Une question se posait à lui cependant. Devenir adulte ne signifiait pas, pour lui, faire l'épreuve du malheur, de la honte, des explications qui s'ajoutent aux explications, qui nous permettent de nous lever, encore, de la complexité. Il y voyait plutôt une une unité qui n'était pas là, à l'origine, apparaître, vagues et plis, grains paraître aussi, se concentrer, faire cette unité, suaves, se fondre et durcir. Sa bonté, une volonté nouvelle, une utilité, serait retrempées. Ce qui n'avait pas de centre en lui, ce qu'il percevait comme épart, qui n'était pas lui, en quoi il n'aurait pu se reconnaître serait évident. Il serait une lame, la violence ou la miséricorde. Quelques mots, une phrase peut-être rassemblerait ce qui était lui sans doute, mais par intermittences, qu'il ne savait pas s'il devait l'attribuer au hasard ou à sa nature propre, si un mot, une phrase subsumerait ce qui, à perte de vue, était lui, une complexité qu'il trouvait sans valeur, désagréable, à démêler, sans que le désir de le faire soit en lui. Il ne savait pas même s'il existait un projet, et qu'il aurait à trouver, ou si entreprendre ces recherches, la quête même définirait se projet. Surtout, il ignorait s'il avait le courage que toute quête réclame. L'unité viendrait.
dimanche 31 octobre 2010
204. Raffarin.
jeudi 28 octobre 2010
203. Vieillards.
Nous sommes des vieillards. Nous pouvons avoir trente ans, mais l'enfance nous a quittés. C'est une forme d'insouciance, et peut-être d'inconscience qui nous a quittés, et non quelque pureté que certains attachent à l'enfance. Ce sont eux qui détruisent, c'est à eux que reviennent la folie, l'oubli aussi, les coups portés, et la sérénité dans la violence. La tranquillité, la quiétude de ceux qui ont œuvré et qui peuvent à présent trouver le repos, qui purent concourir au bien et s'en félicite toujours : voilà ce qui précisément n'est pas nôtre. Nous savons que la douleur et que le mal existent. Pensons-nous qu'ils ne sont pas étrangers ? Sans doute que oui. Mais nous y voyons plutôt là une sorte de fatalité, une nouvelle dimension du monde qui dépasse ou écrase. Nous nous plaisons à annoncer le malheur, quand bien même il ne frapperait pas que le voisin, et qui pareillement nous menace. Nous désirons seulement que la pluie de sel et de feu concerne d'autres que nous. Nous le prédisons avec joie. Nos yeux vivent à ces moments. Nous avons soif de malheur, pour nous comme pour les autres. Rien n'est plus conscient ni désiré. Nous ne frapperons pas, nous n'avons pas décidé et, disons-nous, nous le redoutons. Il y a plus de méchanceté en nous que dans les enfants qui nous frapperont. Nos mains seront tachées de notre sang. Il y aura, pour nous des ivresses calmes, de plats triomphes, quand d'autres hurleront. Les vieillards auront tout de même gagné. Joies, satisfactions mauvaises, assentiments plein de douleurs. Nous ne résisterons à rien, nous savons, nous désirons ce qui nous accablera. Je ne sais toutefois pas à quoi l'attribuer : aux peuples qui, trouvant l'opulence, recherchent la barbarie dont ils furent délivrés, ne parviennent, riches et cultivés, qu'à désirer le néant qu'ils ont quitté, à la fascination de ceux qui ont tout pour la mort, au plaisir coupable, orgueilleux de dire j'ai raison, quand ce serait les derniers mots prononcés, et qu'ils envoient au bûcher, à une génération plus faible. Nous consentirons à tout.
mardi 26 octobre 2010
202. Démographes.
Coïncider (liant).
