dimanche 3 octobre 2010

161. Le Soleil ni la mort, etc.

Copyright M.D.

A mesure que son génie éclatait, on ne parlait de lui qu'avec condescendance. Un mais suivait tout compliment, tout propos enthousiaste. Un rire, ou un ricanement, que suivaient ordinairement mais il boit, mais il court après de jeunes femmes et se ridiculise. Mais tu as vu sa tête, à cinquante ans ? Kleptomane, cigares à cent euros.

Avaient-ils raison ? Y a-t-il une balance où boire, draguer les serveuses, les stagiaires qui tremblent et disent oui, baissent les yeux, les relever, magnanime, sourire, promettre et s'enfermer, oublier ensuite qu'on fut indigne, par le whisky et par le gin, tient sur un plateau et équilibre l'autre plateau, avoir écrit Les Onze, commandé une légion, fait la France, été l'honneur de la France ? Peut-être étaient-ils seulement jaloux, et oubliaient leur médiocrité en disant qu'eux ne buvaient pas, ne renversaient pas stagiaires et mignons, ou du moins, savaient garder secrètes ces choses.

Peut-être avaient-ils besoin, pour comprendre son génie, et ce qui le rattachait si peu à la bassesse des hommes (ou qu'il savait si bien l'exprimer, à laquelle il n'appartenait donc plus), ce qui le séparait d'eux, de dire ses tares. Ils n'étaient pas jaloux, ils désiraient comprendre. Lui inoculer ce que l'homme a de bas, croyaient-ils, stabilisait le mélange. Les légendes (toujours plus envahissantes, et les sourires entendus) sur la petite bonne, la dérouillée, le poing dans la tronche, les cigarettes et les joints, le gin à six heures du matin, les anxiolytiques, les mélancolies que rien n'explique, qu'il vive encore chez ses parents, trompé, trompé encore, sont des marques de l'esprit français, et de l'ironie perpétuelle, de la grivoiserie, et du sarcasme qui accueille tout lorsque tout effraie. Mais elles le sont secondairement. Il faut nous persuader qu'ils sont, comme nous, des hommes pour ensuite les lire, voir et admettre leur courage, les faits de guerre, les impossibles réformes menées.

Ou bien c'est leur agonie qui nous rassure. Ils meurent (nous ne l'espérions plus). Les derniers mots (les plus savoureux sont ironiques) nous rassurent. Surtout, nous n'oublions pas qu'un agonique, au dernier mot, relâche vessie et intestins. L'infini ainsi maîtrisé est acceptable. Les anecdotes circulent. Une gravure est prévue. Un masque mortuaire sera exposé.

Nous ne regardons toujours pas le soleil en face : ce qu'ils firent devant le Reichsführer, cent pages dont nous sauterons toujours quelques lignes, tel pays miséreux désormais tout-puissant.

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