dimanche 12 décembre 2010

230. Marin.

On a beaucoup évoqué sa « complexité ». C'était souvent d'habiles commentateurs, sans doute des dialecticiens, et des amis, qui l'avaient approché, et plus que tout, l'avaient éprouvé. Il y avait, selon eux, le tacticien, le compagnon fidèle, celui qui aimait la France et celui que l'argent fascinait.

Julien, qui le combattit, y voit moins de détours, et moins de couches à celui qui, plus facilement qu'un oignon, se dévoile. Pour les êtres, les vérités définitives existent-elles ? Peut-on se saisir en quelques phrases ?

Marin, comme tant d'autres, était tout entier conduit par son désir de pouvoir. Ses réseaux et ses amis couvraient toute la terre. Il les sollicitait souvent, afin d'avoir un pouvoir accru, plus étendu par toute la terre. Qu'en faisait-il ? Peu de choses, sinon augmenter encore ce qui était de l'emprise et de l'étendue. Dévorer sans être rassasié accumuler sans fin, porter sa main de marquis sur le monde, et le scruter, et ne pas jouir de sa contemplation, ni même cesser de le convoiter et de, plus encore, l'accaparer. Marin était seul, profondément, et saisir entre le pouce et l'index le monde le désennuyait quelque peu, lui permettait de ne pas scruter le vide. Il n'était pas complexe. Il était un néant qui tentait, désespéré, de posséder, et plus que tout, d'être. Il était le vide. Il aspirait. Tout serait à lui, il ne serait rien. Il avait lui même tenté de se convaincre, en même temps qu'il séduisait les électeurs, qu'il se proposait un être et un destin, une série de valeurs et de projets. Il changeait de discours, non d'avis. L'homme public ne désavouait ni n'adhérait à ce que proposait le candidat. Il assistait. Il était au spectacle. Il se jugeait séduisant en défenseur des valeurs familiales, en promoteur d'un libéralisme à la française, en défenseur d'un modèle social menacé. Il l'oubliait et, d'un cynisme éprouvé, ou absolument désespéré, ce qui revenait au même, il assistait à un changement qui concernait moins son être que ses périodes et ses discours. Il passait.

229. JQ.

Voici Julien Queuille. Ce que nous voyons de séduisant, d'enjoué, de sérieux, d'appliqué même, ce qui reste de l'ancien écolier et de l'ancien étudiant, du militant, ce que nous devinons d'éprouvé, d'usé par le pouvoir et, plus que tout, par sa propre faiblesse, par la certitude que ce qu'il a d'enjoué, de sérieux et de puissant ne peut qu'échouer, tout est là. Les habits (la veste et la chemise et la cravate) détonnent un peu, par leurs couleurs et leurs matières. Les yeux se sont allumés. Il ne sait pas pour quoi. Il se souvient cependant que cette énergie disponible, son tempérament qui ne verse pas dans la mélancolie, son enjouement et son sérieux, l'esprit d'enfance qui toujours l'anime, lui seront inutiles. C'est la même photographie qu'à l'instant. Le sourire est plus triste. Un pan de visage s'est déformé, semble inquiet et le sourire qui le relève effraie. La barbe n'a pas été rasée depuis deux jours. Il commence à perdre ses cheveux.

228. Marin-du-Néant.

C'est un prince. On aimerait voir un prince du mal. Seuls son visage et sa main sont visibles. Un manteau noir, dont on ne distingue ni les boutons ni le col, ni même les manches couvre tout, est une grande tache noire, qui s'étend aux autres manteaux, au ciel aussi, confond le ciel et les hommes, est une mare noire dont sortent des pointes d'argent, des ganses et des visages. Il y a des képis plus loin. Les généraux, l'armée entoure le prince. Il est faible sans doute, et le regard reste volontaire. L'on sent la puissance dans la main qui reste le long du corps, qui tient toujours, qui sort d'une longue tache noire, et appelle le monde à rejoindre la tache et la puissance. Une cour est en sortie, et parade, comme le prince et comme le mal paradent, s'étendent aux blanches montagnes, qui déjà aspirent à la nuit, et au long manteau dont ne sort rien, sinon de vieilles mains, des bâtons de maréchaux, les forces qui couvent, le quitteront et iront sur le monde. Sa bienveillance ne semble pas entamée, ni son sourire de qui dispose de toutes les forces de la nation.

C'est Marin. Fort et vide. On sait qu'il existe, et sa main et son visage l'attestent, et son immense intelligence, la certitude d'avoir un monde entre l'index et le pouce, l'équilibre entre la préservation et la destruction de ce monde, en lui, l'immense lassitude d'être, la fatigue d'avoir à choisir, la certitude de n'avoir rien à entreprendre, et, ce qui l'emportera, le vague à l'âme, la paresse même, et le monde sera sauvé. Rien ne sortira de la tache noire qu'une main et qu'un visage. Marin promènera son sourire usé sur le monde. Il donnera encore, à Julien, le désir plus grand que tout de pleurer. Puissance, savoir, tache qui appelle à elle les forces qui sont et qui appellent la menace... Prince du néant.

dimanche 5 décembre 2010

227. Wikileaks.

Voilà, le pot-aux-roses est dévoilé. Nous saurons bientôt ce qu'ont dit et fait les grands. Nous connaîtrons les désirs et les mobiles secrets. Quelques princes œuvrent et décident de tout. Ils sont bientôt nus.

Nous lisons ce qui menace le monde et qu'on a caché au monde entier. Nous n'apprenons rien. Ce que nous pensions, ils le pensaient aussi, ils l'écrivaient. Cet homme est faible, cet homme est fou. Et nous sommes déçus. Nous devrions ajouter la lucidité à la déception. Rien n'a été dévoilé parce qu'il n'y a pas de secrets, ou du moins, que ces secrets sont des nombres, des positions sur des cartes.

Nous sommes d'autant plus méfiants. On nous trompe de manière plus sournoise encore. Ces révélations de seconde-main nous laissent présager des secrets plus enfouis, plus anciens et terribles. Nous mesurons ce qu'on nous cache à l'aune de ce qu'on nous a montré. Cherchons plus avant. Cherchons les lignes entre les lignes, les plans derrière les plans. Nous voici dans un bureau, et qui n'est qu'une antichambre. Cherchons la chambre secrète. Nous la trouverons et serons encore déçu. Nous aurons d'autres rideaux à soulever, d'autres bibliothèques à faire pivoter.

226. Voici la mort

Voici la mort.

Elle ne vient pas d'une balle manquée. Ce n'est pas plus le cancer des princes qui, après avoir touché la prostate, s'étend à l'estomac, aux poumons, plus avant dans les tissus et nous corrompt moins qu'il ne nous remplace. Nous le savons : notre mort viendra presque trop tard et nous y aurons déjà pensé, nous l'aurons attendue, préparée sans doute. Nous saurons, nous savons déjà, à quoi penser, quel souvenir, quel geste, quelle prière, que dire, quel dernier vers dire et répéter. Nous ne mourrons pas dans notre sommeil. Nous aurons déjà renoncé au pouvoir et à l'amour. Notre vie nous sera apparue de nombreuses fois, et nous n'aurons, pas plus que dans la vie qui vient de passer, réussi à lui donner une cohérence, à trouver deux phrases qui coïncideraient avec ce que nous estimons être nous à dire « voilà ce que je suis ». Nous sommes déjà résignés. Ce qui s'insinue en nous est moins terrible qu'un poison, pourtant. C'est le sentiment de ce que nous avons échoué, de ce que nous avons réussi et qui, désormais, n'est pas même un souvenir. Ce que nous aurions dû faire, et la certitude que l'ayant fait, nous n'aurions été meilleurs ou plus heureux.

Nous ne mourrons pas glorieux. Rien ne relèvera du sacrifice, du symbole, de la grandeur à laquelle nous avons aspiré. Ce sera au petit matin, sans doute, quand l'air frais est presque douloureux. Nous dirons ces quelques mots. Nous nous sommes vu agripper des nappes, faire voler les tables à nos côtes, injurier, nous oublier. Nous serons pareillement calmes, nous nous serons persuadés de consentir à tout. Nous guetterons l'éclair, la torpeur douloureuse pour un instant, l'éclair qui nous éteindra, la minuscule douleur, le vertige passager auquel on ne survit pas. Ce sera une crise cardiaque. Les doigts se crispent. Nous y sommes.

samedi 4 décembre 2010

225. Colère.

Assister à ses colères, c'était être au spectacle. Les choses volaient. Il devenait grossier. Il était d'autant plus violent et grossier que ses colères étaient feintes, que les vraies, la fureur et le feu qui devaient tomber du ciel n'étaient pas visibles, qu'il les contenait et brûlait de les garder, de disposer de tant d'énergie. Il lui arrivait, de plus en plus souvent, de constater l'écart entre ce qu'il éprouvait et ce qu'il eût été normal d'éprouver. Rien ne parcourait ses bras, ni haussait et rendait douloureuses les sensations. Alors, il suscitait l'énergie qu'il n'avait pas, qui l'avait fait puissant, jadis. Il tonnait. Il n'était pas assez furieux et ajoutait la vulgarité et les insultes. On tremblait alors, quand les vases tombaient. Il avait là un plaisir qu'on lui refusait ailleurs.

Qu'ajoutaient merde, bordel de dieu, putain de dieu ? Le dieu était mécontent et insultait dieu. Joues rouges et enflées, veines désormais visibles, il était plus terrible à mesure que sa santé lui était enlevée, l'usure qui le menaçait s'étendait aux autres, le feu qui le prenait s'étendait, vaste, et embraserait le ministère avec.

jeudi 2 décembre 2010

Unie.

Il souffre d'une souffrance qui n'est pas unie, et qui ajoute à la souffrance.

Sa souffrance n'était pas unie, et ajoutait à la souffrance.

224. Saint-Guillaume.

Il marchait enveloppé de ses secrets.

On imaginait tout ce que contenait son sourire ironique, qui n'était toutefois pas sans bienveillance. Nous nous occupons de tout. Faites nous confiance. Et la cuisine, un cynisme presque officiel, qui plaisait toutefois. Il n'était pas devenu riche. Mais tout ce qui prétendait à la puissance, dans le pays, dépendait de sa puissance. Son sourire ne s'effaçait pas, et les mains allaient et venaient. Ses prévenances étaient infinies, caressant, gentil, insinuant, offrant une liqueur, un canard, il exécutait, désarmait et charmait, louant un ennemi inattendu, la petite chapelle d'Uzès, les ors baroques, un volume oublié de mémoires. Tout allait tranquille, il n'y aurait pas à changer, pas même à presser le pas. Il séduisait moins qu'il endormait, et passait, sous les palmes et les arcs, tendait la main, sa chevalière, les Vierges que priait ma mère, les cèdres, les chemins pavés de pierres dures.

Il était ce que le Parti et les Français détestaient : la culture, et sous prétexte de culture, les intérêts propres qui se confondent avec ceux de l'État, et le faire sans cynisme, puisqu'il était, et tout le monde le savait l'État. Il était la France éternelle. Il était Blois et Saint-Amant. Il était, pareillement, les flûtes basses, les chapelles noires, l'affût, le matin, parmi les roseaux. Personne ne suscitait mieux la grandeur, ni ne la préparait moins. Sa mort, prochaine, lui faisait oublier que le pays vivrait encore, et ce que se récitent les agoniques, leur rosaire secret, dont ils suivent les perles, quitte à n'en garder qu'une, au dernier moment, dédorée, est, plus que tout, inutile.

Sacrifices.

Il évoquait ses sacrifices.

223. Sa volonté intacte.

Ce n'était plus une émotion, un désir, choses, trames tendues, un objectif. L'objectif était à présent moins qu'un point et moins qu'une lumière. Ce n'était pas plus une chaleur, le monde diminué, rougeoyant, dont on ne sait s'il annonce le désastre ou l'agonie. Ce n'était plus l'horizon, le soleil devant lequel passent les formes noires. Ou bien les plans et les lignes qui parcourent les plans. C'était moins qu'une douleur. Rien n'existait que cela : la victoire à venir. On lui parlait. Ce qui lui était présenté, par ses amis et par les choses, le monde sensible, cessait d'être. Les calculs n'étaient plus le soleil rouge, le point, n'étaient plus, ni les cartes ou les colonnes, ou les six mots qui, répétés, faisaient un slogan. C'était sa réélection. Sa volonté intacte.


