jeudi 23 septembre 2010

148. Projet de fin (I).

Ce qu'ont été mes années de joie, la gloire, la main qui se tend et ramène une main, un verre, cela est loin.

Les vieillards ont d'autres passions. Me voilà vieux, faible, mes joies sont plus douces, plus mesurées. Mais passons sur ma vie présente : ce qui déjà s'appesantit ; ce qui est lourd, et qui fondra, tendre quand l'agonie aura commencé. Voilà ce que j'affronterai. Et la mort au petit matin, devant un mur blanc, une main froide sur ma main, la table où fond un cachet, chargée, qu'un grand geste fera voler. Le matin qui promet, comme d'autres, une visite, les nouvelles de ceux qui vivent, le froid et un café à l'abri, pages lues et pages écrites, la soif toujours. Le poids disparaît. La gravité qui sera si forte dans un instant ne s'exerce plus. L'univers n'a plus de centre. Des brumes, belles sans doute, dépourvues d'angoisse. Il passe sur moi et ne vient plus me frapper.

Julien est si vieux à présent. Je pourrais dire qu'il vit en moi : nous avons été amis, des joies nous furent communes, je n'ai cessé de penser à lui. Et je pense encore à cette nuit : l'homme de bien se charge de crimes. La bonne volonté ne s'exerce pas différemment de celle des cyniques. Mais je suis oublié comme il a été. J'ai du mal à rassembler ce que je suis et ce dont je me souviens.

Cette nuit ne me quitte pas. Et ce qu'il me dit jadis, que j'ai cru, et qui était sincère, ne se distingue plus de la légende, des commentaires qui suivirent. De cette nuit, il ne reste pour lui, pour moi qui me souviens, que les mots qu'il ne prononça pas. Qu'une seconde passe et j'oublierai qu'ils ne furent pas de lui.

La phrase était, me semble-t-il : J'offre au monde une grande délivrance.

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