jeudi 28 octobre 2010

203. Vieillards.

Nous sommes des vieillards. Nous pouvons avoir trente ans, mais l'enfance nous a quittés. C'est une forme d'insouciance, et peut-être d'inconscience qui nous a quittés, et non quelque pureté que certains attachent à l'enfance. Ce sont eux qui détruisent, c'est à eux que reviennent la folie, l'oubli aussi, les coups portés, et la sérénité dans la violence. La tranquillité, la quiétude de ceux qui ont œuvré et qui peuvent à présent trouver le repos, qui purent concourir au bien et s'en félicite toujours : voilà ce qui précisément n'est pas nôtre. Nous savons que la douleur et que le mal existent. Pensons-nous qu'ils ne sont pas étrangers ? Sans doute que oui. Mais nous y voyons plutôt là une sorte de fatalité, une nouvelle dimension du monde qui dépasse ou écrase. Nous nous plaisons à annoncer le malheur, quand bien même il ne frapperait pas que le voisin, et qui pareillement nous menace. Nous désirons seulement que la pluie de sel et de feu concerne d'autres que nous. Nous le prédisons avec joie. Nos yeux vivent à ces moments. Nous avons soif de malheur, pour nous comme pour les autres. Rien n'est plus conscient ni désiré. Nous ne frapperons pas, nous n'avons pas décidé et, disons-nous, nous le redoutons. Il y a plus de méchanceté en nous que dans les enfants qui nous frapperont. Nos mains seront tachées de notre sang. Il y aura, pour nous des ivresses calmes, de plats triomphes, quand d'autres hurleront. Les vieillards auront tout de même gagné. Joies, satisfactions mauvaises, assentiments plein de douleurs. Nous ne résisterons à rien, nous savons, nous désirons ce qui nous accablera. Je ne sais toutefois pas à quoi l'attribuer : aux peuples qui, trouvant l'opulence, recherchent la barbarie dont ils furent délivrés, ne parviennent, riches et cultivés, qu'à désirer le néant qu'ils ont quitté, à la fascination de ceux qui ont tout pour la mort, au plaisir coupable, orgueilleux de dire j'ai raison, quand ce serait les derniers mots prononcés, et qu'ils envoient au bûcher, à une génération plus faible. Nous consentirons à tout.

Aucun commentaire: