Ce qui s'était manifesté alors, c'était son goût des crises. Des reportages diraient plus tard qu'il avait été transfiguré dans la situation. Mais il n'avait pas changé, rien ne s'était révélé, lorsqu'il avait fallu décider, séparer les combattants, faire sonner la police, et s'interposer, parfois. Rien ne s'était ajouté. Devant l'imminence du contact, des coups échangés, certains aspects de sa personnalité s'étaient effacés, scrupules à décider, soupçons, désir d'expliquer, de ne rien laisser à la chance. Il n'était resté que sa puissance et, disons-le, son charme.
Il prendrait goût à cela : forcé, par les choses, à changer, renonçant à ce qu'il était, et qui le gênait parfois, forcé d'être libre. Il apprendrait à ne pas céder aux menaces, à la rage, à chaque camp qui n'aspire qu'à triompher et à détruire l'autre en triomphant. Lorsque, ministre, il verrait les universités bloquées, les routes bloquées, la police accusée, lorsque chacun serait crispé et lui, aspirant au calme, à l'innocence, ce goût se développerait. Il s'admirerait parfois, lui qui devait oublier ce qu'il était, dans l'action, se trouverait efficace, juste. Il serait en pleine page. Il glisserait alors quelques mots, sûrs, subtils.
Les voitures qui brûlent furent une crise de gravité moyenne. Il avait l'habitude. Il scrutait sa conscience, agissait (et se regardait agir) : les mains qui ne tremblent pas, le costume qui ne s'est pas froissé, les sueurs, et quelque négligé qui manifestent d'autant plus un chef d'État, qui redoute et n'hésite pas. Tout serait comme d'habitude, et comme il l'avait toujours imaginé : quelques hommes, le président, les grands ministres, de grands commis, tous attendant sa décision, non qu'elle l'emportait sur les autres, mais, enfin, il était l'homme des crises. Nous nous souvenons des vingt-deux morts.
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