Sa chance et son grand malheur avaient été de coïncider parfaitement avec le nouveau Parti. Son ascension ne s'expliquait pas seulement par les hasards ou les coups portés, par les manœuvres pensées et intelligemment menées. Par des circonstances qu'il ignorait, il leur ressemblait. Il ne savait pas les causes de cette honnêteté extrême, de cette volonté de bien faire, des atermoiements et des scrupules, de l'inutile sens du sacrifice qu'ils partageaient. Ils se reconnurent. Il occupa quelque poste de secrétaire, dans le Parti. De là...
lundi 25 octobre 2010
201. VIe République.
200. Grandes manoeuvres.
Ce qui nous occupa durant des mois ne signifie plus rien, désormais. Rappelons tout de même qu'A. n'était plus secrétaire du Parti. Il fallait en choisir un nouveau et celui qui serait choisi, qui prendrait le parti, prendrait aussi la France : les prochaines élections ne pouvaient être perdues. Il fallait tout au plus se montrer généreux, susciter la confiance, éviter quelques combinaisons malheureuses.
Julien avait de nombreux amis. Il militait depuis huit ans et désirait s'élever. Quatre camps s'étaient donné rendez-vous. Les amis de Julien gagnèrent. Il m'importe peu de savoir comment, et qui fut traître, qui joua et l'emporta, par quel procédé, par quelle alliance, par quel jeu subtil et progressif, par quel coup de force. Il y avait eu ceux qui jouèrent la comédie du sérieux et de la responsabilité ; ceux qui promirent ; ceux qui firent croire en la possibilité et peut-être en la disponibilité d'un autre monde, ceux qui évoquaient la fraternité ; ceux qui se voulaient à gauche ; ceux qui disaient Jaurès, Hugo, Blum ; ceux qui n'aimaient pas la droite ; ceux qui disaient réformer ; ceux qui désiraient modifier le système.
Ses amis gagnèrent. C'était une amitié évidente, vieille et sincère. C'était aussi de profondes convictions. Il appartint au camp qui promit « justice et rigueur », qui fit « les seules promesses que l'on peut tenir », qui promit modestement, qui ne désirait pas susciter l'ivresse, qui promettait « le progrès et la responsabilité », qui ne prétendait pas s'être délivré de l'idéologie, mais dont les mots lumineux supprimaient ce qui heurte, ceux qui, avant toute chose, tranquillisaient. Ce n'était pas une tranquillité plate et satisfaite qu'ils offraient, mais la certitude que les tensions, la douleur, les crispations, l'épuisement que la lutte implique (non pas l'effort ou le scrupule) nous seraient évités. Ils gagnèrent assez largement. Ils s'étaient abusés eux-mêmes avant d'abuser le Parti et le pays.
Julien ne pouvait qu'appartenir à cette chapelle, dont le programme (lui aussi importe assez peu) qui prévoit d'assainir les relations sociales, le maintien d'une protection sociale forte, sa diplomatie, largement européenne, sa gestion prudente des emprunts, sa relance par légères touches de l'économie, la suppression de mesures impopulaires et parfois détestables, se résumerait facilement : son seul objectif était d'éviter, non pas dans la mesure du possible, mais avec minutie et inquiétude, les tensions, les souffrances inutiles, en somme, la douleur et le mal du monde. Bien sûr, la conscience et le soin apportés à déposséder le monde du malheur, s'oublier, s'admirer grand et scrupuleux, lui permettraient, à nouveau, de régner.
dimanche 24 octobre 2010
Brûle.