222. Bon médecin.

Il y avait aussi le bon médecin de famille. Il avait voulu devenir maire et bien sûr, ne le serait jamais. Non que bien est toujours défait devant le mal et l'arrogance du mal, que ses secrets réseaux, les cœur qu'il envahit et pourrit l'emportent sur les justes et les bons. Il était pareillement avide. Seulement il était faible. Ses sourires étaient tristes, ses mains douces et molles. Il ne consolait pas d'un rhume. Il l'oublia complètement.

221. Premier souvenir politique.

C'était son premier souvenir politique. Trente personnes qu'un manque de chance, que le désœuvrement rassemblent pour nous, que trente délégués et responsables encadrent. Nous avons cinq, six ans, et pour nos six ans, tout relève de la nécessité et, de l'ordre du monde, de le stabilité de ce que rien ne mine. Et que les limites apparaissent, que le monde apparaisse par moments plus grand et moins certain, c'est tout au plus un désagrément qui nous accable, un malaise que nous expliquerons, dans dix ans, sans doute. C'était le maire et les médiocres qui cernaient le maire, c'était comme d'habitude un malaise, la possibilité de subir plus que de comprendre. On parlait aspirations, politique politicienne, priorité numéro 1, défense de notre patrimoine. Les choses étaient ainsi divisées, les choses qui n'étaient pas encore compliquées, s'ordonnaient. Était-ce de sa laideur, l'œuf simple, sa tête, de la veste de chasseur, des cheveux rares que venaient le malaise, le cœur vidé puis étreint, et déjà humide du métal froid qui l'emplissait ? On était hypnotisé par le ventre et les mouvements des lèvres, la vulgarité et la terrible joie, sa satisfaction qu'on ne comprendrait pas plus à présent, un mystère bruyant et d'un quintal, lui qui rayonnait à onze heures. Il n'aimait pas le monde qu'on désirait qu'il convoite, les olives et les terrains de tennis, et le ciel laid, plein de soleil. Il oublia tout, dès qu'il le put.


Qu'en restait-il ? La conviction que les panses énormes étaient dispensées de faire de la politique. Qu'il n'était pas possible de concilier quelque dignité et d'être, comme G., un homme politique, qu'à sa condition d'élu, de responsable, se mêlait nécessairement la vulgarité, la division du monde en bons et en mauvais, en amis et en exclus, les buffets apéritifs, la présence au marché et aux salles de sport, qu'il accepter de perdre sa dignité, et qu'il remplacerait la joie, ce qui débordait de l'homme et qui n'était pas un ventre, par ses souffrances, qu'il agirait cependant, qu'il oublierait la pureté et connaîtrait le remords.

lundi 29 novembre 2010

Y.

Le beau costume, les traits et les cheveux et le costume impeccables, la musculature que l'on devine et une vie que l'on soupçonne saine et banale, tendre aussi, désirable, même, et les traits où l'on cherche une raison de ne pas désespérer, lisses, réguliers. Un nom prétentieux qui n'est pas ridicule cependant.

Châtier.

Vous savez que désigner et châtier les coupables me séduit toujours.

220. Naissance d'un pont.

Il ne savait ce qui relevait des lignes et des plaques, faces, dés, d'autres cubes, par tiges et lacs qui montaient l'enveloppaient et prenaient le nom de fatigue, qui devaient pareillement l'accabler et le ceindre, qu'il goûtait sans pouvoir toutefois supporter, auquel il refusait de s'abandonner, dont la seule jouissance signifierait le sommeil et la fin de toute jouissance. Pareillement, il goûtait au travail accompli en même temps qu'à ses effets et au plaisir d'être rompu et d'avoir fait.

Ces douleurs c'était un pont qu'il fit ce matin même, les cendres et fumées. Ce dos courbé était les vallées qui se creusaient et s'apaisaient, cédaient aux champs, aux betteraves, c'était ses doigts usés et courbés, une nouvelle usine, mille emplois, c'était la migraine et les voiles sorties, vers un monde de caisses et de départs, le ronron des voitures à venir, c'était la main qui soudain s'était levée, contractée, la ronde colonne du cou, la force du cou, cédant, la main qui soudain pend, Julien terrassé, les chiffres du matin.

mardi 16 novembre 2010

219. Parlez librement.

Il aimait cette expression qui était la plus terrible. Il se sentait grand et puissant de dire ces mots, de même que se sentait puissant, candidat à l'orgueil et aux responsabilités, celui qui l'écoutait. Et pareillement, pour chacun la certitude que la liberté et la transparence permettraient à deux intelligences et à deux cœurs de parler et, moins de parler que de se taire et de goûter des harmoniques nouvelles et, pourtant, déjà sues. Et chaque fois, ce n'était pas deux cœurs intelligents qui parlaient, mais une vie et son expérience, et la manière dont cette expérience a agrégé des marottes et des désirs, innocents certes, mais si personnels qu'on n'a pas à les dire, un filtre pour le monde et les choses de ce monde, la syntaxe que cette vie s'est constituée, par laquelle elle exprime ce qu'elle sent, ce qu'elle est donc, ce monde et cette syntaxe qui cognait comme un autre monde et son expression particulière. Si bien qu'à chaque fois, chacun se demandait qui était en face, quels obsessions sottes le guident, comment peut-il ne pas connaître cela, qu'a-t-il fait de ma riche et belle proposition : parlez librement. La déception était double, et pareillement double le refus d'entrer dans d'autres sphères, la certitude de sa médiocrité et la certitude de l'emporter, pour quelques raison secrète qu'on n'a pas même pénétrée, de l'emporter sur tous.

Mec métro.

Il était de ceux dont l'âme pend aux joues, dont les corps mobiles s'affichent et disent peur, plaisirs brutaux et secrets, colères terribles et sans doute minables, vulgarité, orgueil pendant encore, à ses joues, les yeux fixes et bleus. Les taches et plaques connaissaient tous les soubresauts de la rame et montraient, par moments, les rougeurs, de laides irrégularités, la pointe d'une plaie, les marques et les signes. Il y avait les lunettes carrées, la chemise à carreaux, un imperméable vieux sans être usé. Il avait dû connaître des guerres, le regard ne cillait pas.

.

Je rachèterai tout par ma souffrance secrète.

Barbares.

Il le savait, le malheur viendrait de ce qu'on les aurait considérés comme des barbares. Ils l'étaient pourtant. Il ne parvenait pas à se défaire de sa condescendance et de sa violence, qu'il regrettait toute deux, sans lesquelles il ne pouvait agir. Il savait qu'il y aurait des joies et souvent, des satisfactions, mais que la fin était déjà sur, le désastre et la délivrance.

lundi 8 novembre 2010

218. Origines.

Allons plus avant. Rien n'annonce la délivrance, nous semble-t-il. Julien n'est pas né, ses parents ne se connaissent pas. Ni celui qui frappe, ni ceux qui mourront, ne sont nés, ce qui suscita le malheur, et les feux, dans la nuit, et la colère ne s'est pas manifesté. Sommes-nous à la nuit des origines, aux fleuves que nous voulons bleus et gris, et montant vers quelle source, les paysages gris et ternes, les plantes qui tombent, les feuilles grandes, malades, les pins premiers, le thé des marais, le ciel noir, qui s'effile ? Nous n'y trouvons plus de serpents. Déjà les bêtes ont disparu, les premières choses à pattes ou nageantes et, maintenant, rien qui remue. L'eau sale ne contient rien. Les fleuves passent, et baissent, suintent à présent, le sol est une paroi. Y trouverons-nous quelque chose ? Des symptômes trouvent-ils là une cause ? Y a-t-il, dans la mer des origines, et dans le désir d'aller plus loin, de quoi étancher notre soif de causes ?

dimanche 7 novembre 2010

217. Enfance.

Voici l'enfance. Tout s'y joue, dit-t-on. Je ne désire pas savoir d'où vient ce caractère, trouver d'autres raisons que celles qu'il avance ou qu'il refuse, pénétrer ailleurs que dans ses mensonges ou ses hontes et trouver, plus loin, quelle infime chose, pour quelles ondes de choc, tapie, plus profondément déposée, tombée. Nous n'y pénétrerons pas pour y trouver un motif, une violence première, à contempler puis déloger. Nous y trouverions une série de goûts, quelques figures, ce qui a trait au plaisir, à la violence et à la mort.

Ce furent des années bourgeoises et heureuses. Il y eut ce qui compose toute enfance, les soucis matériels peut-être nommés, mais n'existant pas, les disputes et les séparations, rarement la solitude, rarement la faim, la tristesse, des joies et des victoires raisonnables, de bonnes notes. Il y trouva de quoi composer une vie politique ou, plus modestement une vie, avec ses désirs, ses revanches à prendre, sa soif, quelques amertumes qui suscitent l'action sans l'obséder.

Y voyons-nous la délivrance ?

216. Serviteurs (2).

Dès lors, les serviteurs qui ploient étaient la médiocrité et la brutalité, les choses closes et protégées. La protection, qui était le calme, devenait le privilège, de là l'insensibilité, la faute. Les serviteurs étaient déjà laquais, fats, aux sourires ironiques, aux servilités payées et récompensées par ce qu'ils prétendent savoir, par les secrets qu'ils pensent détenir, qui sont faux ou insignifiants, par leur retenue même, insultants. Ils étaient la permanence aussi. Ils avaient une vie mais personne ne s'en souciait, ils appartenait à un corps renouvelé, insouciant. Rien ne dépassait, rien n'entamait les sphères. Ils survivaient quand passaient les rois, s'accoutumaient à tout. Ils n'étaient pas seulement une raison de s'indigner, le luxe inouï, en dépit de tout. Ils rappelaient sans cesse aux maîtres suprêmes, à ceux qui disposaient d'eux, qu'eux même ne changeraient jamais, et que les mouvements politiques ne suscitait pas même un haussement de cil. Leur précision, leur délicatesse, les gants et les colliers, cédaient sans cesse devant le roi qui passait. Mais ils se courbaient, esquivaient tous les traits destinés aux puissants, humble jusqu'à toucher le sol, inutiles, dispos, propres et glorieux, d'une gloire mesquine et femelle, souriaient, disparaissaient, seraient là dans trente ans.

215. Luxe.

Bonne idée, mal écrit.

J'aimerais décrire la vie de luxe qu'il connut, que je peux difficilement imaginer. Je conçois qu'il y ait des dorures, les murs pâles, ou crèmes, l'or qui pend, les tableaux Régence, les belles natures, les corbeilles et la soie, les robes et les jupons, les natures mortes, ailleurs le cuir, les meubles qui craquent, brun, acajou, ocre. J'imagine les bureaux et les antichambres. Il connu aussi les couloirs blancs, les murs de papier, les fleurs et les feuilles, les pruniers, les laques noires, la simplicité qui donne une idée de ce que vivent les dieux. Et dans ses déplacements, c'était aussi les perles et les soies, de hautes arcades, les pierres centenaires. J'aimerais savoir si ce luxe le modifia. Son aise bourgeoise ne l'avait cependant pas accoutumé au bois de rose, aux charpentes peintes, aux tapis de fleurs. Pensait-il aux clochetons et serviteurs ? Il les regrettait sans doute, il avait aimait l'assurance d'être délivré enfin des contingences, de la matière même, d'être la seule disponibilité à l'action. Il l'associait cependant à la gloire et l'orgueil, à sa fortune passée qui était désormais liée à sa faute, à ses fatuités, à la délivrance et à la mort.

Scène ?

La chambre n'était pas noire, mais dorée, chocolat. Les ombres des statuettes étaient africaines, rayaient le mur de brun et de cuivre. Le sol était un damier, pareillement sombre et d'or. Il était étendu sur un lit, et nulle chaleur ne l'accablait.

