Nos conversations auraient ennuyé tout le monde. Elles nous ennuyaient parfois. Nous ne disions rien alors. Nous n'étions pas gênés. Les lumières municipales brillaient déjà, le soleil disparaissait. Nous ne cherchions qu'un prétexte pour patienter, et rejoindre le prochain restaurant.
Nous n'avions que de rares sujets, sinon ceux que l'actualité nous offrait et dont nous ne disions rien, sinon notre satisfaction ou notre agacement, nous excusant d'avoir évoqué telles choses insignifiantes qui nous étaient sans cesse rappelées, que nous n'avions la force de tenir à distance, s'imposant enfin et nous forçant d'être communs. Nos sentiments ne nous étaient pas propres mais, enfin, nous avions abandonné l'habitude de repousser les évidences partagées. Qu'elles ne nous indisposent pas, et nous les acceptions. Quand nous étions fatigués, nous l'écartions tout simplement. Nous étions plus paresseux que bilieux. Rien n'avait prise sur moi. Les choses passaient, me disais-je. Les derniers à parler avaient de si bons arguments qu'ils ne pouvaient qu'avoir raison. La malhonnêteté intellectuelle me faisait horreur, mais pouvais-je la déceler ?
Moins d'une demi-douzaine de sujets ou de questions fournissaient tous nos entretiens : « Que penses-tu de la dernière proposition du gouvernement ? » ; « Quel bon spectacle peut-on voir ? » ; « Le temps s'adoucira-t-il bientôt ? » ; « Quel livre lis-tu ? » ; « Quel film ? ». C'était tout. Nos silences duraient. Les infortunes de nos vies quotidiennes nous alimentaient parfois. Tout n'était pas prétexte à anecdote mais nous n'évitions rien. Nous riions sans déplaisir. Qu'est-ce que cela fait nous prenait. Nous sortions à peine de cette torpeur. Les vieillards tiennent parfois une après-midi avec deux phrases, les prononcent et contemplent le banc d'en face, un lézard, l'ombre du clocher qui tombe. Nous étions des vieillards. C'était l'heure de rentrer. Nous étions satisfaits.
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