199. A quoi bon ?
198. Mort officielle.
Un arrêt cardiaque, le baron n'est plus. C'est dans ces circonstances que se manifestent les caractères. Ils sont pourtant tempérés par l'intérêt politique. Ne pas prononcer, par communiqué de presse, quelques mots est un erreur. Que révèlent ces quelques mots ? La prudence de ceux qui s'en tiennent au constat Un homme qui a marqué et continue de marquer la ville de Lyon, ou qui a compté durant près de quarante ans, qui a marqué de son empreinte, dont le destin ne peut être séparé de celui de, de ceux qui voient en lui (la chose est d'autant plus habile qu'elle vient d'un adversaire) Un grand homme politique qui a su faire de Lyon une métropole européenne, Un visionnaire et un homme puissant ; la critique de ceux qui devraient être ses amis, évoquant les zones d'ombre, provocations inutiles et puisque la lumière ne tombe que par intermittences, le contraste de son bilan, une part d'ombre. Ceux qui n'ont rien à dire ou par calcul ne disent rien. Les hommages qui rendraient pareillement hommage à cent autres personnes, Un grand homme, transformation, énergie, volonté, sans doute parce que nos vies sont semblables et diffèrent moins qu'on ne le voudrait, et que la banalité de la puissance et du pouvoir existe, comme existe, nous le savons, la banalité de la médiocrité, peut-être aussi parce que la médiocrité est avant tout celle de ceux qui parlent, qui filent les détermination, courage, rôle majeur, sourient ou paraissent graves. Viennent les partisans de la précision : un paradoxe, un homme qui beaucoup fait mais qui cependant, se rejoignent l'honnêteté et la lâcheté. Trublion, iconoclaste qui ne coûtent rien. Les faux pas n'existent pas. Quelques réussites sont remarquées. Comme de coutume, ce qui doit être dit est dit, ne signifie rien, et rejoint lentement les montagnes de chiffres, mots prononcés, discours de circonstance, prévisions, intentions, ne signifiant rien et, cette fois-ci ne sont les symptômes de rien, disent moins que de coutume : un homme qui compte, un ami, intelligence, au-delà des désaccords, une figure de. Comblez le vide de ce que vous désirez : c'est un … qui s'en va. Les artistes sont moins bien célébrés.
197. Survivait.
samedi 23 octobre 2010
196. Petit traité (à mettre ?).
vendredi 22 octobre 2010
Vérités intro.
jeudi 21 octobre 2010
195. Quand il était secrétaire d'Etat (III).
Cendres.
Je me souviens, dans la nuit...
C'est une guerre que nous n'aurions pas dû gagner.
Julien adolescent.
194. Les Forces.
193. Crâne (début et fin).
La chance d'abord, l'avait servi. Le député qu'il suppléait mourut rapidement. Il lui restait quatre ans de mandat. C'était le plus jeune de l'assemblée, trente-trois ans, c'était pour sa jeunesse même qu'il avait été choisi comme suppléant. Il venait de Lille et, comme chaque personne à qui est confié quelque talent, que le hasard et l'ambition animent, il devint ambitieux.
Il se rappelait de.
Il avait été choisi par.
Ce qu'il voyait à l'assemblée.
Il ne comprenait pas que.
Son mentor était.
Il louvoyait parmi.
***
Pendant dix ans, l'on rit beaucoup, l'on parla beaucoup.
En ** il était.
En ** il rencontre.
En ***
***
Voici la grande affaire de sa vie. (inventer).
Séance de vote.
***
Nous n'en parlerons plus. Pour des raisons qui l'excèdent tellement, par goût de manoeuvrer les hommes de, par son âge, par son par son, et par la certitude qu'il disparaîtrait de manière instantanée, il fut choisi.
Le voilà ministre.
mercredi 20 octobre 2010
Curés & polissons.
192. Symptôme.
Ce que nous vivons, les changements que nous connaissons, les modifications peuvent lui être attribués, puisque par lui et par ses gestes, notre pays a changé. Nous notons tout de même que par le monde, ce phénomène existe aussi, et qu'il dépasse largement notre pays. Lui est-il un agent ? N'est-il pas qu'un symptôme ou le levier par lequel des forces qui ne pensent ni ne peuvent être identifiées, qui ne se lient certes pas à des hommes et à des intérêts humains, agissent ? Si ce n'est pas lui, c'eût été un autre. Un autre aurait toujours fait, moins talentueusement, avec plus de lenteur, ce qu'il a fait, à son corps défendant, à mèche lente. Sa personne est la manifestation la plus bruyante, la plus agitée de notre monde, ses complications, rien de plus. Il serait bientôt défait, le monde continuerait, et ceux qui l'attaquaient, qui refusaient de faire ce à quoi il se prêtait si volontiers le feraient quand même. Non que sa marque, à lui, ne puisse désormais être ôtée. Seulement le monde comme il va, par le scrupule, par l'honnêteté et le quant à soi, ne change pas. Le monde pourrait changer (et changerait) mais par d'autres causes que le scrupule. Il n'est pas impossible que la bonne volonté s'unisse à la nécessité. Seulement, encore une fois, nous trouverons des hommes de bonne volonté, et un pouvoir exercé dans la dignité et la mesure. Nous ne trouverons pas un homme qui, par son action, marquerait les institutions et les cœurs. Lui était détestable, d'autres étaient admirables. Sans doute. Condamnons ou louons ce qu'ils dirent, ce qu'ils voulurent. Ôtons-leur toutefois un poids trop lourd pour des hommes. Ils firent, malgré qu'ils en aient, ce que des forces permirent qu'ils firent. D'autres forces agiraient et changeraient. Espérons seulement que des hommes bons seront chargés de faire ce qu'ils n'ont pas décidé.
