Il aurait été juif, asiatique il y a cent ans. Sa peau était sombre, sans doute, dorée, olive, appelait moins les plages et le soleil que le sable qui brûle ou enfouit. Il était presque maigre. C'était un gilet, une échancrure trop grande, une chemise mal taillée, mal repassée, un pantalon sans doute usé, comme les chaussures, le pantalon, qui n'étaient pas des signes de pauvreté, et moins de négligence que d'une secrète et, en somme, très visible, coquetterie. Tenait-il du sage, scrutant, se desséchant devant ses secrets ou du révolutionnaire de stricte observance léniniste ? Sa prose nerveuse, honnête, les secrets de sa petite écriture menaient-ils au matérialisme didactique ou à la migration des âmes. Il portait des lunettes métalliques, rondes. Il comptait déjà parmi les vieillards et avait, comme eux, une patience et des colères désagréables, des débauches rares, nécessaires et qu'il cachait, la détermination de ceux que la mort prend bientôt. Il ne savait pas qu'il était beau ou intelligent. Il était estimé, parfois aimé, mais il souriait trop peu, trop rapidement. On tentait de le conserver près de soi. Il était convié aux fêtes, ne partait pas toujours mais on savait que le fréquenter ne pouvait durer et, qu'un jour, de la même écriture probe, nerveuse, il attaquerait et détruirait ce que nous appelons économie, religion, société. Chacune de ses phrases, la plus simple, marquait à la fois ses scrupules et sa détermination. Son projet l'emportait sur tout, qu'il connaissait seul, qui ne devait pas se résumer différemment de bien travailler et être sérieux. Il avait des carnets, bruns, marron, qui fascinaient les jeunes filles qui l'approchaient, qui ne contenaient rien sans doute, étaient, comme lui scolaire, appliqué, scrupuleux plus que de raison, à la fois tristes et gros d'un mystère que seul le temps, pensait-on, découvrirait. Nous espérions qu'il ne deviendrait pas ingénieur.
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