre du monde, avoue qu'il est impuissant. Le cynique, à de rares moments, dit l'être. Il dispose de quelques anecdotes et de quelques phrases vulgaires, par lesquelles il sépare les dessillés des naïfs, les inévitables perdants des maîtres. Il dit que rien ne lui importe sinon sa personne. Il s'écoute et ne sait pas si la honte ou la joie le grise. Il hésite encore entre tonner et sourire. Il ne parvient pas à se convaincre, dans ce qu'il a de tendre et ce qu'il a de simplement bête, et parfois d'ignoble. Souvent, il se trouve bon. Il ne parvient pas à quitter la sphère où la bonté et l'honnêteté, ou le simple bien ne se négocient pas, où ils peuvent cependant être atteints par d'autres moyens, plus discutables. Ils n'ont pas été envisagés de prime abord et, à tout le moins, surprennent. Mais l'orgueil et le besoin de se rassurer, de tenir un discours auquel on croit enfin l'emportent. Celui qui renverse l'État, devient l'État, brûle et tue ne le fait que pour le peuple et le pays. Qui juge et tue ne fait qu'exercer, sous une forme moins conventionnelle, plus efficace aussi, la justice. Le voleur se venge et devient pareillement une forme de justice. Les serpents sont peu nombreux, les monstres froids, les habitants de l'ombre et du calcul ne sont pas si rares à s'admirer bons et généreux, à mentir et à se mentir. Ils appartiennent au mal et ne le désirent pas. Ils le condamnent tous. Ils cherchent à s'en extraire, ils expliquent qu'un bien vient toujours d'un mal. Ils apportent le malheur au monde et se désolent que le malheur existe. Ils tentent d'y remédier, en l'accroissant. Il faut encore explorer le cynique qui se contredit, qui ne se repend ni ne se convainc jamais. Qui doit souffrir, sans doute, et qui ne parvient pas à faire cesser la douleur, à se ranger parmi l'honnête et le bon, qu'il frôle et désire, et n'atteint pas, ni même à accroître cette douleur, la porter à son point d'incandescence, froid, et dire enfin tout est calcul. Sur un lit d'hôpital, il dira encore j'ai voulu, j'ai tant cherché et, sans doute, y croira.

Epigraphe.

Vous vous figurez, vous autres, que votre mépris existe.

mercredi 3 novembre 2010

211. Se perpétuait.

Le pouvoir se perpétuait en dépit de celui qui l'exerçait, changeait-il de nom, de visage, de boutique ou de goût politique et, en dépit ce qui était proposé ou discuté, œuvrait. Ce n'était pas secrètement, par un complot, par la concertation de quelques uns, mais silencieusement, que les mêmes intérêts étaient préservés, puis servis, qu'en dépit de tout, presque un projet, mais personne ne se réunissait pour décider, une direction que rien ne remettait en cause, qui était d'autant moins critiquée qu'elle apparaissait, dans sa netteté, sa cohérence, à de rares personnes, qui l'approuvaient presque toutes, tandis que les fâcheux, certes écoutés, ne convainquaient pas. Les débats terribles, les accusations terribles, étaient lancés, passaient. Une dynastie passait, un homme, son successeur et en dépit, des haines qui les lièrent vingt ans, tout se poursuivait. Avons-nous prise sur ce qui se poursuit sans avoir décidé, sans être consulté, sans savoir même que cela se poursuit ? Attentats, motions acceptées, assemblées dissoutes et renouvelées... Rien n'était plus stable, plus évident et pourtant difficile à scruter, rien ne changerait.

210. Il gagnait à être connu.

Il gagnait à être connu – sans nul doute. Il devait être un bon père, un bon mari (un bon amant), un ami fidèle et drôle et sincère. Un enfant sautait sur ses genoux, une main flattait le chien, l'autre, l'épouse. Son goût n'était pas discuté. Son musée des arts asiatiques était remarquable -plus que le rapprochement avec la Chine. Les films qu'il avait aimés, ce qu'il lisait, tout était parfait. Ses fréquentations encore, les rapports qu'il entretenait avec le Parti, avec les autres partis, avec les divers présidents, qui tous le trouvaient courtois, charmant, qui tous louaient sa conversation, son intelligence, et une bienveillance qui n'esquivait rien et devenait, lorsqu'il fallait, fermeté. Il mettait à l'aise, parlait empereurs, pots, fleurs, thé, déserts froids, grandes invasions, estampes fleuries. Nous nous sentions à l'aise. Hélas, les vertus privées ne font pas oublier un gouvernement médiocre et, par moments, médiocre et brutal.