191. Brûlent les voitures (début).
Sommes-nous fous ? Nous sommes épuisés par ce qui ne finit pas d'empirer, par ce qui tient et craque. Nous lisons la haine, la peur, la douleur, les menaces, nous les désirons. Chaque cri nous est adressé, et si ce n'est pas personnellement, menace ce que nous représentons, ce que nous sommes. Les insultes écrites sur les murs, les noms que nous ne connaissons pas, chaque banc cassé, l'herbe qui ne repousse pas, les affiches, chaque lieu qui fut tranquille, et qui n'aspire qu'à la laideur nous menace. Ce cri de bête, était-ce de la douleur ? Les victimes mêmes nous menacent. Ce malaise vient d'un monde barbare. Nous l'avons créé, nous ne le comprendrons pas. Notre haine et notre peur l'emportent tellement sur celles de ce monde. Il menace, promet de nous détruire.
Nous enverrons, sans nul doute, le feu du ciel. Et ce que nous désirions : le calme, la page de nouveau blanche, le crime sans doute, mais dans sa simplicité, et sa pureté, ne nous sera pas offert. Les cris continueront, plus malades, animaux. Les phrases tracées ne seront plus des phrases. Les coups qui nous seront portés le seront plus désordonnément, par des mains plus sales.
Notre citadelle ne tient pas. Nous nous demandons encore « qu'avons-nous fait ? » sans comprendre, « que faire ? ».
190. C'était aux derniers jours du monde.
Lexique.
Veine, rade,
A plat. La vacance.
Cuirassez-vous. Parlez. Vous psychologisez.
Champs de céréales.
L'arpenteur.
À leur corps défendant.
A mèche lente.
Elle le rend identique aux minéraux.
189. Quand il était sous-secrétaire (II).
Le voilà ministre.
Psychologie / Galerie de portraits, mais pas que.
mardi 19 octobre 2010
188. Quand il était sous-secrétaire (I).
Sainteté dégradée.
Il n'arrivait pas à donner un centre à sa tristesse, sa fatigue, l'espoir auquel il pensait, parfois, à des puissances abstraites et pourtant toutes-puissantes, qui étaient lui, qu'il ne nommaient pas et faisaient sa vie.
187. PARTIE II. Avant notre rencontre (9).
Raide.
dimanche 17 octobre 2010
186. PARTIE II. Avant notre rencontre (8).
Les morts étaient rares : depuis deux ans, nous n'en comptions pas trente. Mais les attentats stupéfiaient l'opinion. Que les voitures brûlent dans les quartiers, nous le savions. Qu'elles volent et explosent, c'était ajouter de la variété à ce qui est trop uniment gris. C'était des frissons encore, de voire des pauvres fourmiller et s'entr'égorger différemment.
Un métro explosa et vola. La rame prit feu avant de se tordre et de lever, et les voyageurs purent descendre. Quelques intoxications, quelques malaises. Un métro pareillement s'oublia et vola, trois morts. Près de Notre-Dame, une voiture devint une sphère jaune et blanche, fut suspendue, vibra et se souleva, n'exista plus et fut remplacée par de noires fumées, des ombres brunes à terre. Une grand-mère, trois hommes moururent. Il y eu des blessés. Voilà ce qui constituaient les deux tiers des journaux télévisés, presque l'intégralité des émissions politiques, ce que nous pressentions sans l'admettre, une évidence que personne ne songeait à nier : nous étions vulnérables. Une vingtaine de bombes avaient été déclenchées. Des centaines avaient été trouvées et neutralisées. Chaque semaine des bombes étaient annoncées. Nous ne savions pas qui les installait. Des groupes parlaient, revendiquaient, tournaient et montraient de grotesques vidéos. Les noms fusaient et donnait l'occasion de se faire peur. Les polices œuvraient, et avec une certaine efficacité. C'était du bon travail. Nous ne savions pas ce que nous devions craindre : l'intégrisme terroriste, ou le banditisme, nous savions que c'étaient deux réponses à la misère, différentes sans doute, qui nous effrayaient toutes deux. Nous ignorions dans quelle mesure, et par quels justifications ces deux menaces se mêlaient.
