samedi 15 janvier 2011

239. Technocrates.

C'était l'autre visage du pouvoir, morne et peut-être chagrin, les longs visages bourgeois. Ce n'est pas l'appétit qu'on y devine, mais la satisfaction que procure le travail bien mené, le monde qui va, une arrogance rentrée, une incompréhension presque touchante pour tout ce qui est inattendu. Une imagination nulle sans doute, une intelligence sue, estimée, des performances grises, sans équivalent, la compétence qui l'emporte sur toutes : l'aptitude à faire tourner machines et boutiques, à faire rouler le monde. Ce sont ces personnages qui, de tout temps, ont porté sur leur visage, dans leur costume, dans ces mains qui n'ont jamais tremblé, la démarche sûre et sans grâce, sur leur regard absent, le secret de la puissance. Les secrets les ont rendus gris. Eux seuls qui ne convoitent rien, que la flamme ne prend jamais, puisqu'ils possèdent, et qu'une possession supérieure à la leur ne relève pas du désir, mais de l'ordre des choses, qu'elle est acquise, qu'elle l'est de tout temps. Ce sont les grands bourgeois que le pouvoir n'impressionne pas, ni ses pompes, ni ce qu'il suscite.

Ils ne s'effraient pas. Les révolutions les surprennent plus qu'elle ne les perturbent. On a pu les persécuter, de temps à autres, les gouvernements tentent de s'en passer. Ils ne comprennent pas. Passés au pouvoir réel, ils ne s'intéressent pas aux dorures des édifices officiels, aux bancs, aux séances, aux cabinets qui se forment, qui démissionnent parfois, aux femmes et aux hommes qui laissent la place à d'autres femmes et à d'autres hommes, qu'on n'oublient pas et qui disposent d'à peine moins de pouvoir qu'au moment où il exultaient et choisissaient. Ils restent lorsque la majorité vide les lieux. Ils sont ailleurs et siègent aussi, comités, conseils, assemblées que personne n'élit, qui ne représentent personne, et qui décident cependant. Ils pourraient être laids, ou parfois séduisants s'ils n'étaient antipathiques, si ternes qu'ils deviennent tristes. Costumes gris, chemises rouges, il passent. Parfois, une page de magazine recueille un semblant de sourire. Le regard se voudrait décidé. Sont-ils satisfait du monde dont ils disposent ? Sans doute.

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