Laissez cela.

Laissez cela à l'opposition.

Ce n'était pas même l'ennui, une forme plus sévère de fatigue ou de découragement. Quels que furent ses gestes et ces soupirs, il ne disait qu'une chose : vous ne prouverez rien.

mardi 2 novembre 2010

Subjectivité.

Une subjectivité que cent pages épuisent.

209. Sexe.

A faire moins bêtement périphrastique.

Nous savons (nous imaginons) ce qu'a été leur vie privée, non celle du foyer, le bonheur qui est souvent feint, qui est pensé, disposé, mais le bonheur effectif et, cette fois-ci, secret. La honte, les grandes jouissances qui sont prudentes, les mesures et les règles n'ont rien empêché, nous savons. Nous ne sommes cependant pas intéressés. Ses fièvres, que chaque secrétaire doive le suivre et s'oublier, pas longtemps, quelques minutes, que chaque nouvelle recrue fasse comme chaque secrétaire, que la maison sache et s'en accommode, que nous le sachons enfin, cela importe peu. Les ministères reçoivent des filles et des garçons, fort jeunes. Nous savons la drogue et l'alcool que l'on consomme, parmi les filles et les garçons. Les petites menottes. Sous imaginons ce qui se lève, au matin, s'habille lentement, sans qu'on n'ait pénétré cette lenteur, tranquillité ou stupeur, honte de la veille, qui ne s'est pas accoutumée à soi. Les chemises qui couvrent la peau, douce encore, et abîmée, les bleus et les marques, les gazes blanches qui gonflent et se foncent. Le sourire qui ne tient qu'à l'habitude, qui fait oublier la douleur de la nuit, et la honte, on ne sait quel bonheur, quel apaisement. Nous nous ne nous intéressons pas à cela, qui fait rire, qui court, que l'on chuchote dans les cours et les salons, à quoi aucune puissance ne résisterait : le scandale qui tient à l'horreur et aux rires. Nous n'y voyons rien puisque rien ne se sait, où ne se sait que tard. Lorsqu'exceptionnellement, l'on meurt dans les bras de sa maîtresse, les bons mots se multiplient, l'on offre à la France vingt ans de blagues et de scies, et puis ? Les bains de sang n'ont pas existé, les convois de vierges, l'amant qui était l'amant de la femme, celui de la fille, les ministres aux expériences rares. Les turpitudes, les pratiques basses, tapies, révèlent sans doute bien des choses. Faire l'expérience de sa maîtrise, de la soumission, des épreuves et de la gloire, nous intéresse, mais dans d'autres situations. Nous les désirons moins codées, surtout, moins propres à déclencher les sarcasmes, la réprobation, les désirs qui empêchent, eux aussi, d'accéder au symptôme et à la cause qui l'a suscité. Qui offrent des images, des règles et des lieux où nous voudrions des explications, d'autres images, d'autres rêves, que notre désir pourtant n'anime pas, ou un désir plus ancien, moins tributaire des rires épais. Le mystère des hommes et des femmes n'est pas leurs bras passés, les lèvres qu'ils offrent, l'abandon, la soumission désirée ; plutôt la voix qui tremble et tonne cependant, la main posée sur l'accoudoir, la main qui pend et tremble pareillement, le soleil qui s'oublie, la nuit à scruter un mur.

208. Secrets d'Etat.

Nous désirons les secrets d'État, savoir qui a tué, qui a demandé de tuer, qui espionna, versa le poison, envoya ses hommes, et l'homme à la mer. Nous savons enfin, cent ans plus tard, ce que furent ces secrets, et qu'il n'y eut pas d'assassin, pas d'espion, que la bataille fut perdue pour de bonnes raisons, que les traitres n'existèrent pas. Cent ans passent donc et nous découvrons ces secrets : des chiffres et des codes, nous les comprenons enfin, voici des latitudes, des navires, des troupes, de vieilles planques, des cartes et des lieux que nous ne reconnaissons même pas. Les codes donnent des chiffres, des pages, d'autres codes et des cartes, pareillement chiffrées, illisibles, sur un blockhaus qu'occupèrent, un soir, des soldats, des caches d'armes, prises dans la rouille, une banque, un or pas même détourné, des positions, des figures. Nous désirons des monstres, il n'y a pas de monstres. Nous désirons le pot-aux-roses : les fuites au petit matin, l'héritier substitué, l'arsenic dans le café, maîtresses, amants, qui arma la main, le conseiller roué de coups et trouvé sur la grève, et n'avons que des chiffres.

lundi 1 novembre 2010

207. Deux héros.

Les premiers décident et ne tremblent pas. Par une somme de chances et de réussites, leur volonté, qu'ils ont fixée, est inentamée. Que le doute existe, ils en conviennent, qu'ils puisse s'appliquer à leur action et à leur volonté, ils le savent pareillement. Seulement, ce n'est pas le cas. Tout prend la couleur de l'évidence, et qu'elle ne colore pas chaque instant et chaque mouvement qui précède la décision ne serait pas compris. Elle n'est pas envisagée et n'est pas plus vécue. Elle ne serait pas admise. L'orgueil pathologique a cela de pratique qu'il prend et modèle ce qui le menace. Ils ne trembleront pas. Ce qui relève de l'intelligence, de l'instinct, de la morale même, l'action politique, qui est maintenant une action guerrière, est fondu et trempé en une même volonté. Rien ne tremble lorsque la décision est prise. D'autres décident et tremblent. Ce n'est pas qu'ils hésitent. Ils savent quelle est la situation et quelle action doit être entreprise. Ils sont peut-être plus conscients que les premiers. Ils tremblent puisqu'il savent ce que leur décision comporte de risque, de sottise, quand bien même elle serait inévitable. Ils savent pareillement de quoi seront suivis l'assaut, le décret, et tremblent des conséquences. Leurs succès seront moindre, ils ne sont pas faits comme les héros. Pourtant, le combat doit être mené, ils le mèneront. Ils feront les mêmes gestes, se regarderont les faire, sauront qu'ils ont raison, en dépit des conséquences. Il y a plus d'héroïsme dans la peur qui ne se décheville pas, les soupçons, les remords, les scrupules inutiles, toutes les raisons d'empêcher l'action, l'accablement, qui ne l'empêchent pas d'être menée au moment opportun, d'être menée avec énergie, même si la honte se mêle à l'énergie, et les remords et les scrupules, quand d'autres, plus beaux, ne trembleraient pas. Le général, le chef de file inflexible savent tout juste que le risque est grand et qu'ils font l'histoire, du moins leur histoire. Les autres, plus minces, le savent et savent bien plus, leur faiblesse d'abord. Des vibrations parcourent les doigts, les mains qu'aucun cal n'a durci, la garde et le porte-document. Les manches se lestent de sueur et le front a tiédi. Leur voix, féminine et sans grâce, criera « Maintenant ».

206. Scrupules.

C'était le moment où les vieilles dames tombent, où la balle tombe, où l'ont fait les gestes pour rattraper, où tout indique qu'on a désiré, qu'on a œuvré pour rattraper dames et balles. D'où cependant est absent le geste maladroit et fait d'instinct, le bras tordu, la bouche ahurie (tout est resté convenable), qui eussent touché la balle, le bras qui sauvât. La peur d'échouer, les convenances, la peur de se salir, tout ce qui relève des scrupules, dans ce qu'ils ont de prétendument généreux, de digne, et qui ne vient et n'aboutit qu'à la peur, l'ont empêché. La satisfaction n'est cependant pas impossible, la morale et l'honneur ont été sollicité, on a fait ce qu'on a pu. D'autres satisfactions montent encore, cordiaux, enveloppent la poitrine et ce qui y tremble, enveloppent pareillement la certitude de n'avoir qu'essayé, désiré. Les médiocres peuvent de nouveau s'assoupir, désirer, essayer, rien ne leur sera reproché. Leur sommeil couvrira tout, leurs actions, une bonne volonté, qu'ils doivent ranger parmi les vertus, et peut-être parmi ce qui sauve le monde.