Aux lignes argent, santé, amour, famille qui guidaient, organisaient, ou plutôt nous permettaient de résumer notre vie, de comprendre plus que d'agir, s'ajoutait la menace terroriste.
185. PARTIE II. Avant notre rencontre (7).
Julien Queuille était déjà apparu. Le nom revenait, que je le lise ou y pense. Il m'empêchait de trouver ce que je cherchais. La distance entre ce qu'il était et ce que je prévoyais de faire m'empêcher d'y penser. Le nom revenait pourtant, et ce qui s'y attachait.
samedi 16 octobre 2010
184. Ils arrachent une dureté, etc.
Mensonge.
183. PARTIE II. Avant notre rencontre (6).
182. JQ.
M. Queuille n'apparaissait pas dans les annuaires et un ami m'avait dit comment le joindre. J'avais appelé, il m'avait répondu. Je ne serais pas capable de reproduire ici les quelques phrases que nous avions alors échangée. Je lui avais exposé brièvement ma situation : étudiant, journaliste politique, projet de livre. Il avait immédiatement accepté et m'avait donné rendez-vous le lundi suivant.
181. PARTIE II. Avant notre rencontre (5).
Parlons enfin de moi. J'ai bien changé et je peux d'autant mieux dire qui j'étais à cette époque, qui je fus lorsque je décidai de rencontrer Julien. J'avais, me semble-t-il tout ce que l'on peut désirer. J'avais vingt-sept ans. Après de brillantes études, j'avais entrepris une thèse. Ç'avait été, ensuite, le journalisme politique. Un livre comme nègre : Des Ambitions françaises (le titre n'est pas de moi), puis Le Sérail, enfin, d'une diffusion confidentielle, mais dont j'étais fier, Les Rois d'ennui, sur « le pouvoir qui se met en scène pour faire oublier qu'il n'est plus le pouvoir » [à refaire]. Voilà : une « biographie romancée » qui apparaissait « enthousiaste quoique critique », ma contribution au remplacement de la politique par les récits de vie ; un « pamphlet enlevé et drolatique » ; un tableau prétendument bien écrit de la « condition politique du temps ». Il m'a fallu autre chose, le sujet que chacun cherche : pertinent, mais de manière oblique (nous disions aussi « en creux »), qui répondrait aux questions que nous nous poserons toujours, pourquoi prendre le pouvoir ? comment ? qu'en faire ? qui ne proposerait qu'un autre angle pour voir le monde et répondre aux questions que ne se posent jamais ceux qui désirent. Je menais là vie inquiète et pressée de ceux qui cherchent un sujet, soit qu'avidement, ils lisent et lisent encore, espérant quelque révélation, soit qu'ils sondent et scrutent encore le ciel, la ligne d'horizon, arbres et pavés, puis leur conscience.
Comme chaque révélation, c'était une idée qui ne naît pas, pas plus qu'elle ne croît ou s'insinue. Elle est là, sans qu'on ne puisse la rattacher à quelque moment ou à quelque effet de notre volonté. Elle apparaît par intermittences et, souvent, nous empêche de résoudre le problème. Nous nous apercevons enfin que ce ne sont pas deux lignes mélodiques qui se croisent ou plutôt que coïncident là la réponse et sa question. Julien Queuille, qui m'était apparu il y a un mois, au cours d'une recherche, que je ne connaissais pas et qui, cas singulier, m'avait touché ; mon désir de trouver un thème précis. Julien Queuille, célébré puis oublié ; le pouvoir que chacun convoite pour en faire si peu. Voilà mon thème. Le souci est, bien sûr, qu'une fois que nous avons notre réponse, elle ne répond qu'imparfaitement et modifie la question, qu'elle nous change et que la question que nous nous posions est périmée. Sans elle toutefois, nous ne serions pas ce que nous sommes. Me voici en quête de Julien.