Nul, mais ambiance semblable ?

samedi 6 novembre 2010

214. Corps de mort.

C'était dans la petite chambre qui jouxtait son bureau. Nous voyions son corps allongé. Il n'était pas mort et méritait sans doute de l'être. Ses beaux traits avaient enflé, ne pendaient pas. Sous de nouvelles masses, ils s'étaient tendus, gelés et mobiles à la fois, prêts, disponibles. Ses yeux fermés semblaient bouger, un agacement les parcourait encore, et ne semblait les vouer qu'au repos. Il était pâle. Il ne méritait pas le soleil qu'il fuyait, et des pâles traits, du corps peut-être musclé, mais fort et presque gras, désirable sans être vivant, paraissaient son orgueil, son humour presque involontaire, instantané, cédant aussitôt au mépris, sa brutalité. De ses costumes noirs et blancs, sa cravate, ses lunettes de soleil, l'enterrement auquel il se destinait chaque matin, les plaques de morts formant son visage, c'était encore une lassitude qui l'excluait presque du commerce des hommes. La colère et les passions pouvaient l'animer, le désir, non pas celles qui donnaient la vie, la peur même lui était refusée, l'amour qui cédait aussi à sa volonté, toujours plus grande, n'étant toutefois pas la vie. Encore une fois, il serait bientôt mort, tout en lui le disait, on le redoutait, on regrettait que ce ne soit pas le cas. Il était fragile comme les hommes de quarante ans, lorsqu'ils refusent de connaître leur faiblesse. Il appelait le criminel qui le viserait bientôt.

vendredi 5 novembre 2010

Point rouge.

Les puissances étaient aussi le point rouge qu'il portait à sa veste.

213. Changement/Scène.

Je ne sais pas dans quelle partie. Faire une scène. Celui qui ne suscitait peut-être pas le respect mais la pitié. Tout le monde reconnaît qu'il a échoué, qu'on est mieux à sa place qu'à la sienne, mais qu'il a fait de son mieux et que la situation ne pouvait se conclure que par un désastre.

La voix a des inflexions nouvelles, les yeux ont roulé. C'est à ce moment que l'on comprend, d'ordinaire, que l'homme bon, et juste, qui a sans doute échoué, qui a pourtant fait de son mieux, a quelque chose de forcé, et comme d'insincère dans le regard, dans la voix, dans les mains qui bougent rapidement, dans le port et dans la jambe qui vient toucher l'autre jambe. Les phrases se suivent, mais le ronron ne fonctionnent plus. Il y a une menace dans chaque phrase. Maintenant, le monstre peut s'éveiller et enfin révéler ses plans - nous pouvons enfin nous coucher, et prendre une aspirine. Son assurance, les doigts levés, jouant sur les doigts, la jonquille sur le bureau, le portait, le bois des meubles et des portraits nous insupportent. Il y a une conspiration dans la jonquille, le costume, la chemise froissée, vers la taille, dans la mécanique qui ne fonctionne plus, la victoire trop parfaite, quelques morts récentes, des révélations désagréables, un mensonge qui serait suivis de tant d'autres, pour quel crime, pour conserver le pouvoir, parmi les bois et le sous-main d'or et de cuir. On tuerait pour la cravate nouée et les tableaux aux murs. Un œil ne vient pas comme il devrait, et tourne. Les bras et les mains se sont vidées. Les mouvements brusques, un regard de fou sont maintenant assis au bureau, signent distraitement des papiers officiels. Sa haute taille trop enveloppée de secrets. Est-on devenu fou, présente-t-on l'autre forme de folie qu'est la lucidité ?

Cyniques (II).

Il s'avoue parfois, qu'il est une ordure, et ne renonce par pour autant à son grand orgueil. Il ruine le monde et, pourtant, sait qu'il l'a sauvé. Il s'insinue et profite de tout, reste un grand prince. Il s'oublie comme le font les orgueilleux, son front s'est levé et se penche vers le ciel, personne n'est moins dupe du monde ni de soi. Rien n'est plus naïf qu'un cynique, son orgueil l'empêche de n'être que noir. Un sourire reste dessiné sur son visage. Il a le sarcasme et la beauté. Les chroniqueurs disputeront des mérites d'un criminel fat et brillant.

jeudi 4 novembre 2010

212. Cyniques.

Les cyniques existent, mais le froid ni les serpents ne les concernent. Ils calculent sans doute, réduisent le monde à un calcul et, sans doute, le regrettent, voudraient qu'il soit autre, l'admettent et décident d'en tirer profit. Parfois, il ne se console pas du désordre du monde, avoue qu'il est impuissant. Le cynique, à de rares moments, dit l'être. Il dispose de quelques anecdotes et de quelques phrases vulgaires, par lesquelles il sépare les dessillés des naïfs, les inévitables perdants des maîtres. Il dit que rien ne lui importe sinon sa personne. Il s'écoute et ne sait pas si la honte ou la joie le grise. Il hésite encore entre tonner et sourire. Il ne parvient pas à se convaincre, dans ce qu'il a de tendre et ce qu'il a de simplement bête, et parfois d'ignoble. Souvent, il se trouve bon. Il ne parvient pas à quitter la sphère où la bonté et l'honnêteté, ou le simple bien ne se négocient pas, où ils peuvent cependant être atteints par d'autres moyens, plus discutables. Ils n'ont pas été envisagés de prime abord et, à tout le moins, surprennent. Mais l'orgueil et le besoin de se rassurer, de tenir un discours auquel on croit enfin l'emportent. Celui qui renverse l'État, devient l'État, brûle et tue ne le fait que pour le peuple et le pays. Qui juge et tue ne fait qu'exercer, sous une forme moins conventionnelle, plus efficace aussi, la justice. Le voleur se venge et devient pareillement une forme de justice. Les serpents sont peu nombreux, les monstres froids, les habitants de l'ombre et du calcul ne sont pas si rares à s'admirer bons et généreux, à mentir et à se mentir. Ils appartiennent au mal et ne le désirent pas. Ils le condamnent tous. Ils cherchent à s'en extraire, ils expliquent qu'un bien vient toujours d'un mal. Ils apportent le malheur au monde et se désolent que le malheur existe. Ils tentent d'y remédier, en l'accroissant. Il faut encore explorer le cynique qui se contredit, qui ne se repend ni ne se convainc jamais. Qui doit souffrir, sans doute, et qui ne parvient pas à faire cesser la douleur, à se ranger parmi l'honnête et le bon, qu'il frôle et désire, et n'atteint pas, ni même à accroître cette douleur, la porter à son point d'incandescence, froid, et dire enfin tout est calcul. Sur un lit d'hôpital, il dira encore j'ai voulu, j'ai tant cherché et, sans doute, y croira.

Epigraphe.

Vous vous figurez, vous autres, que votre mépris existe.

mercredi 3 novembre 2010

211. Se perpétuait.

Le pouvoir se perpétuait en dépit de celui qui l'exerçait, changeait-il de nom, de visage, de boutique ou de goût politique et, en dépit ce qui était proposé ou discuté, œuvrait. Ce n'était pas secrètement, par un complot, par la concertation de quelques uns, mais silencieusement, que les mêmes intérêts étaient préservés, puis servis, qu'en dépit de tout, presque un projet, mais personne ne se réunissait pour décider, une direction que rien ne remettait en cause, qui était d'autant moins critiquée qu'elle apparaissait, dans sa netteté, sa cohérence, à de rares personnes, qui l'approuvaient presque toutes, tandis que les fâcheux, certes écoutés, ne convainquaient pas. Les débats terribles, les accusations terribles, étaient lancés, passaient. Une dynastie passait, un homme, son successeur et en dépit, des haines qui les lièrent vingt ans, tout se poursuivait. Avons-nous prise sur ce qui se poursuit sans avoir décidé, sans être consulté, sans savoir même que cela se poursuit ? Attentats, motions acceptées, assemblées dissoutes et renouvelées... Rien n'était plus stable, plus évident et pourtant difficile à scruter, rien ne changerait.

210. Il gagnait à être connu.

Il gagnait à être connu – sans nul doute. Il devait être un bon père, un bon mari (un bon amant), un ami fidèle et drôle et sincère. Un enfant sautait sur ses genoux, une main flattait le chien, l'autre, l'épouse. Son goût n'était pas discuté. Son musée des arts asiatiques était remarquable -plus que le rapprochement avec la Chine. Les films qu'il avait aimés, ce qu'il lisait, tout était parfait. Ses fréquentations encore, les rapports qu'il entretenait avec le Parti, avec les autres partis, avec les divers présidents, qui tous le trouvaient courtois, charmant, qui tous louaient sa conversation, son intelligence, et une bienveillance qui n'esquivait rien et devenait, lorsqu'il fallait, fermeté. Il mettait à l'aise, parlait empereurs, pots, fleurs, thé, déserts froids, grandes invasions, estampes fleuries. Nous nous sentions à l'aise. Hélas, les vertus privées ne font pas oublier un gouvernement médiocre et, par moments, médiocre et brutal.

Laissez cela.

Laissez cela à l'opposition.

Ce n'était pas même l'ennui, une forme plus sévère de fatigue ou de découragement. Quels que furent ses gestes et ces soupirs, il ne disait qu'une chose : vous ne prouverez rien.

mardi 2 novembre 2010

Subjectivité.

Une subjectivité que cent pages épuisent.

209. Sexe.

A faire moins bêtement périphrastique.

Nous savons (nous imaginons) ce qu'a été leur vie privée, non celle du foyer, le bonheur qui est souvent feint, qui est pensé, disposé, mais le bonheur effectif et, cette fois-ci, secret. La honte, les grandes jouissances qui sont prudentes, les mesures et les règles n'ont rien empêché, nous savons. Nous ne sommes cependant pas intéressés. Ses fièvres, que chaque secrétaire doive le suivre et s'oublier, pas longtemps, quelques minutes, que chaque nouvelle recrue fasse comme chaque secrétaire, que la maison sache et s'en accommode, que nous le sachons enfin, cela importe peu. Les ministères reçoivent des filles et des garçons, fort jeunes. Nous savons la drogue et l'alcool que l'on consomme, parmi les filles et les garçons. Les petites menottes. Sous imaginons ce qui se lève, au matin, s'habille lentement, sans qu'on n'ait pénétré cette lenteur, tranquillité ou stupeur, honte de la veille, qui ne s'est pas accoutumée à soi. Les chemises qui couvrent la peau, douce encore, et abîmée, les bleus et les marques, les gazes blanches qui gonflent et se foncent. Le sourire qui ne tient qu'à l'habitude, qui fait oublier la douleur de la nuit, et la honte, on ne sait quel bonheur, quel apaisement. Nous nous ne nous intéressons pas à cela, qui fait rire, qui court, que l'on chuchote dans les cours et les salons, à quoi aucune puissance ne résisterait : le scandale qui tient à l'horreur et aux rires. Nous n'y voyons rien puisque rien ne se sait, où ne se sait que tard. Lorsqu'exceptionnellement, l'on meurt dans les bras de sa maîtresse, les bons mots se multiplient, l'on offre à la France vingt ans de blagues et de scies, et puis ? Les bains de sang n'ont pas existé, les convois de vierges, l'amant qui était l'amant de la femme, celui de la fille, les ministres aux expériences rares. Les turpitudes, les pratiques basses, tapies, révèlent sans doute bien des choses. Faire l'expérience de sa maîtrise, de la soumission, des épreuves et de la gloire, nous intéresse, mais dans d'autres situations. Nous les désirons moins codées, surtout, moins propres à déclencher les sarcasmes, la réprobation, les désirs qui empêchent, eux aussi, d'accéder au symptôme et à la cause qui l'a suscité. Qui offrent des images, des règles et des lieux où nous voudrions des explications, d'autres images, d'autres rêves, que notre désir pourtant n'anime pas, ou un désir plus ancien, moins tributaire des rires épais. Le mystère des hommes et des femmes n'est pas leurs bras passés, les lèvres qu'ils offrent, l'abandon, la soumission désirée ; plutôt la voix qui tremble et tonne cependant, la main posée sur l'accoudoir, la main qui pend et tremble pareillement, le soleil qui s'oublie, la nuit à scruter un mur.

