Parlons enfin de moi. J'ai bien changé et je peux d'autant mieux dire qui j'étais à cette époque, qui je fus lorsque je décidai de rencontrer Julien. J'avais, me semble-t-il tout ce que l'on peut désirer. J'avais vingt-sept ans. Après de brillantes études, j'avais entrepris une thèse. Ç'avait été, ensuite, le journalisme politique. Un livre comme nègre : Des Ambitions françaises (le titre n'est pas de moi), puis Le Sérail, enfin, d'une diffusion confidentielle, mais dont j'étais fier, Les Rois d'ennui, sur « le pouvoir qui se met en scène pour faire oublier qu'il n'est plus le pouvoir » [à refaire]. Voilà : une « biographie romancée » qui apparaissait « enthousiaste quoique critique », ma contribution au remplacement de la politique par les récits de vie ; un « pamphlet enlevé et drolatique » ; un tableau prétendument bien écrit de la « condition politique du temps ». Il m'a fallu autre chose, le sujet que chacun cherche : pertinent, mais de manière oblique (nous disions aussi « en creux »), qui répondrait aux questions que nous nous poserons toujours, pourquoi prendre le pouvoir ? comment ? qu'en faire ? qui ne proposerait qu'un autre angle pour voir le monde et répondre aux questions que ne se posent jamais ceux qui désirent. Je menais là vie inquiète et pressée de ceux qui cherchent un sujet, soit qu'avidement, ils lisent et lisent encore, espérant quelque révélation, soit qu'ils sondent et scrutent encore le ciel, la ligne d'horizon, arbres et pavés, puis leur conscience.
Comme chaque révélation, c'était une idée qui ne naît pas, pas plus qu'elle ne croît ou s'insinue. Elle est là, sans qu'on ne puisse la rattacher à quelque moment ou à quelque effet de notre volonté. Elle apparaît par intermittences et, souvent, nous empêche de résoudre le problème. Nous nous apercevons enfin que ce ne sont pas deux lignes mélodiques qui se croisent ou plutôt que coïncident là la réponse et sa question. Julien Queuille, qui m'était apparu il y a un mois, au cours d'une recherche, que je ne connaissais pas et qui, cas singulier, m'avait touché ; mon désir de trouver un thème précis. Julien Queuille, célébré puis oublié ; le pouvoir que chacun convoite pour en faire si peu. Voilà mon thème. Le souci est, bien sûr, qu'une fois que nous avons notre réponse, elle ne répond qu'imparfaitement et modifie la question, qu'elle nous change et que la question que nous nous posions est périmée. Sans elle toutefois, nous ne serions pas ce que nous sommes. Me voici en quête de Julien.
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