180. PARTIE II. Avant notre rencontre (4).
G.
Que l'alcool pris à huit heures du matin révèle quelque chose : la volonté de s'oublier, goûter le néant qui n'est pas si complet dans le sommeil. Et pourtant, même pour celui-là, qui déteste boire et n'aime pas plus manger, ni personne, ni l'indispensable télévision qui n'offre que son ronron, quand l'occasion, rare, se montre, la vie se montre disponible : il peut baiser et non pas s'oublier dans le rut, mais triompher de se voir enfin vivant et maîtrisant. Il peut aimer l'improbable compliment qui lui sera décerné. Il s'oublie et disparaît, mais n'attend que d'être éveillé.
jeudi 14 octobre 2010
179. PARTIE II. Avant notre rencontre (3).
Vous psychologisez, m'a-t-on dit. Où sont les macrostructures, les rapports de force, les réseaux, l'avancée dialectique des choses, où est le monde progressivement recouvert, et imparfaitement ? Il est aussi bien dans le destin de Julien Queuille.
178. PARTIE II. Avant notre rencontre (2).
Oublions tout système de causes. Ce jour là, le monde dans lequel nous vivons change. Bien sûr, rien n'a bougé dans l'exactitude du monde, si ce n'est la manière dont nous l'appréhendons. Nous aimions nous faire peur. Les frissons menaient notre vie, et nos lectures, et les journaux, les frissons qu'ils faisaient naître, nos peaux parcourues. Nous étions sur le pont d'un bateau et ce qui se brisait plus bas nous menaçaient et nous grisaient de nous menacer. Ce jour est une angoisse nouvelle. Une question était posée, et plus clairement qu'avant. En posant les choses si simplement, nous étions plus ronflants, plus tonitruants, et regardions enfin, fût-ce au prétexte de vendre du papier, notre destin tragique. Ce n'étaient pas les morts à venir, les choix terribles qui faisaient qu'il était tragique, seulement notre impuissance.
La question était : « Que deviendrons-nous ? ».
177. PARTIE II. Avant notre rencontre (1).
C'était une seule et même conversation par toute la terre. Nous disions risque, escalade, montée, prolifération, menace, durcissement, radicalisation. Pour s'exprimer de manière moins feutrée : Noirs, Arabes et musulmans étaient dans la balance. Que pesions-nous ? Notre capacité à intégrer, non des personnes, mais des populations que nous n'avions pas prévu d'intégrer, dont nous nous désintéressions, qui avaient fait, en partie, le pays, et qui avaient surtout fait ce que nous ne désirions pas faire. Nous les avions désespérés. Ils s'écoutèrent et se firent plaisir, nous firent peur. Ce furent quarante années où le phénomène ne put être scruté, puisque chaque dimension du problème, analysée, même honnêtement, ne pouvait rien expliquer, niée et ridiculisée par n'importe quelle autre dimension, humaine, culturelle, ethnique, associative, cultuelle, sociale, policière, urbaine, scolaire. Le dialogue, lorsque personne ne veut écouter et ne veut que parler, ou ce qui nous illusionne si facilement et par quoi nous prétendons connaître le réel, la dialectique, n'est pas un dialogue et ne permit rien. Nous disions : intégration, assimilation, stigmatisation, racisme, antiracisme, quartiers, jeunes, voile, république, laïcité, clichés, essentialisme. Ou nous ne disions rien, puisque rien ne suivait les bonnes intentions. Suivaient des pactes, associations, mesures, Grenelle, plans, engagements, c'est-à-dire rien. Nous savions que le grand banditisme augmentait, et l'intégrisme religieux.
176. Sphères.
Pourquoi ce nous qui revient ?
Je ne me désolidarise jamais de la médiocrité.
175. JBR.
dimanche 10 octobre 2010
174. Bataille. Dernier assaut.
C'était la défaite et bientôt la légende : son nom, et d'autres noms, prononcés par toute la terre, lus. Des douleurs pour ses ennemis. La légende qui naissait entre deux carcasses noires. Il y aurait un chant.