208. Secrets d'Etat.

Nous désirons les secrets d'État, savoir qui a tué, qui a demandé de tuer, qui espionna, versa le poison, envoya ses hommes, et l'homme à la mer. Nous savons enfin, cent ans plus tard, ce que furent ces secrets, et qu'il n'y eut pas d'assassin, pas d'espion, que la bataille fut perdue pour de bonnes raisons, que les traitres n'existèrent pas. Cent ans passent donc et nous découvrons ces secrets : des chiffres et des codes, nous les comprenons enfin, voici des latitudes, des navires, des troupes, de vieilles planques, des cartes et des lieux que nous ne reconnaissons même pas. Les codes donnent des chiffres, des pages, d'autres codes et des cartes, pareillement chiffrées, illisibles, sur un blockhaus qu'occupèrent, un soir, des soldats, des caches d'armes, prises dans la rouille, une banque, un or pas même détourné, des positions, des figures. Nous désirons des monstres, il n'y a pas de monstres. Nous désirons le pot-aux-roses : les fuites au petit matin, l'héritier substitué, l'arsenic dans le café, maîtresses, amants, qui arma la main, le conseiller roué de coups et trouvé sur la grève, et n'avons que des chiffres.

lundi 1 novembre 2010

207. Deux héros.

Les premiers décident et ne tremblent pas. Par une somme de chances et de réussites, leur volonté, qu'ils ont fixée, est inentamée. Que le doute existe, ils en conviennent, qu'ils puisse s'appliquer à leur action et à leur volonté, ils le savent pareillement. Seulement, ce n'est pas le cas. Tout prend la couleur de l'évidence, et qu'elle ne colore pas chaque instant et chaque mouvement qui précède la décision ne serait pas compris. Elle n'est pas envisagée et n'est pas plus vécue. Elle ne serait pas admise. L'orgueil pathologique a cela de pratique qu'il prend et modèle ce qui le menace. Ils ne trembleront pas. Ce qui relève de l'intelligence, de l'instinct, de la morale même, l'action politique, qui est maintenant une action guerrière, est fondu et trempé en une même volonté. Rien ne tremble lorsque la décision est prise. D'autres décident et tremblent. Ce n'est pas qu'ils hésitent. Ils savent quelle est la situation et quelle action doit être entreprise. Ils sont peut-être plus conscients que les premiers. Ils tremblent puisqu'il savent ce que leur décision comporte de risque, de sottise, quand bien même elle serait inévitable. Ils savent pareillement de quoi seront suivis l'assaut, le décret, et tremblent des conséquences. Leurs succès seront moindre, ils ne sont pas faits comme les héros. Pourtant, le combat doit être mené, ils le mèneront. Ils feront les mêmes gestes, se regarderont les faire, sauront qu'ils ont raison, en dépit des conséquences. Il y a plus d'héroïsme dans la peur qui ne se décheville pas, les soupçons, les remords, les scrupules inutiles, toutes les raisons d'empêcher l'action, l'accablement, qui ne l'empêchent pas d'être menée au moment opportun, d'être menée avec énergie, même si la honte se mêle à l'énergie, et les remords et les scrupules, quand d'autres, plus beaux, ne trembleraient pas. Le général, le chef de file inflexible savent tout juste que le risque est grand et qu'ils font l'histoire, du moins leur histoire. Les autres, plus minces, le savent et savent bien plus, leur faiblesse d'abord. Des vibrations parcourent les doigts, les mains qu'aucun cal n'a durci, la garde et le porte-document. Les manches se lestent de sueur et le front a tiédi. Leur voix, féminine et sans grâce, criera « Maintenant ».

206. Scrupules.

C'était le moment où les vieilles dames tombent, où la balle tombe, où l'ont fait les gestes pour rattraper, où tout indique qu'on a désiré, qu'on a œuvré pour rattraper dames et balles. D'où cependant est absent le geste maladroit et fait d'instinct, le bras tordu, la bouche ahurie (tout est resté convenable), qui eussent touché la balle, le bras qui sauvât. La peur d'échouer, les convenances, la peur de se salir, tout ce qui relève des scrupules, dans ce qu'ils ont de prétendument généreux, de digne, et qui ne vient et n'aboutit qu'à la peur, l'ont empêché. La satisfaction n'est cependant pas impossible, la morale et l'honneur ont été sollicité, on a fait ce qu'on a pu. D'autres satisfactions montent encore, cordiaux, enveloppent la poitrine et ce qui y tremble, enveloppent pareillement la certitude de n'avoir qu'essayé, désiré. Les médiocres peuvent de nouveau s'assoupir, désirer, essayer, rien ne leur sera reproché. Leur sommeil couvrira tout, leurs actions, une bonne volonté, qu'ils doivent ranger parmi les vertus, et peut-être parmi ce qui sauve le monde.

dimanche 31 octobre 2010

205. Unité.

A poursuivre. Bonne idée, mal écrit.

Une question se posait à lui cependant. Devenir adulte ne signifiait pas, pour lui, faire l'épreuve du malheur, de la honte, des explications qui s'ajoutent aux explications, qui nous permettent de nous lever, encore, de la complexité. Il y voyait plutôt une une unité qui n'était pas là, à l'origine, apparaître, vagues et plis, grains paraître aussi, se concentrer, faire cette unité, suaves, se fondre et durcir. Sa bonté, une volonté nouvelle, une utilité, serait retrempées. Ce qui n'avait pas de centre en lui, ce qu'il percevait comme épart, qui n'était pas lui, en quoi il n'aurait pu se reconnaître serait évident. Il serait une lame, la violence ou la miséricorde. Quelques mots, une phrase peut-être rassemblerait ce qui était lui sans doute, mais par intermittences, qu'il ne savait pas s'il devait l'attribuer au hasard ou à sa nature propre, si un mot, une phrase subsumerait ce qui, à perte de vue, était lui, une complexité qu'il trouvait sans valeur, désagréable, à démêler, sans que le désir de le faire soit en lui. Il ne savait pas même s'il existait un projet, et qu'il aurait à trouver, ou si entreprendre ces recherches, la quête même définirait se projet. Surtout, il ignorait s'il avait le courage que toute quête réclame. L'unité viendrait.

204. Raffarin.

Il était alors d'usage, pour celui qui, trente ans durant, s'était montré médiocre ou impuissant, souvent mesquin ou servile, la plupart du temps nuisible, et qui parce qu'il devenait vieux, qu'aucune récompense, électorale ou pas, n'était envisageable, ou qu'une rente lui était offerte, dix ans sénateur, entrée au Conseil constitutionnel, de jouer au sage. La rhétorique si lasse, si usée qu'il avait usée plus encore, vingt ans, trente ans, ne le concernait plus. Il ne prononçait plus les mots pétrifiés qu'il disait chaque matin. Il n'évoquait même plus la politique politicienne, qu'il s'obstina à combattre, jadis. Pareillement, ses dieux n'en étaient plus et, ingratitude terrible, étaient capables d'erreur. Lui même devenait capable de prononcer des phrases qui n'avaient pas été dites par d'autres. Il est mandarin. Il voyage. Une distance et un surplomb, la possibilité même de réfléchir avant de ferrailler devenaient sa coutume. Voilà qu'il parle, et qu'il n'éructe ni ne se prosterne. Il évoque le passé de la France, les grands hommes qui furent de droite comme de gauche. Il considère la France dans ce qu'elle a de plus vieux que le dernier entretien du chef de l'État. Il voyage et, dans ce qu'il voit en Allemagne, en Inde, en Chine, aux États-Unis, s'enrichit, entrevoit une géographie plus vaste, plus profonde que la Seine et l'arche de la Défense. Distance, surplomb, ce dont il était si dépourvu, voilà qu'il l'a fait sien, qu'il a cette distance, ce surplomb, qu'il en est prodigue et qu'il pourrait dispenser des leçons. Il apparaît, par moments, sympathique, sans doute parce qu'il est presque possible de l'écouter sans, désormais, changer de radio, de chaîne, mais parce qu'un bon sens parfois élémentaire, donc rare et précieux, se percevait, parfois, dans ce qu'il disait. Ou bien, ce qu'il n'avait pas de nuisible, mais de simplement terne, luisait d'un éclat inconnu, il parlait franchement aux puissants, ou se montrait sévère. Il parle avec mesure. Il est passé de l'insulte à la platitude. Doit-on se réjouir qu'un homme raisonnablement honnête, sincère, intelligent se trouve dans le dernier des hommes, et le plus malfaisant, que les porte-paroles, les secrétaire d'État à la coopération, les ministres de l'écologie, soient, une fois délestés des oripeaux qui résument leur vie, titres, ambitions, soient des hommes et des femmes ? Se désoler qu'en cinq mille ans, l'honnêteté publique n'ait pas progressé ?

jeudi 28 octobre 2010

203. Vieillards.

Nous sommes des vieillards. Nous pouvons avoir trente ans, mais l'enfance nous a quittés. C'est une forme d'insouciance, et peut-être d'inconscience qui nous a quittés, et non quelque pureté que certains attachent à l'enfance. Ce sont eux qui détruisent, c'est à eux que reviennent la folie, l'oubli aussi, les coups portés, et la sérénité dans la violence. La tranquillité, la quiétude de ceux qui ont œuvré et qui peuvent à présent trouver le repos, qui purent concourir au bien et s'en félicite toujours : voilà ce qui précisément n'est pas nôtre. Nous savons que la douleur et que le mal existent. Pensons-nous qu'ils ne sont pas étrangers ? Sans doute que oui. Mais nous y voyons plutôt là une sorte de fatalité, une nouvelle dimension du monde qui dépasse ou écrase. Nous nous plaisons à annoncer le malheur, quand bien même il ne frapperait pas que le voisin, et qui pareillement nous menace. Nous désirons seulement que la pluie de sel et de feu concerne d'autres que nous. Nous le prédisons avec joie. Nos yeux vivent à ces moments. Nous avons soif de malheur, pour nous comme pour les autres. Rien n'est plus conscient ni désiré. Nous ne frapperons pas, nous n'avons pas décidé et, disons-nous, nous le redoutons. Il y a plus de méchanceté en nous que dans les enfants qui nous frapperont. Nos mains seront tachées de notre sang. Il y aura, pour nous des ivresses calmes, de plats triomphes, quand d'autres hurleront. Les vieillards auront tout de même gagné. Joies, satisfactions mauvaises, assentiments plein de douleurs. Nous ne résisterons à rien, nous savons, nous désirons ce qui nous accablera. Je ne sais toutefois pas à quoi l'attribuer : aux peuples qui, trouvant l'opulence, recherchent la barbarie dont ils furent délivrés, ne parviennent, riches et cultivés, qu'à désirer le néant qu'ils ont quitté, à la fascination de ceux qui ont tout pour la mort, au plaisir coupable, orgueilleux de dire j'ai raison, quand ce serait les derniers mots prononcés, et qu'ils envoient au bûcher, à une génération plus faible. Nous consentirons à tout.

mardi 26 octobre 2010

202. Démographes.

Les démographes, paraît-il ont annoncé la fin de l'URSS. Ils prédirent des victoires et des défaites. Il dirent que Chirac gagnerait, il gagna. Il dirent que la guerre en Irak serait perdue, elle le fut. Lire l'avenir dans les courbes et les taux, oublier ce qui relève de la politique, de l'économie, de la diplomatie, ou du moins ne les envisager obliquement nous trouble. Ceux qui naissent et ceux qui meurent, immigrés, émigrés, ceux qui se marient nous importent peu. Nous n'expliquerions rien par eux. Nous nous doutons qu'ils puissent pâtir, ou du moins manifester quelque peu les grands changements qui nous précédèrent et qui à présent, nous menacent. Mais à considérer qu'ils soient des signes suffisant, clairs, offerts à l'interprétation et à la compréhension, surtout qu'ils ne sont pas des signes mais qu'ils entrent dans un système de cause, qu'ils deviennent nécessaires et suffisants, nous n'y croyons pas : des enfants, des agoniques ? Les démographes sont peut-être plus chanceux que les politologues et les économistes. Nous ne les convoquons pas. Il leur est plus facile, pour les quelques qui surent et qui lirent de se présenter comme des prophètes. Il y a tant d'imposteurs dans d'autres domaines. Nous ne connaissons pas un démographe qui mente. Précision, sobriété des mathématiques, rigueur donnée enfin aux sciences de l'homme. Croyons-les. Ils ont sans doute raison. Mais alors des causes dont nous ignorons l'existence, plus lentes et lourdes, invisibles et à chaque instant, agissent. Ce sur quoi nous prenons barre est si inutile. Productivité, rentabilité, annuités. Les vieillards et les nouveaux-nés disent des vérités plus sûres et plus terribles, et d'abord que nous ne pouvons rien que rien n'est décidé, ni prévu, pas même inscrit, mais que le désastre adviendra en dépit de nous, qu'il nous sera imputé et que déjà, nos pères, n'y pouvaient rien.

