C'était de grandes peurs de trente ans qui s'avéraient, enfin, fondées. C'était d'abord le banditisme des quartiers qui s'étendait et nous faisait peur. C'était l'islamisme : pratiques moyenâgeuses et provocantes. Par l'un ou par l'autre, chaque mois, les voitures brûlaient et volaient. C'était les unes des magazines. Je n'enterai pas plus avant dans les détails. Nous savions que le monde que nous avions aimé ne serait bientôt plus. Nous savions les responsabilités de chacun, qui s'était trop écouté, qui se faisait plaisir, qui se punissait, qui se complaisait. C'était l'angoisse d'un pays. Il ne se faisait plus peur. Il avait fait sienne cette peur, et ne tremblait plus seulement parce qu'il est agréable, quand il n'y a pas de danger, de s'effrayer et de se rassurer au coin du feu.
Je ne me sentais toutefois pas concerné. Julien précédait cette période de peur, l'annonçait sans doute par bien des aspects. Mais ce n'est pas ce que je désirais, explications, interprétations, en sonnant à sa porte. Originalité, certes, intérêt d'un sujet nouveau, ou plutôt nouvellement étudié, considéré, intérêt pour la politique, et pour ce que nous appelons l'analyse politique, c'est-à-dire la psychologie de ses acteurs. Julien était le parfait homme à portraiturer. Symptôme d'une époque et d'une société, ses remords, son impuissance, l'alliance des bons sentiments, d'une volonté qui pourrait être esquissée et qui n'est jamais que déclaration d'intention, actions inefficaces ou nuisibles, sens de l'histoire pourquoi pas, et démesure de l'histoire et de ce que nous pouvons faire devant elle. J'avoue, surtout, que je ne me sentais pas concerné par tout cela : manque d'intérêt pour les faits de société, pour ceux qui souffrent et que je ne connais pas, absence d'angoisse, de remords. La politique m'intéressait dans ce qu'elle a de moins politique : les portraits, les jeux, le calcul, les discours qu'elle amène à prononcer, la suite de salauds et de grands homme qu'elle déroule à nos yeux, de manœuvres florentines qu'on condamne et qu'on aime se faire, encore raconter.
Vous psychologisez, m'a-t-on dit. Où sont les macrostructures, les rapports de force, les réseaux, l'avancée dialectique des choses, où est le monde progressivement recouvert, et imparfaitement ? Il est aussi bien dans le destin de Julien Queuille.
Vous psychologisez, m'a-t-on dit. Où sont les macrostructures, les rapports de force, les réseaux, l'avancée dialectique des choses, où est le monde progressivement recouvert, et imparfaitement ? Il est aussi bien dans le destin de Julien Queuille.
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