samedi 23 octobre 2010

196. Petit traité (à mettre ?).

Ce que nous savons des batailles, des hommes et des villes décroît à mesure que nous nous éloignons d'elles. De la même manière, la puissance de notre imagination augmente, et ce que nous proposons, de manière sérieuse ou pour nous divertir, pour expliquer tel mythe, telle bataille dont l'existence nous fut assurée, l'identité des chefs, les lieux presque certains, mais ni le nombre d'homme, ni celui des morts, ni la durée ; cette cité que les eaux firent oublier, exister enfin pour l'éternité ; cet homme cruel et fourbe, sa femme honnête et douce dont les noms seuls nous sont parvenus. Ici commence le règne des fous et des curés : Sa colère a frappé les impies ; les anges ont fait pleuvoir le feu du Ciel ; c'était la plus grande civilisation que le monde a connu, plus nombreuse et puissante que la nôtre ; c'était un roi terrible, cruel et sanglant, le plus grand empereur de tous les temps. Vient ensuite le règne de ceux qui savent : Hadès : tout au plus un hobereau, qui devait se marier, dont le mariage rata, qui enleva (mais rétribua parents et frères) une jeune fille locale. Il était sinistre, à n'en pas douter. Troie : deux-cents âmes, une fort belle enceinte. Ys : un village typique dont les fondations laissaient à désirer (du travail de Celte). Arthur : un roitelet, fort aidé par un barde intriguant. Femme légère. Jésus, Judas : le fou et le salaud. Puis, les fous reprennent le dessus : les vieilles chroniques mentent, bien sûr, mais parce que les moyens, disons, littéraires dont disposaient les auteurs ne suffisaient pas. On n'avait pas encore appris à exprimer l'infini : New-York ne fut pas plus grand que Mohen Jodaro. Rien ne surpasse en beauté et en grandeur les jardins suspendus de Babylone : mille hectares, dix-mille variétés, autant de ruisseaux et de petits canaux, de statues de dieux et de démons, les murs décorés, le bleu et le jaune, les ailes des lamassus. Puisque tout s'achève par la dialectique, de plus érudits encore assurent que ce mythe n'en est pas un, et raisonnablement, vraisemblablement, distinguent le vrai du faux. Je rêve pourtant à ce Zeus, baronnet minable, tout au plus satrape, qui tyrannise un canton et qui reste pourtant maître du mouvement des choses. Poséidon qui règne sur trente pêcheurs et peut, d'un revers de la main, noyer un monde, inverser terre et mer. Les douze et les cent mille tours d'Ys. Le petit berger qui touche un cadavre et le rend à la vie.

Je rêve aussi à ces hommes et ces femmes qui disposent du monde, et qui pourtant, vieillards, ne semblent décider que de l'avenir d'un commis, d'un huissier, ne maîtrisant pas même la couleur d'une cravate, le menu du jour. D'un pape qui parle à la terre et au ciel et n'a pas vingt soldats sérieusement armée. Les présidents disposent du feu du Ciel, pourraient mêler ce Ciel et la terre, meurent d'une balle bien ajustée, ils s'assemblent et ne parviennent pas à gagner une guerre, perdent devant mille fous, qui n'ont pas même mille carabines, à peine autant de moutons.

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