Coïncider (liant).

Sa chance et son grand malheur avaient été de coïncider parfaitement avec le nouveau Parti. Son ascension ne s'expliquait pas seulement par les hasards ou les coups portés, par les manœuvres pensées et intelligemment menées. Par des circonstances qu'il ignorait, il leur ressemblait. Il ne savait pas les causes de cette honnêteté extrême, de cette volonté de bien faire, des atermoiements et des scrupules, de l'inutile sens du sacrifice qu'ils partageaient. Ils se reconnurent. Il occupa quelque poste de secrétaire, dans le Parti. De là...

lundi 25 octobre 2010

201. VIe République.

Mal écrit, bonne idée.

La VIe République devait être la synthèse de la IVe et de la Ve, assurer simultanément l'efficacité et l'équilibre des pouvoirs, la puissance du législatif et de l'exécutif, le rôle d'un président et celui d'un parlement, la modération et la réactivité, éviter le règne des partis, c'est-à-dire des médiocres et d'un seul homme, c'est-à-dire d'un roi entouré de sa cour. La Constitution, que nous votâmes le **/**/** réduisit les pouvoirs du président, augmenta ceux du parlement. Elle les sépara plus franchement. Elle introduisit une dose de proportionnelle. Elle permit au Parlement de devenir plus puissant et, parce qu'il était moins facile de conserver une majorité que précédemment, parce que le scrutin uninominal existait encore, et qu'il fallait ferrailler et convaincre, composer sans doute, pour décider et agir, quelques individualités apparurent. Parce que le président n'était plus tout-puissant, que le premier ministre n'existait plus, des personnalités apparurent également parmi les ministres. Un homme ne décidait plus de tout. Quelques princes pouvaient à présent régner. Une aristocratie se forma. Le pouvoir dépendait moins étroitement du peuple ou des instituts de sondage. Nous vîmes de nouveau des barons et des familles. La primogéniture mâle avait de nouveau cours. Le pouvoir se conservait plus terriblement. Il n'y avait plus d'homme à qui le demander. Il n'y avait plus d'officine, d'antichambre où le convoiter puis s'en emparer. Le pouvoir venait à nouveau de la terre.

L'impression de médiocrité ou, plus encore, d'uniformité, disparut. Il y avait à nouveau des places à prendre, des charges à tenir et à exercer. L'ordre ancien, dans ce que l'inégalité a de rassurant, de divertissant, réapparaissait, avec fiefs, habit ducal, serment des pairies, pactes, palais, privilèges, trahison, et poignard ajusté sous l'omoplate. La nostalgie pardonna beaucoup de choses. On se désespérait d'un nouveau système, et sans doute taré, mais il réjouissait. Les passes d'armes ne semblaient pas si inutiles et incontournables. Il y avait à gagner.

Un plus grand mensonge cependant, n'avait pas été révélé. Tandis que l'on tuait ou que l'on s'amusait, que l'on se disputait, qu'une dynastie naissait et ne laissait personne toucher à ce pouvoir, on oubliait qu'il n'existait pas, et qu'on ne mourrait que pour ses apparences, dorures, voitures, honneurs.

200. Grandes manoeuvres.

Les grandes manœuvres avaient commencé.

Ce qui nous occupa durant des mois ne signifie plus rien, désormais. Rappelons tout de même qu'A. n'était plus secrétaire du Parti. Il fallait en choisir un nouveau et celui qui serait choisi, qui prendrait le parti, prendrait aussi la France : les prochaines élections ne pouvaient être perdues. Il fallait tout au plus se montrer généreux, susciter la confiance, éviter quelques combinaisons malheureuses.

Julien avait de nombreux amis. Il militait depuis huit ans et désirait s'élever. Quatre camps s'étaient donné rendez-vous. Les amis de Julien gagnèrent. Il m'importe peu de savoir comment, et qui fut traître, qui joua et l'emporta, par quel procédé, par quelle alliance, par quel jeu subtil et progressif, par quel coup de force. Il y avait eu ceux qui jouèrent la comédie du sérieux et de la responsabilité ; ceux qui promirent ; ceux qui firent croire en la possibilité et peut-être en la disponibilité d'un autre monde, ceux qui évoquaient la fraternité ; ceux qui se voulaient à gauche ; ceux qui disaient Jaurès, Hugo, Blum ; ceux qui n'aimaient pas la droite ; ceux qui disaient réformer ; ceux qui désiraient modifier le système.

Ses amis gagnèrent. C'était une amitié évidente, vieille et sincère. C'était aussi de profondes convictions. Il appartint au camp qui promit « justice et rigueur », qui fit « les seules promesses que l'on peut tenir », qui promit modestement, qui ne désirait pas susciter l'ivresse, qui promettait « le progrès et la responsabilité », qui ne prétendait pas s'être délivré de l'idéologie, mais dont les mots lumineux supprimaient ce qui heurte, ceux qui, avant toute chose, tranquillisaient. Ce n'était pas une tranquillité plate et satisfaite qu'ils offraient, mais la certitude que les tensions, la douleur, les crispations, l'épuisement que la lutte implique (non pas l'effort ou le scrupule) nous seraient évités. Ils gagnèrent assez largement. Ils s'étaient abusés eux-mêmes avant d'abuser le Parti et le pays.

Julien ne pouvait qu'appartenir à cette chapelle, dont le programme (lui aussi importe assez peu) qui prévoit d'assainir les relations sociales, le maintien d'une protection sociale forte, sa diplomatie, largement européenne, sa gestion prudente des emprunts, sa relance par légères touches de l'économie, la suppression de mesures impopulaires et parfois détestables, se résumerait facilement : son seul objectif était d'éviter, non pas dans la mesure du possible, mais avec minutie et inquiétude, les tensions, les souffrances inutiles, en somme, la douleur et le mal du monde. Bien sûr, la conscience et le soin apportés à déposséder le monde du malheur, s'oublier, s'admirer grand et scrupuleux, lui permettraient, à nouveau, de régner.

dimanche 24 octobre 2010

Brûle.

Une chose nous protège encore de la résignation. Nous qui n'existons que par les sarcasmes, nous la tenons secrète. Au moins la fin des temps nous divertira-t-elle.

199. A quoi bon ?

Nous demandons que chaque arbre, ceux qui sont presque beaux, les quelconques, les maisons qui bordent la route, les panneaux, la voiture qui nous dépasse, et celle que nous ne voyons plus, nous apprennent quelque chose de nous, justifient notre présence ici. Qu'ils ne soient pas livrés à l'incohérence, et qu'ils disent une même chose. Un coin de chêne laisse passer le soleil, des haies, des restaurants. Ils promettent tous la banalité calme, terriblement confortable et morne, que sera la journée, nous promettent notre survie, douillette par ailleurs. Nous attendons sans cesse les métamorphoses. Nous ne désirons pas vivre, mais que le centre commercial nous explique pourquoi nous sommes et pourquoi nous sentons. Que de la terrasse au plant d'olivier, aux voitures garées, à la bouteille jetée, il y ait un même monde et un même projet, que nous puissions le découvrir et découvrir quelle partie de ce monde nous habitons, pourquoi nous y avons été déposés.

Restent une file de voiture, la ligne d'horizon et les fils à haute tension, les restes d'un marais, une nationale, le repas qui s'est achevé par un café, une famille qui nous aime, que nous aimons sans doute. A quoi bon monte et roule, n'a rien submergé, remplace chaque haie de roseaux, chaque bouquet et chaque poteau, revient à table, quand nous marchons, remplace trottoirs et gymnases, devient notre cœur qui, à présent, accepterait tout, ne décide de rien.

Nous sommes adolescents et déjà des vieillards. Viennent les pluies de sel, nous aspirons à céder.

198. Mort officielle.

Un arrêt cardiaque, le baron n'est plus. C'est dans ces circonstances que se manifestent les caractères. Ils sont pourtant tempérés par l'intérêt politique. Ne pas prononcer, par communiqué de presse, quelques mots est un erreur. Que révèlent ces quelques mots ? La prudence de ceux qui s'en tiennent au constat Un homme qui a marqué et continue de marquer la ville de Lyon, ou qui a compté durant près de quarante ans, qui a marqué de son empreinte, dont le destin ne peut être séparé de celui de, de ceux qui voient en lui (la chose est d'autant plus habile qu'elle vient d'un adversaire) Un grand homme politique qui a su faire de Lyon une métropole européenne, Un visionnaire et un homme puissant ; la critique de ceux qui devraient être ses amis, évoquant les zones d'ombre, provocations inutiles et puisque la lumière ne tombe que par intermittences, le contraste de son bilan, une part d'ombre. Ceux qui n'ont rien à dire ou par calcul ne disent rien. Les hommages qui rendraient pareillement hommage à cent autres personnes, Un grand homme, transformation, énergie, volonté, sans doute parce que nos vies sont semblables et diffèrent moins qu'on ne le voudrait, et que la banalité de la puissance et du pouvoir existe, comme existe, nous le savons, la banalité de la médiocrité, peut-être aussi parce que la médiocrité est avant tout celle de ceux qui parlent, qui filent les détermination, courage, rôle majeur, sourient ou paraissent graves. Viennent les partisans de la précision : un paradoxe, un homme qui beaucoup fait mais qui cependant, se rejoignent l'honnêteté et la lâcheté. Trublion, iconoclaste qui ne coûtent rien. Les faux pas n'existent pas. Quelques réussites sont remarquées. Comme de coutume, ce qui doit être dit est dit, ne signifie rien, et rejoint lentement les montagnes de chiffres, mots prononcés, discours de circonstance, prévisions, intentions, ne signifiant rien et, cette fois-ci ne sont les symptômes de rien, disent moins que de coutume : un homme qui compte, un ami, intelligence, au-delà des désaccords, une figure de. Comblez le vide de ce que vous désirez : c'est un … qui s'en va. Les artistes sont moins bien célébrés.

197. Survivait.

Sa mère, qui avait écrasé trente ans de vie publique, et qui l'avait, par la même occasion, écrasé, survivait dans son nom. C'était Jean-Marie G., fils de Marie G., pareillement diplômé, député, qui savait qu'il allait devenir tout ce qu'avait été sa mère, conduire les mêmes politiques, administrer les mêmes domaines, faire voter des lois de même inspiration, qu'il ferait tout cela et qu'elle lui serait toujours supérieure. Elle réussit plus jeune, fut puissante, plus redoutée mais aussi plus recherchée. Elle n'inspirait pas que la crainte. Ses alliés étaient craints. Elle devint, pour dix ans, la France. Quant à lui, sa puissance, c'était un nom qui n'était pas le sien. Un réseau dont il héritait. Des amitiés pour des hommes et des femmes qu'il méprisait et souvent craignait. Des plans que d'autres avaient tracés. Il ne savait pas ce qu'il désirait prouver, puisqu'elle ne pouvait être surpassée, qu'il ne l'égalerait pas, qu'il suscitait, tout au plus, une immense compassion, le mépris le plus souvent, puisqu'on ne tremblait pas devant lui, et qu'à la haine ne s'ajoutait pas une forme de respect. Elle suscita la stupeur. Une fois morte, on se vengea sur son fantôme. Inconsistant, il avait tout de même ses formes, un reste de menton, quelques phrases et des mouvements brusques, une ombre de regard qui n'était que d'elle. On se vengea un peu. Dix ans, on lui montra tout ce qui le séparait de sa mère, on le laissa prospérer, un peu, sur un héritage dont il n'était pas digne. On défit ce qu'elle avait fait trente ans. On se vengea encore. On le laissa perdre une circonscription, on l'oublia. Il trouva enfin un destin à sa mesure : retrouver des souvenirs presque tous douloureux, les bouteilles se succèdent. Accablé par sa médiocrité, il pense, avec raison, qu'il aurait pu être meilleur.

