Voici enfin par quoi j'aurais dû commencer :
[…] Attentat No 113 [...]
Mon lecteur se souvient que les journaux romançaient plus encore.
C'était peut-être faire jouer les grandes orgues (qui ne sont pas inutiles toutefois, qui, plus que nous séduire, finissent par nous changer, nous font devenir la somme d'images, de phrases qui ne sont qu'à nous, que nous avons raison de n'attribuer qu'à nous, si attendues pourtant, accablantes, si proche de notre vérité dernière : des médiocres qui ne se résignent pas à l'être, et tentent de l'oublier, et collectent donc images, phrases, utilement, et se consolent, et qui n'oublient pas, au dernier moment, un de ces talismans, parfois remarquablement choisi).
C'était une bonne chose de retarder tout cela. L'essentiel, disons-le vite : ils n'étaient plus des victimes, ils n'étaient plus des prétextes, plus de remarquables arguments électoraux, plus la force de réserve du prolétariat bientôt insurgé, plus des craintes, plus des damnés, ils n'étaient plus ceux qui envahissaient les nuits de chauffeurs de bus, de médecins, de professeurs, mais ceux qui avait été persécutés et qui persécutaient désormais. Leur (grande) souffrance ne disparaissait pas. Seulement, d'autres grandes souffrances commençaient à la valoir.
Rien n'est instantané. Nous aimons les dates, les ruptures. Julien n'était rien de plus que cette rupture. Il était bien un symbole, c'était toutefois une erreur de symbole de ma part. Il n'est pas le foudre et la faiblesse, l'orgueil et trente ans d'humiliations, etc. L'homme est devenu mon ami, mais il n'est pas un homme. Il n'est pas une cause, à peine un symptôme. Il compte parmi les symboles sinistres et éclatants. Il est une date. Ce qu'est devenu notre monde, les causes de nos souffrances excèdent largement Julien, ses fautes, son impuissance. A partir de Julien cependant, d'autres que les fascistes ou les racistes, d'autres que les fous, les faibles, ceux dont le profit et le plaisir viennent des désastres qu'ils annoncent, d'autres que les vieillards eurent peur.
Je revois Julien : pièces spacieuses, lumière naturelle qu'une grande verrière laisse passer, l'inévitable bibliothèque (quoique classique, fort bon, ce que l'humaniste sauverait lors de tout naufrage), les bronzes, les tableaux modernes, le blanc qui n'oublie aucun mur. C'était un monde noble, qui n'était dépourvu de courage ni de délicatesse, de fraternité, et de bonne conscience, en toute occasion, qui était englouti ; personne ne le saurait.
Les fumées, [reprendre termes de l'attentat, corps, tôles ?] les grands hommes qui tombent et qui ont tenu, nous inspirent de la tristesse. Elle est sans doute méritée, comme le respect. Mais Julien Queuille, son honneur, notre faiblesse, nos mouvements contradictoires ou velléitaires, les fautes et les intentions de ne pas faire de fautes : nous avons fait ce désastre.
[…] Attentat No 113 [...]
Mon lecteur se souvient que les journaux romançaient plus encore.
C'était peut-être faire jouer les grandes orgues (qui ne sont pas inutiles toutefois, qui, plus que nous séduire, finissent par nous changer, nous font devenir la somme d'images, de phrases qui ne sont qu'à nous, que nous avons raison de n'attribuer qu'à nous, si attendues pourtant, accablantes, si proche de notre vérité dernière : des médiocres qui ne se résignent pas à l'être, et tentent de l'oublier, et collectent donc images, phrases, utilement, et se consolent, et qui n'oublient pas, au dernier moment, un de ces talismans, parfois remarquablement choisi).
C'était une bonne chose de retarder tout cela. L'essentiel, disons-le vite : ils n'étaient plus des victimes, ils n'étaient plus des prétextes, plus de remarquables arguments électoraux, plus la force de réserve du prolétariat bientôt insurgé, plus des craintes, plus des damnés, ils n'étaient plus ceux qui envahissaient les nuits de chauffeurs de bus, de médecins, de professeurs, mais ceux qui avait été persécutés et qui persécutaient désormais. Leur (grande) souffrance ne disparaissait pas. Seulement, d'autres grandes souffrances commençaient à la valoir.
Rien n'est instantané. Nous aimons les dates, les ruptures. Julien n'était rien de plus que cette rupture. Il était bien un symbole, c'était toutefois une erreur de symbole de ma part. Il n'est pas le foudre et la faiblesse, l'orgueil et trente ans d'humiliations, etc. L'homme est devenu mon ami, mais il n'est pas un homme. Il n'est pas une cause, à peine un symptôme. Il compte parmi les symboles sinistres et éclatants. Il est une date. Ce qu'est devenu notre monde, les causes de nos souffrances excèdent largement Julien, ses fautes, son impuissance. A partir de Julien cependant, d'autres que les fascistes ou les racistes, d'autres que les fous, les faibles, ceux dont le profit et le plaisir viennent des désastres qu'ils annoncent, d'autres que les vieillards eurent peur.
Je revois Julien : pièces spacieuses, lumière naturelle qu'une grande verrière laisse passer, l'inévitable bibliothèque (quoique classique, fort bon, ce que l'humaniste sauverait lors de tout naufrage), les bronzes, les tableaux modernes, le blanc qui n'oublie aucun mur. C'était un monde noble, qui n'était dépourvu de courage ni de délicatesse, de fraternité, et de bonne conscience, en toute occasion, qui était englouti ; personne ne le saurait.
Les fumées, [reprendre termes de l'attentat, corps, tôles ?] les grands hommes qui tombent et qui ont tenu, nous inspirent de la tristesse. Elle est sans doute méritée, comme le respect. Mais Julien Queuille, son honneur, notre faiblesse, nos mouvements contradictoires ou velléitaires, les fautes et les intentions de ne pas faire de fautes : nous avons fait ce désastre.
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