Première page (bonne, à nourrir du dossier 0).
Voici un projet de préface, ce qui m'a guidé de nombreux mois et que j'ai abandonné :
« Voici la vie d'un homme de bien. J'aimerais dire ce qu'il fut pour moi : moins un maître qu'un ami, l'occasion de découvrir un homme de bonne volonté.
Je ne savais pas qu'ils existaient encore ou, plus simplement, qu'ils existaient. L'occasion également de me sentir bon, moi même, bon et riche, de disposer d'un centre autour duquel graviter, d'où voir partir les rayons. Ce n'était pas, j'insiste, un moyen en vue d'une fin : connaissance et gloire, prétexte pour œuvrer et enfin apparaître à tous. C'était peut-être ce qui m'a conduit à me présenter à lui : l'homme que chacun dut aimer, que chacun oublia ensuite, qui sut concentrer l'amour, mais sur lequel le mépris ne trouva pas prise, non qu'il ne le suscita pas, mais, aussitôt victorieux, il fut présomptueux, et bientôt défait. La défaite était plus triste que la honte publique, que de devenir une référence usée et détestée : la défaite et son châtiment furent de disparaître.
Je suis trop jeune pour l'avoir vu disparaître. Il devint ministre d'État en *****. J'ai trente ans. Des amis, des parents se souviennent de certaines choses, moins un slogan ou une voix qu'une impression, son visage benoît, et qui mérite si peu. Julien n'a pas à subir leurs sarcasmes. Ils ne le connaissant pas assez pour cela. Les maîtres, les spécialistes même haussent les épaules.
Disons-le d'une traite : fils de la grande bourgeoisie de Lyon, Julien Queuille s'engage au Parti *** en ****, par son talent et quelques hasards accède à des postes importants du Parti, devient secrétaire d'État, ministre, ministre d'État. Il envoie l'armée près de tours et de voitures qui brûlent. Vingt-deux morts le conduisent à la démission et à un oubli presque instantané.
Disons-le aussi : c'était un sujet parfait pour l'ambitieux que j'étais, que je suis toujours : grand journaliste, essayiste talentueux. La puissance et le néant ; la bonté, la bonne volonté, transparente, ce que le mal à de moins pénétrable ; la bassesse et l'or et le cuir des ministères ; l'impouvoir. Chacun le connaissait un peu et n'en savait rien.
Nous sommes cependant devenus amis. »
C'était par ce beau silence que s'achevait la préface. Les premiers chapitres évoquaient circonstances, impressions.
C'était le début de la préface. J'épargne au lecteur les considérations sur « les vertus privées » d'un homme qui expliquent sa « conduite publique ». Des phrases n'étaient pas désagréables, se balançaient bien : « ….......................................... » « ….................................... » « ….............................. »
Tout était là. J'hésitais encore (l'ordre serait-il chronologique ? suivrait-il l'évolution de nos relations, de sa carrière ?) Ai-je une raison précise de renoncer à ce projet ? Il nous importe à tous, je pense, de travailler et d'être rassuré de laisser une part à l'intuition, à l'instinct, que nous avons largement circonscrit déjà.
Voici un projet de préface, ce qui m'a guidé de nombreux mois et que j'ai abandonné :
« Voici la vie d'un homme de bien. J'aimerais dire ce qu'il fut pour moi : moins un maître qu'un ami, l'occasion de découvrir un homme de bonne volonté.
Je ne savais pas qu'ils existaient encore ou, plus simplement, qu'ils existaient. L'occasion également de me sentir bon, moi même, bon et riche, de disposer d'un centre autour duquel graviter, d'où voir partir les rayons. Ce n'était pas, j'insiste, un moyen en vue d'une fin : connaissance et gloire, prétexte pour œuvrer et enfin apparaître à tous. C'était peut-être ce qui m'a conduit à me présenter à lui : l'homme que chacun dut aimer, que chacun oublia ensuite, qui sut concentrer l'amour, mais sur lequel le mépris ne trouva pas prise, non qu'il ne le suscita pas, mais, aussitôt victorieux, il fut présomptueux, et bientôt défait. La défaite était plus triste que la honte publique, que de devenir une référence usée et détestée : la défaite et son châtiment furent de disparaître.
Je suis trop jeune pour l'avoir vu disparaître. Il devint ministre d'État en *****. J'ai trente ans. Des amis, des parents se souviennent de certaines choses, moins un slogan ou une voix qu'une impression, son visage benoît, et qui mérite si peu. Julien n'a pas à subir leurs sarcasmes. Ils ne le connaissant pas assez pour cela. Les maîtres, les spécialistes même haussent les épaules.
Disons-le d'une traite : fils de la grande bourgeoisie de Lyon, Julien Queuille s'engage au Parti *** en ****, par son talent et quelques hasards accède à des postes importants du Parti, devient secrétaire d'État, ministre, ministre d'État. Il envoie l'armée près de tours et de voitures qui brûlent. Vingt-deux morts le conduisent à la démission et à un oubli presque instantané.
Disons-le aussi : c'était un sujet parfait pour l'ambitieux que j'étais, que je suis toujours : grand journaliste, essayiste talentueux. La puissance et le néant ; la bonté, la bonne volonté, transparente, ce que le mal à de moins pénétrable ; la bassesse et l'or et le cuir des ministères ; l'impouvoir. Chacun le connaissait un peu et n'en savait rien.
Nous sommes cependant devenus amis. »
C'était par ce beau silence que s'achevait la préface. Les premiers chapitres évoquaient circonstances, impressions.
C'était le début de la préface. J'épargne au lecteur les considérations sur « les vertus privées » d'un homme qui expliquent sa « conduite publique ». Des phrases n'étaient pas désagréables, se balançaient bien : « ….......................................... » « ….................................... » « ….............................. »
Tout était là. J'hésitais encore (l'ordre serait-il chronologique ? suivrait-il l'évolution de nos relations, de sa carrière ?) Ai-je une raison précise de renoncer à ce projet ? Il nous importe à tous, je pense, de travailler et d'être rassuré de laisser une part à l'intuition, à l'instinct, que nous avons largement circonscrit déjà.
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