Empathie.

Je suis toujours en empathie avec tout le monde, là n'est pas le problème.

samedi 23 octobre 2010

196. Petit traité (à mettre ?).

Ce que nous savons des batailles, des hommes et des villes décroît à mesure que nous nous éloignons d'elles. De la même manière, la puissance de notre imagination augmente, et ce que nous proposons, de manière sérieuse ou pour nous divertir, pour expliquer tel mythe, telle bataille dont l'existence nous fut assurée, l'identité des chefs, les lieux presque certains, mais ni le nombre d'homme, ni celui des morts, ni la durée ; cette cité que les eaux firent oublier, exister enfin pour l'éternité ; cet homme cruel et fourbe, sa femme honnête et douce dont les noms seuls nous sont parvenus. Ici commence le règne des fous et des curés : Sa colère a frappé les impies ; les anges ont fait pleuvoir le feu du Ciel ; c'était la plus grande civilisation que le monde a connu, plus nombreuse et puissante que la nôtre ; c'était un roi terrible, cruel et sanglant, le plus grand empereur de tous les temps. Vient ensuite le règne de ceux qui savent : Hadès : tout au plus un hobereau, qui devait se marier, dont le mariage rata, qui enleva (mais rétribua parents et frères) une jeune fille locale. Il était sinistre, à n'en pas douter. Troie : deux-cents âmes, une fort belle enceinte. Ys : un village typique dont les fondations laissaient à désirer (du travail de Celte). Arthur : un roitelet, fort aidé par un barde intriguant. Femme légère. Jésus, Judas : le fou et le salaud. Puis, les fous reprennent le dessus : les vieilles chroniques mentent, bien sûr, mais parce que les moyens, disons, littéraires dont disposaient les auteurs ne suffisaient pas. On n'avait pas encore appris à exprimer l'infini : New-York ne fut pas plus grand que Mohen Jodaro. Rien ne surpasse en beauté et en grandeur les jardins suspendus de Babylone : mille hectares, dix-mille variétés, autant de ruisseaux et de petits canaux, de statues de dieux et de démons, les murs décorés, le bleu et le jaune, les ailes des lamassus. Puisque tout s'achève par la dialectique, de plus érudits encore assurent que ce mythe n'en est pas un, et raisonnablement, vraisemblablement, distinguent le vrai du faux. Je rêve pourtant à ce Zeus, baronnet minable, tout au plus satrape, qui tyrannise un canton et qui reste pourtant maître du mouvement des choses. Poséidon qui règne sur trente pêcheurs et peut, d'un revers de la main, noyer un monde, inverser terre et mer. Les douze et les cent mille tours d'Ys. Le petit berger qui touche un cadavre et le rend à la vie.

Je rêve aussi à ces hommes et ces femmes qui disposent du monde, et qui pourtant, vieillards, ne semblent décider que de l'avenir d'un commis, d'un huissier, ne maîtrisant pas même la couleur d'une cravate, le menu du jour. D'un pape qui parle à la terre et au ciel et n'a pas vingt soldats sérieusement armée. Les présidents disposent du feu du Ciel, pourraient mêler ce Ciel et la terre, meurent d'une balle bien ajustée, ils s'assemblent et ne parviennent pas à gagner une guerre, perdent devant mille fous, qui n'ont pas même mille carabines, à peine autant de moutons.

Bataille.

Ce qui moutonne à l'horizon ne donne ni laine ni de lait.

vendredi 22 octobre 2010

Vérités intro.

Pourtant, nous en avons, des vérités. Les phrases sont prêtes, celles que l'on a dites tant de fois.

jeudi 21 octobre 2010

195. Quand il était secrétaire d'Etat (III).

Ce qui s'était manifesté alors, c'était son goût des crises. Des reportages diraient plus tard qu'il avait été transfiguré dans la situation. Mais il n'avait pas changé, rien ne s'était révélé, lorsqu'il avait fallu décider, séparer les combattants, faire sonner la police, et s'interposer, parfois. Rien ne s'était ajouté. Devant l'imminence du contact, des coups échangés, certains aspects de sa personnalité s'étaient effacés, scrupules à décider, soupçons, désir d'expliquer, de ne rien laisser à la chance. Il n'était resté que sa puissance et, disons-le, son charme.

Il prendrait goût à cela : forcé, par les choses, à changer, renonçant à ce qu'il était, et qui le gênait parfois, forcé d'être libre. Il apprendrait à ne pas céder aux menaces, à la rage, à chaque camp qui n'aspire qu'à triompher et à détruire l'autre en triomphant. Lorsque, ministre, il verrait les universités bloquées, les routes bloquées, la police accusée, lorsque chacun serait crispé et lui, aspirant au calme, à l'innocence, ce goût se développerait. Il s'admirerait parfois, lui qui devait oublier ce qu'il était, dans l'action, se trouverait efficace, juste. Il serait en pleine page. Il glisserait alors quelques mots, sûrs, subtils.

Les voitures qui brûlent furent une crise de gravité moyenne. Il avait l'habitude. Il scrutait sa conscience, agissait (et se regardait agir) : les mains qui ne tremblent pas, le costume qui ne s'est pas froissé, les sueurs, et quelque négligé qui manifestent d'autant plus un chef d'État, qui redoute et n'hésite pas. Tout serait comme d'habitude, et comme il l'avait toujours imaginé : quelques hommes, le président, les grands ministres, de grands commis, tous attendant sa décision, non qu'elle l'emportait sur les autres, mais, enfin, il était l'homme des crises. Nous nous souvenons des vingt-deux morts.

Cendres.

J'aimerais dire de notre époque : Les cendres ne fument plus.

Je me souviens, dans la nuit...

C'est une guerre que nous n'aurions pas dû gagner.

Julien adolescent.

Il venait de la grande bourgeoisie et nous avait épargné son récit de vie. Papa immigré, maman populaire, tel ne m'aimait pas assez, etc.

194. Les Forces.

Un univers soumis à des règles et à des forces, qui ne sont pas celles de l'attraction, un univers avec peu de codes, qui s'appliquent toutefois avec autant de pitié que les lois physiques. Le temps est mesuré, l'espace est parcouru, mais les décomptes ne sont pas rigoureusement les mêmes. Modifications, altérations, comme les sciences qui s'attachent à décrire les molécules, mais avec un système de causes plus complexe, aux inconnues moins terribles mais plus nombreuses, aux paramètres moins saisissables, qu'on hésite à expliquer après coup. Déconfitures, pourrissements, agitations, grouillements, qui se rejoignent dans le mouvement, cessent, prévisibles par moments, voulant être, ils regardent le néant qu'ils ont un jour quitté. Les lois attendent parfois pour se manifester, accélérer le changement, la chose qui fut posée là, attendante. Elles l'altèrent, la rendent identique aux minéraux.

193. Crâne (début et fin).

Mini récit sautillant sur trajet d'un personnage.

On parlait beaucoup, à cette époque, de (choisir). Il était jeune, surprenait par moments. Il avait quelques dons appréciables, comme celui de plaire, d'ajouter au charme l'instinct, un don pour parler au bon moment. Il se situait difficilement parmi les débats sur le protectionnisme et le libéralisme, sur la dignité ou la liberté, la sécurité ou la liberté, l'égalité ou la liberté, mais savait quand parler.

La chance d'abord, l'avait servi. Le député qu'il suppléait mourut rapidement. Il lui restait quatre ans de mandat. C'était le plus jeune de l'assemblée, trente-trois ans, c'était pour sa jeunesse même qu'il avait été choisi comme suppléant. Il venait de Lille et, comme chaque personne à qui est confié quelque talent, que le hasard et l'ambition animent, il devint ambitieux.

Il se rappelait de.

Il avait été choisi par.

Ce qu'il voyait à l'assemblée.

Il ne comprenait pas que.

Son mentor était.

Il louvoyait parmi.

Il fut aidé par la chance que seuls les opiniâtres obtiennent. Un manque de conviction et de projets terribles (sinon pour soi) ne le desservait pas.

***

Pendant dix ans, l'on rit beaucoup, l'on parla beaucoup.

En ** il était.

En ** il rencontre.

En ***

***

Voici la grande affaire de sa vie. (inventer).

Séance de vote.

***

Nous n'en parlerons plus. Pour des raisons qui l'excèdent tellement, par goût de manoeuvrer les hommes de, par son âge, par son par son, et par la certitude qu'il disparaîtrait de manière instantanée, il fut choisi.

Le voilà ministre.

mercredi 20 octobre 2010

Curés & polissons.

Toute décision, tout propos est jugé en fonction d'un unique critère : correspond-il au dogme ? D'autres, de moins en moins rares ne font que se réjouir de déranger ce dogme. Nous n'avons que des curés et des polissons. Quand à se demander quels rapports cette décision, ce propos entretiennent avec la vérité, ou du moins sa forme dégradée, l'exactitude, nous ne le faisons pas.

192. Symptôme.

Ce que nous vivons, les changements que nous connaissons, les modifications peuvent lui être attribués, puisque par lui et par ses gestes, notre pays a changé. Nous notons tout de même que par le monde, ce phénomène existe aussi, et qu'il dépasse largement notre pays. Lui est-il un agent ? N'est-il pas qu'un symptôme ou le levier par lequel des forces qui ne pensent ni ne peuvent être identifiées, qui ne se lient certes pas à des hommes et à des intérêts humains, agissent ? Si ce n'est pas lui, c'eût été un autre. Un autre aurait toujours fait, moins talentueusement, avec plus de lenteur, ce qu'il a fait, à son corps défendant, à mèche lente. Sa personne est la manifestation la plus bruyante, la plus agitée de notre monde, ses complications, rien de plus. Il serait bientôt défait, le monde continuerait, et ceux qui l'attaquaient, qui refusaient de faire ce à quoi il se prêtait si volontiers le feraient quand même. Non que sa marque, à lui, ne puisse désormais être ôtée. Seulement le monde comme il va, par le scrupule, par l'honnêteté et le quant à soi, ne change pas. Le monde pourrait changer (et changerait) mais par d'autres causes que le scrupule. Il n'est pas impossible que la bonne volonté s'unisse à la nécessité. Seulement, encore une fois, nous trouverons des hommes de bonne volonté, et un pouvoir exercé dans la dignité et la mesure. Nous ne trouverons pas un homme qui, par son action, marquerait les institutions et les cœurs. Lui était détestable, d'autres étaient admirables. Sans doute. Condamnons ou louons ce qu'ils dirent, ce qu'ils voulurent. Ôtons-leur toutefois un poids trop lourd pour des hommes. Ils firent, malgré qu'ils en aient, ce que des forces permirent qu'ils firent. D'autres forces agiraient et changeraient. Espérons seulement que des hommes bons seront chargés de faire ce qu'ils n'ont pas décidé.

191. Brûlent les voitures (début).

Sommes nous des assiégés ? Nous sommes devenus des vieillards. Voici notre colère, nos menaces, notre courroux qui ne se manifeste jamais. Notre voix tremble quand nous menaçons. La peur gagne chaque instant de nos journées. La nuit ne nous délivre pas. Nous hésitons à frapper ou à nous soumettre, mais nous reconnaissons volontiers notre faiblesse, nos erreurs passées, celles que nous commettons encore. Nous regrettons de n'être pas l'objet d'une malédiction. Que nous puissions agir, réussir... Nous avons des passions de vieillard : le calme, la permanence d'un monde que nous aimons, que rien n'arrive.

Sommes-nous fous ? Nous sommes épuisés par ce qui ne finit pas d'empirer, par ce qui tient et craque. Nous lisons la haine, la peur, la douleur, les menaces, nous les désirons. Chaque cri nous est adressé, et si ce n'est pas personnellement, menace ce que nous représentons, ce que nous sommes. Les insultes écrites sur les murs, les noms que nous ne connaissons pas, chaque banc cassé, l'herbe qui ne repousse pas, les affiches, chaque lieu qui fut tranquille, et qui n'aspire qu'à la laideur nous menace. Ce cri de bête, était-ce de la douleur ? Les victimes mêmes nous menacent. Ce malaise vient d'un monde barbare. Nous l'avons créé, nous ne le comprendrons pas. Notre haine et notre peur l'emportent tellement sur celles de ce monde. Il menace, promet de nous détruire.

Nous enverrons, sans nul doute, le feu du ciel. Et ce que nous désirions : le calme, la page de nouveau blanche, le crime sans doute, mais dans sa simplicité, et sa pureté, ne nous sera pas offert. Les cris continueront, plus malades, animaux. Les phrases tracées ne seront plus des phrases. Les coups qui nous seront portés le seront plus désordonnément, par des mains plus sales.

Notre citadelle ne tient pas. Nous nous demandons encore « qu'avons-nous fait ? » sans comprendre, « que faire ? ».

190. C'était aux derniers jours du monde.

C'était aux derniers jours du monde. Nous scrutions les signes du malheur qui nous frapperait. Ce n'était pas le ciel qui se troublait, le feu qui tomberait du ciel, les sauterelles, d'autres plaies encore, les moissons malades, l'esprit qui arpente les ruelles, vient frapper ceux dont la porte n'est pas marquée du sang d'un agneau. Le ciel changeait, sans doute. Nous ne savions pas si nous devions lutter ou, avec plus de courage que pour la lutte, nous résigner. Nous ne savions sur qui porter notre colère, notre accablement. Les choses, pourtant, avaient cessé de mûrir. Ce serait bientôt, pour chacun, ceux qui tomberaient et ceux qui frapperait, l'heure de la délivrance.

Quels sont les signes de cette certitude : brûlent les voitures, les menaces plus insistantes, qui ne sont pas plus nombreuses, mais moins dispersées, dont la précision, l'imminence enfin, nous soulage. Surtout, les signes changeaient. Les vidéos contenaient moins de menaces que de sarcasmes. C'était un répit de quelques semaines. Nous n'étions plus sujets à la pesanteur, aux cris, aux pierres. Mais les sourires, et la concertation des sourires, la méchanceté qui se lisait au coin des lèvres, dans le regard, dans un bonnet descendu, sur les vestes, dans la force du cou, la manière dont les mains semblaient libres, tournaient et ne se refermaient pas. Les rues se vidaient, sans doute se concertait-on quelque part. Nous étions en octobre, et les orages n'étaient pas exceptionnels, il pleuvait, les éclairs parcouraient le ciel. Le ciel se délestait encore de sa pluie. Le soleil, me semble-t-il, est plus rare. Nous ne faisons que l'entrevoir, un coin, un angle, la présence chaude derrière un nuage moins épais, plus tendre. Les plaques grises et sombres se modifient, remuent par moments, nous laissent penser, présager. Le soleil n'est pas là, il ne pleuvra peut-être pas de la soirée. Les murs n'étaient pas nettoyés. Les tags ne disparaissait pas. Nous nous promenions, des cris montaient, insistaient. Nous ne savions pas s'ils nous étaient adressés personnellement, mais ils concernaient toute idée de permanence, de respect, de scrupules, qu'ils ruinaient. De grandes lueurs étaient visibles, la nuit, les marques grises, oranges, touchaient le ciel et formaient un halo. Elles montaient d'on ne sait quelle usine, quel collège brûlant.

C'était notre faiblesse, nos bons sentiments mêlés à notre vulnérabilité, nos forces nombreuses, dont nous ne disposions déjà plus, que chacun de ces signes nous rappelaient. Moins l'insolence, les insultes et la vulgarité qu'un mépris qui, bientôt, s'exprimerait autrement. Étions-nous des assiégés ? Mais de quel château, mais avec quels soldats, et protégés par quel rempart ? Nous ne serions pas frappés par le feu du ciel, des hordes barbares, par ce qui viendrait de sous la terre, des exilés qui nous entourent et déjà sont aux portes, mais de quelle citadelle ? Vienne le combat, la fin des temps.

Lexique.

Concentrer, décentrer, altérer.

Veine, rade,

A plat. La vacance.

Cuirassez-vous. Parlez. Vous psychologisez.

Champs de céréales.

L'arpenteur.

À leur corps défendant.

A mèche lente.

Elle le rend identique aux minéraux.

189. Quand il était sous-secrétaire (II).

Il eut ce que le talent ni le courage d'offre : la chance. Un bateau eut une fuite, et le pétrole s'étendit, s'avança jusqu'à menacer le rivage d'Eylött. Il y avait là des maisons, des plages et, plus au Sud, un parc naturel. Le ministre en charge de l'écologie y alla. Julien le suivit. Ils parlèrent et promirent. Les écologistes ne désemplissaient pas les lieux. Il y eut les écologistes et les marins. Les uns défendaient la planète, les autres leur vie. La polémique n'était pas encore nationale. Le souci venait de ce que certains avaient des fusils, d'autres des couteaux. On ne sait pour quelle raison l'assaut fut donné. On ne sait d'ailleurs pas pourquoi Julien fut le seul homme politique présent, alors que tous avaient quitté les lieux depuis quelques heures. Les policiers arrivèrent une heure plus tard. Les ministres, ni les députés n'arrivaient. Il eut de la chance d'être là. Il sut renseigner la police. Il ne supervisa pas l'évacuation ni ne dirigea l'assaut. Les faits ne présentant aucun intérêt. Cependant il était là, il sut merveilleusement résumer la situation aux journalistes venus dans l'heure, parler, et prononcer les phrases si justement balancées qui seraient sa marque : nous comprenons et mais nous ne pouvons approuver, une juste colère face au désespoir, etc. Le miracle était que ces phrases lui étaient naturelles, lui venaient sans qu'il ait à se forcer. Son univers n'était pas blanc et noir. Il était merveilleusement dialectique. Les ressorts de chacun étaient évidents. Rien ne se résolvait, mais tout s'entendait. De rares spécialistes politiques ne découvrirent pas son visage. Il apparaissait sympathique à tous. Chacun le résumait bien sûr à cet épisode, ce qu'il disait n'intéressait pas, ses convictions, ni son travail, ni ce qu'il représentait. Il était l'homme d'Eylött. Ce qui s'attachait à lui et qui s'ossifiait déjà en banalités, par chance, et par la rencontre de la chance et de sa personnalité, ne suscitait que la sympathie : c'était un garçon appliqué, qui manifestait quelque intelligence, quelque sens pratique, que la souffrance pouvait émouvoir, qu'il la comprenait, qui parlait bien.

Le voilà ministre.

La narration du Crâne = minable qui devient ministre ou député.
Psychologie / Galerie de portraits, mais pas que.

Dernière phrase : Le voilà ministre.

mardi 19 octobre 2010

188. Quand il était sous-secrétaire (I).

De quoi était-il le sous-ministre ? Que patronnait-il ? La jeunesse, l'Outre-mer, les anciens combattants lui avaient été épargnés. C'était à l'écologie, ou au développement durable. Aucun budget, aucune administration, il avait la seule puissance que lui donnaient ses apparitions à huit heures trente, à dix-neuf heures quinze. Personne ne le connaissait, sinon à Lyon. Il était un symbole, c'est à dire rien, le sujet de quelques billets d'humeur, l'occasion de dénoncer les belles âmes, les charges inutiles de ceux qui se paient de mots. Il n'était rien et comprenait que d'autres décidaient pour lui, qu'il n'avait pas même à appliquer des décisions, seulement à sourire, à revêtir de coûteux costumes, lorsqu'un photographe serait invité. Quelques interviews à donner, et les leçons à dispenser : ressources à économiser, énergies à renouveler, terre à préserver. Il devait sourire, vider les lieux avec un changement de majorité.

Sainteté dégradée.

Il était inquiet et honnête. Il n'aspirait pas à la sainteté, seulement à l'honnêteté, à quelque efficacité et, s'il aspirait au repos et ne le trouvait pas, il trouvait son repos d'un intérêt moindre à l'honnêteté et à l'efficacité. Il s'accusait de transiger, des mesquineries qui résumaient ses journées, des mesquineries qui ne lui permettaient pas d'agir efficacement, qui le compromettaient inutilement, des sacrifices pareillement inutiles. Il avait honte, se reprochait une honte qui ne menait à rien, l'inquiétait et l'empêchait encore d'être utile et bon. Bonté, convictions, bien commun, les mots qu'il prononçait, auxquels il pensait souvent, qui ne le guidaient pas, lui qui toujours composait. Le cynisme, l'humour l'aidaient, un instant, et retournaient au néant, un bon mot l'avait réjoui le temps de le former et de le prononcer. C'était la forme mesquine et dégradée de la sainteté, la seule qui lui soit autorisée, ne suscitant rien, sinon l'accablement, le haussement des épaules. Il s'ennuyait parfois.

Il n'arrivait pas à donner un centre à sa tristesse, sa fatigue, l'espoir auquel il pensait, parfois, à des puissances abstraites et pourtant toutes-puissantes, qui étaient lui, qu'il ne nommaient pas et faisaient sa vie.

187. PARTIE II. Avant notre rencontre (9).

Nous voyions des collège brûler. Que devions nous ressentir ? Colère, tristesse, horreur sacrée devant les flammes qui montent, et ce qu'elles détruisaient ? Pour nous, les collèges sont pris dans les flammes. Nous les voulions magnifiques et incandescents, le jaune plus soutenu, les tâches claires et parfois blanches, marquées, s'étendant, se substituant aux laides ailes, aux couloirs, à la cantine. Que le feu qui brûle soit celui de la colère qui tombera bientôt. Qu'il purifie . Qu'il soit fournaise.

Les murs cèdent aux couches de gris, fenêtres, barres, plaques. Elles sont bientôt grises, piquées de jaune, de blanc sale. Ils brûlent moins qu'ils ne diminuent. Des lumières passent par les fenêtres mais ce qui vient de la ville, voitures, immeubles, usines, les messages et les néons, à présent fourgons et camions, plus varié, mobile, les valent bien. Le collège cède et se dépiaute, lentement, tendrement. Il tient plus de la tarte, au four, fondante, suave au moment ou le feu la pétrifie. Par instants, l'air tremble, et un souffle chaud part. Nous avons toujours froid. Nous voulions le feu et la nuit. Voilà des murs livides qui se foncent et se tachent, des parois qui éclatent sans bruit, le verre qui cède. Nous ne voyons rien que de laid, et de décevant : des organes malades, chauffés, torts et gonflés, la récurrence des barres et des fiches, rouges, brunes ; des tas compliqués, noirs, qui tiennent du livre, de la craie et du globe. Des livres, sans doute, et la bibliothèque fut belle dans la nuit, plus brûlante et plus claire que les arbres de la cour, que les cuisines ou les salles de dessin. Plastique fondu, couvertures, des pages, et de petits volumes sales qui ont survécu. Un poumon fut chauffé, des griffes ont poussé. Le plafond et les chaises ne sont plus, ou si laids encore. Ils ne nous sont plus utiles. Le feu ne les a pas assez travaillés pour qu'ils nous effraient. Rien n'a été tourmenté. Tout est passé au noir, fatigué tout au plus. Nous voulions la ruine et les cendres.

Raide.

