dimanche 19 septembre 2010

138. Chapitre III (2).

Ces mélanges le concernent si peu. Il est mort. Vivant, son orgueil ne s'en serait pas nourri. Sa faute, sauf en nos entretiens et lors de quelques promenades dont je parlerai plus tard, se confondait avec sa vie intérieure, s'était substituée à ce qu'il était. Ils n'auraient pas diminué le sentiment de cette faute. Ce n'était pas un puits à combler : il était ce puits.

***

Julien, tu es sans doute coupable de cette nuit-là, et la punition que tu t'es réservée, la faute sentie chaque jour, les vingt-deux morts comptés pendant quarante ans, celle que le monde a prononcée, ton oubli, ne sont pas injustes. Cinq ans à essayer, le désastre final, ton départ : qui dira que tu es innocent ?

Tu n'étais cependant pas coupable de tout. Tu pouvais si peu. C'était une bonne chose de manifester, d'exercer parfois ta bonne volonté, de tenter, même avec ce peu de résultat, cet impouvoir. Peu d'hommes peuvent le dire : rien en toi ne suscite le sarcasme/Tu mérites des injures, non les sarcasmes.

Je ne vois pas de quoi tu serais une cause, ni même le début. Encore une fois, tu es tout au plus un symptôme. A mes yeux, tu es aussi un symbole. Le désastre et ton départ revêtent un sens simple : l'impuissance n'est plus l'objet d'un débat. Chacun l'admet à présent. Ceux qui l'admettaient jadis pouvaient en rire, voyaient là l'occasion de quelques bons mots, déploraient et condamnaient, mais se satisfaisaient. Cassandre, pour qui sait la jouer et en tirer profit, est source de joie, et du plus simple des plaisirs mauvais : ruiner ce qui fait la joie du voisin. Les porteurs de mauvaises nouvelles meurent satisfaits. Nous connaissons à présent notre faiblesse. Nous savons aussi que passer outre, qu'exercer notre force sur ce qui nous résiste, ne plus accepter, prononcer le mot qui fait de nous des hommes, non, entrer dans un système de causes, fait de nous des criminels.

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