dimanche 3 octobre 2010

9. Brûlent les voitures (II).

En d'autres temps, nous n'aurions pas dit guerre civile. L'élégance et la pudeur de quelques formules nous auraient évité de le dire, peut-être parfois d'y penser. À présent la guerre civile était sur la table. Nous nous demandions calmement si c'était le cas. Ce n'était pas la première fois que la gendarmerie d'une part, une population précise d'autre part s'affrontait. Ce n'était pas la première fois que nous comptions les morts. À présent, c'était l'armée, tout de même qui intervenait. Elle n'avaient plus en face d'elle des étudiants désœuvrés, des professeurs, quelques ouvriers turbulents. Subtilité, ce n'étaient plus un groupe qui présentait au pays ses propres valeurs, lui montrait qu'il refusait de faire ce qu'il proclamait être le bien suprême. À présent, ce n'était pas seulement un groupe qui proposait d'autres valeurs, qui disait l'incompatibilité entre deux systèmes de valeurs. C'était la Vendée insurgée et sécessionniste.

Nous nous faisions peur et frissonnions. La guerre civile, c'était les promesses de pavés jetés, les revendications et l'annonce d'un monde nouveau, les beaux, frêles révolutionnaire, leurs yeux tendres quand ils tremblent.

Nous étions déçus bien sûr, non point par leur manque de pavés (qui s'étaient largement sophistiqués) d'armes, de rage, d'yeux qui tremblaient. Nous étions accablés par leur grande misère, non pas matérielle, mais de gens qui, même avec console, argent, voitures, n'avaient rien. Ne disposaient pas d'une idée, pas d'une phrase qui ne soit empruntée, et déjà faite leur, abandonnant toute générosité et toute syntaxe, toute possibilité d'être partagée, sinon par d'aussi accablés, d'aussi démunis. Des mots qui n'étaient plus des idées, pas même des slogans, mais des talismans, qui ne se transmettaient qu'à ceux qui étaient déjà convaincus de leur efficacité. Répétés dans la nuit, ils y croyaient comme on croyaient, jadis, aux dieux et aux saints. Victimes, société, stigmatise, généralité, racisme, esclavage. Rien n'auraient pu leur faire renoncer à cette dizaine de mots. Ils protégeaient qui les brandissait farouchement. Ils les protégeaient contre deux ennemis : l'ennemi extérieur qui voulait les réduire, leur démon secret qui eût été tenté un jour de les forcer à se regarder, à se scruter, puis à s'effondrer.

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