Il voulait qu'il y ait un vainqueur et un défait. Il se raidissait. Jamais il n'y eut d'homme plus ferme au sommet de l'État. Il perdrait tout.

dimanche 17 octobre 2010

186. PARTIE II. Avant notre rencontre (8).

Les morts étaient rares : depuis deux ans, nous n'en comptions pas trente. Mais les attentats stupéfiaient l'opinion. Que les voitures brûlent dans les quartiers, nous le savions. Qu'elles volent et explosent, c'était ajouter de la variété à ce qui est trop uniment gris. C'était des frissons encore, de voire des pauvres fourmiller et s'entr'égorger différemment.

Un métro explosa et vola. La rame prit feu avant de se tordre et de lever, et les voyageurs purent descendre. Quelques intoxications, quelques malaises. Un métro pareillement s'oublia et vola, trois morts. Près de Notre-Dame, une voiture devint une sphère jaune et blanche, fut suspendue, vibra et se souleva, n'exista plus et fut remplacée par de noires fumées, des ombres brunes à terre. Une grand-mère, trois hommes moururent. Il y eu des blessés. Voilà ce qui constituaient les deux tiers des journaux télévisés, presque l'intégralité des émissions politiques, ce que nous pressentions sans l'admettre, une évidence que personne ne songeait à nier : nous étions vulnérables. Une vingtaine de bombes avaient été déclenchées. Des centaines avaient été trouvées et neutralisées. Chaque semaine des bombes étaient annoncées. Nous ne savions pas qui les installait. Des groupes parlaient, revendiquaient, tournaient et montraient de grotesques vidéos. Les noms fusaient et donnait l'occasion de se faire peur. Les polices œuvraient, et avec une certaine efficacité. C'était du bon travail. Nous ne savions pas ce que nous devions craindre : l'intégrisme terroriste, ou le banditisme, nous savions que c'étaient deux réponses à la misère, différentes sans doute, qui nous effrayaient toutes deux. Nous ignorions dans quelle mesure, et par quels justifications ces deux menaces se mêlaient.

Aux lignes argent, santé, amour, famille qui guidaient, organisaient, ou plutôt nous permettaient de résumer notre vie, de comprendre plus que d'agir, s'ajoutait la menace terroriste.

Sombre comté.

Pour la partie "Avant notre rencontre", cf. Sombre Comté Même genre.

185. PARTIE II. Avant notre rencontre (7).

Elle n'était pas brûlante, mais il me fallait tremper cette épée. Je savais que je ne tranchais rien. Mouliner, fendre et frapper m'était possible. Mais pour ce qui est de toucher, de savoir si les coups portaient, et où les porter... Je me sentais fiévreux, et sans fièvre, ce qui revient au même. Un but me manquait. La frénésie succède au calme, sans que l'on puisse dire s'il y a eu frénésie et calme, sans pouvoir tracer une limite. La frontière n'était pas floue ou progressive. Seulement, qu'y avait-il à séparer ? Voilà, un but me manquait. Les secrets ressorts seraient délivrés, la force libérée, le coup porterait, trancherait.

Fiévreux, sans fièvre, me voilà arpenteur, inquiet, compulsif, les volumes passent sous mes doigts, les journaux, magazines, témoignages ; plus tard, saint François, parlant aux oiseaux, aux fusées, d'un calme soutenu, la révélation ne saurait tarder. Ciel scruté, contemplation pénibles, passer vingt pages, ouvrir un instant et bâiller aux corneilles.

Julien Queuille était déjà apparu. Le nom revenait, que je le lise ou y pense. Il m'empêchait de trouver ce que je cherchais. La distance entre ce qu'il était et ce que je prévoyais de faire m'empêcher d'y penser. Le nom revenait pourtant, et ce qui s'y attachait.

samedi 16 octobre 2010

184. Ils arrachent une dureté, etc.

Qu'est-ce que le pouvoir dont ils se nourrissent ? Des choses dorées, les fleurs blanches et jaunes changées chaque matin, la livrée noire que portent commis et huissiers, les cravates des secrétaires, les tailleurs d'autres secrétaires, et d'autres signes encore, les plaques de marbres, les sabres levés, les tapis rouges sur lit de gravier. La main tachée (ce n'est pas de l'encre), pommadée, qui faiblit et, pourtant, signe l'ordonnance. Les repas au cours desquels on mange peu, dont la ligne d'horizon (la ligne grenat, le verre qui tremble et que l'on brandit parfois), longs, où, le verbe paraît, le respect. On l'humilie à l'Assemblée, dans les journaux, mais on ne l'interrompt lorsqu'il commente un vin, un livre qui paraît, les nouvelles du matin. Les femmes et les secrétaires qu'il renverse, et montrent encore ce qui ressemble à une émotion. Moins le respect ou la gloire que ce que la tradition a figé, où s'exprime toujours un pouvoir que l'on aime et dont on trouve une dignité. Ce qui entoure un vieillard, parfois quadragénaire, parfois indigne, qu'on répugne à oublier : moins le fait de gloire que le conséquence de la gloire. Les honneurs, qui font que l'on oublie l'origine des honneurs, dont la vie se poursuit, rituels, quelque chose de sacré pour qui rien ne l'est. Ils se nourrissent moins de leur puissance que de ce qui accompagne cette puissance, non les richesses et les genoux qui plient, mais un sentiment qui passe outre le mépris et l'antipathie, outre les faits de guerre, et la puissance, qui n'est pas l'admiration, moins encore le respect, la soumission, l'adhésion, qu'une aura n'explique pas. Ce qui donne aux plus cyniques un rien de stupeur. On attend sa mort, il est ridicule chaque jour, mais on n'interrompt pas un discours. Qu'est-ce que ce pouvoir ? Une substance permanente, ou plus durable que ceux qui l'exercent, dont ils arrachent une dureté, une stabilité, une force ? Quelle est cette substance ? Un mélange de puissance et de protocole, le droit de parler et de jouir ? Être écouté, signer, qu'enfin, dire et désirer devienne une cause ? Ceux qu'un cancer envahit et empoisonne, ceux qui vieillissent et dont le cœur bat de manière irrégulière ne savent pas ce qu'il assimilent. Ils renonceront à vivre, non à exercer ce qui relève des bouquets des verres levés et des j'ai dit à la France. Ils tremblent. Ils ont à prononcer quelques mots, qu'ils ont tenu à écrire. Ils sont à nouveau des rois.

Regard.

Le regard de Dieu avait baissé.

Mensonge.

Je me trouvais grand et bon. Un mensonge remplaça ce mensonge : la souffrance enrichit les médiocres.

183. PARTIE II. Avant notre rencontre (6).

Je ne pense pas avoir été arrogant. Ou bien c'était une forme supérieure et moins élaborée de l'arrogance. Je ne méprisais rien et regardais tout de haut. Je voyais le monde depuis les nuages, je m'adressais parfois aux hommes. Pareillement, je ne connaissais pas l'inquiétude. La chance et le mélange d'intelligence, d'assurance et de charme qui suscite la chance m'était offerts. Cependant, mon crâne rose devenait plus visible. Un début de calvitie me rendait songeur. Je méditais. J'avais la taille fine, des amis (quelques uns) bientôt célèbres. Je portais, dès le réveil, des chemises blanches qui ne se froissaient pas. Le génie ni les prodiges ne me tentaient, je me contentais d'être brillant, de réussir et de plaire. J'avais des convictions, et une discrétion qui ne compromettait rien. Les sujets graves restaient graves. Beau (d'une beauté bourgeoise que je préfère à la beauté, et que le port et la couture font entièrement), intelligent, cultivé, drôle et divertissant (dans ce que l'humour a de léger, sa cruauté – unanimement goûtée – d'une seconde, n'insistant pas), dont le bon goût ne se compromet pas plus de deux répliques, moral, bon par tout ce que la beauté, l'intelligence, la culture, l'humour et la moral impliquent de bonté. Une absence de haine qu'un léger mépris et les mouvements de main remplacent. Il m'arrivait, par moments, de connaître le désarroi. Une vie tranquille, qui n'était pas une vie réglée, que les malheurs concernent parfois. Vivais-je ?

182. JQ.

Je savais ce que disaient quelques notices de dictionnaire, des essais, une biographie qui lui était consacrée et que j'avais trouvée sur un site spécialisé. Son nom apparaissait rarement dans les chroniques politiques. Il valait pour son origine (il était lyonnais), il était parfois une parabole (il y a peu de la gloire à la ruine, nous voyons les superbes passer...). Rarement, il était mentionné pour ce qu'il était, et ce n'était jamais de manière directe. Il n'était pas menacé par le sarcasme, non plus. On savait, les critiques les plus érudits savaient qu'il avait dû démissionner après que des policiers eurent lancé l'assaut qu'il y eût dix morts. Dix morts ne sont jamais anodines. Il surprit toute le monde et désamorça toute polémique en démissionnant immédiatement. D'autres auraient tenu, auraient demandé qu'une enquête soit menée. Était-ce parce que son cas ne pouvait être défendu, ou parce que sa honte emportait tout, il n'avait pas hésité, ou son hésitation n'avait pas duré. Voilà pour les faits.

M. Queuille n'apparaissait pas dans les annuaires et un ami m'avait dit comment le joindre. J'avais appelé, il m'avait répondu. Je ne serais pas capable de reproduire ici les quelques phrases que nous avions alors échangée. Je lui avais exposé brièvement ma situation : étudiant, journaliste politique, projet de livre. Il avait immédiatement accepté et m'avait donné rendez-vous le lundi suivant.

181. PARTIE II. Avant notre rencontre (5).

Parlons enfin de moi. J'ai bien changé et je peux d'autant mieux dire qui j'étais à cette époque, qui je fus lorsque je décidai de rencontrer Julien. J'avais, me semble-t-il tout ce que l'on peut désirer. J'avais vingt-sept ans. Après de brillantes études, j'avais entrepris une thèse. Ç'avait été, ensuite, le journalisme politique. Un livre comme nègre : Des Ambitions françaises (le titre n'est pas de moi), puis Le Sérail, enfin, d'une diffusion confidentielle, mais dont j'étais fier, Les Rois d'ennui, sur « le pouvoir qui se met en scène pour faire oublier qu'il n'est plus le pouvoir » [à refaire]. Voilà : une « biographie romancée » qui apparaissait « enthousiaste quoique critique », ma contribution au remplacement de la politique par les récits de vie ; un « pamphlet enlevé et drolatique » ; un tableau prétendument bien écrit de la « condition politique du temps ». Il m'a fallu autre chose, le sujet que chacun cherche : pertinent, mais de manière oblique (nous disions aussi « en creux »), qui répondrait aux questions que nous nous poserons toujours, pourquoi prendre le pouvoir ? comment ? qu'en faire ? qui ne proposerait qu'un autre angle pour voir le monde et répondre aux questions que ne se posent jamais ceux qui désirent. Je menais là vie inquiète et pressée de ceux qui cherchent un sujet, soit qu'avidement, ils lisent et lisent encore, espérant quelque révélation, soit qu'ils sondent et scrutent encore le ciel, la ligne d'horizon, arbres et pavés, puis leur conscience.

Comme chaque révélation, c'était une idée qui ne naît pas, pas plus qu'elle ne croît ou s'insinue. Elle est là, sans qu'on ne puisse la rattacher à quelque moment ou à quelque effet de notre volonté. Elle apparaît par intermittences et, souvent, nous empêche de résoudre le problème. Nous nous apercevons enfin que ce ne sont pas deux lignes mélodiques qui se croisent ou plutôt que coïncident là la réponse et sa question. Julien Queuille, qui m'était apparu il y a un mois, au cours d'une recherche, que je ne connaissais pas et qui, cas singulier, m'avait touché ; mon désir de trouver un thème précis. Julien Queuille, célébré puis oublié ; le pouvoir que chacun convoite pour en faire si peu. Voilà mon thème. Le souci est, bien sûr, qu'une fois que nous avons notre réponse, elle ne répond qu'imparfaitement et modifie la question, qu'elle nous change et que la question que nous nous posions est périmée. Sans elle toutefois, nous ne serions pas ce que nous sommes. Me voici en quête de Julien.