vendredi 21 janvier 2011

251. Sur ****.

Monsieur de F. ne passait pas pour un homme grave mais il était sérieux. Son sérieux avait prise sur tout, envahissait tout et il n'y avait de conversation qui, lorsqu'il était présent, et sans que personne ne l'eût fait mander, ne s'adressât même à lui ou à ce qu'il pouvait représenter, qui ne tournât à l'entretien de théologie, à l'examen de conscience, au débat terrible et monstrueux auquel participaient héros et renégats, dont ne sortaient que des héros et des vaincus. Il n'était point sans charme ni talent, sa pénétration de vue suscitait l'estime générale et comme unanime mais tout se gâchait par la constance et l'ardeur, la fureur parfois, avec lesquelles il se flattait lui-même. Il s'admirait, il se réservait encore les encens les plus choisis.

Lorsqu'il cessait de s'adorer, il ne pouvait trouver d'autre sujet que lui-même et s'accablait de reproches infinis et peut-être plus sujettes à l'orgueil que ces fleurs et ces lauriers qu'il ne méritait pas plus. C'était des scrupules que personne ne comprenait, des hontes subites et cruelles, où toute mesure était perdue, des croix continuelles qu'il s'infligeait et qu'il trouvait délicieuses, parce qu'elles lui permettaient encore de penser à lui, de rester pénétré de sa personne et de son œuvre, de trouver d'autres sources à l'orgueil quand il semblait tari.

En outre, une fureur à ne point appartenir au commun, dans ce qu'il était, dans ses opinions, baroques, extravagantes, dans des subtilités que son goût de l'inédit rendait ridicules et, lorsqu'il parlait clairement et sans galimatias, qu'on se forçait à l'écouter, les opinions les plus communes. Un orgueil enfin qui se nourrissait de tout, poussé et chauffé par une vie à se mettre en scène même lorsque tout spectateur était parti et qu'il restait seul à se contempler, que tout enhardissait, que les plus basses flatteries n'effrayaient en rien, des fatuités soudaines et sans raison, enfin des libertés que rien n'autorisait, compliquées par des scrupules toujours recommencés. Avec cela, des regards de comploteurs bas et douloureux, la certitude, en souhaitant une bonne journée, d'œuvrer au perfectionnement et sans doute au Salut du monde, des mouvements qui tournaient à l'inquiétude, un dos qui se voûtait inutilement, les mains agitées et parfois secouées.

A tout moment, de grands rires secouaient son corps svelte comme un enfant, sans que personne ne sût ce qui suscitait ces rires, comme si les grandes tensions qui le parcouraient, les mouvements désordonnés et furieux aboutissaient à quelque point de rupture et qu'une secousse permettait encore de le relancer, et soit qu'il s'indignât, soit qu'il se châtiât, soit encore qu'il décidât de ne point paraître pour d'autant plus se montrer, d'éclater plus encore.

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