Comprenons-nous, à présent ?
173. Bataille.
samedi 9 octobre 2010
Guerre civile.
Médiocre.
Tragique.
172. Inquiet.
171. Cadre.
170. Secrétaire d'Etat.
Le roi superbe passait. Une volée de marches, les hauts plafonds, les fauteuils qui luisent et craque le cuir doré, marron, sous la dent et devient noir. Grande liesse pour celui qui va parler au parti et au pays. Il y avait de grandes glaces, le café se dédorait lentement. Il était populaire, surtout à la fin de l'année 20**, les cadres du parti apprenaient à le connaître, chaque intervention suscitait l'enthousiasme. L'enthousiasme naissait, je nous vois encore le contempler : les drapeaux levés, la salle s'était agrandie sous les vivats. Les mots vides de sens, mais qu'il nous fallait toutefois entendre, il les prononçait : peuple, gauche, État, justice et injustice, et quand la salle était mûre, nous ferons. Il n'apparaissait pourtant pas ambitieux. Il l'était, sans doute, mais ne donnait pas l'impression que presque tous donnent, que le monde peut basculer une fois qu'ils le possède. Par ailleurs, le discours finissant était toujours moyen. Des journalistes l'avaient noté, l'orateur n'était pas parfait. Il n'avait rien changé, et je sais pourquoi, je l'ai su bien plus tard, lors de nos discussions. Il ne s'agissait pas tant de rassurer, de montrer qu'un démagogue ne gagnerait pas l'élection ; il calmait le peuple qu'il avait chauffé : l'assentiment qui lui serait offert, il ne l'aurait pas arraché dans le rut. Les meilleurs effets ne devaient pas tout emporter. Une croyance l'emportait en lui : que la raison devait se manifester, au moment même ou elle ne se manifeste plus, lors des terrible instants qui ont précédé l'élection de chaque mauvais président, les j'y crois, je l'aime bien, qui inaugurent dix ou quinze ans d'incompétence, parfois de dangerosité. Il voulait que la responsabilité soit partagée entre celui qui a menti et ceux qui ont consenti au mensonge, et qui ne pourraient évoquer plus tard quelque trahison, reniement, parler engagements, promesses. Il tomberait, et nous qui l'avions voulu, plus que désiré, nous qui l'approuvions médiocre ou lorsqu'il brillait. Les plus sages haussaient les épaules, ceux qui disent il est comme tous les autres, qui ont raison, bien sûr, et qui, s'ils diffusaient leur langueur au monde, l'empêcherait de se tuer et de tourner.
169. Notre amitié.
Ce midi, il était aussi une bière et une assiette de frites, une côte de bœuf, la sauce que le médecin n'autorisait pas. Nous revenions de la pêche, il n'avait pas plu. Qu'est-ce que notre amitié sinon la froide bière, la botte lavée, et nos tu crois, ah le salaud, tu te moques de moi.
168. Délivrance vue télé.
Et voici ce qu'elle vit et entendit cette nuit-là : le soir d'abord, c'était les images de la veille. Les chaînes d'information, la nuit, montraient des images d'archives. Ce ne devait être qu'une nuit parmi d'autres. Puis vers deux heures quelques insomniaques apprirent que cette nuit pouvait être différente : que les flammes allaient plus haut, que les cris montaient, également, s'amplifiaient, que le calibre des balles tirées augmentait. Les rédactions, vers quatre heures, savaient que des choses importantes, entendons graves et faisant frémir, s'étaient déroulées. Les éditions du matin disaient, vers six heures, que l'armée était intervenue, qu'on était mort, cette nuit-là. Les chiffres variaient, augmentaient et dépassaient les douze morts de la nuit. Les journaux disaient Nuit de violence, Nuit sanglante, Plus de dix morts, Au bout de la nuit (personne ne pensa à Nuit de Chine, Nuit câline). Les spécialistes étaient dépêchés, dès six heures. Un seul programme était prévu, pour les heures à venir. Violence, morts, parmi les jeunes, parmi la police.
Le président de la République devait intervenir le soir. Julien Queuille parla dès onze heures, et parla moins de deux minutes.
Deux lignes mélodiques, pour toute la journée se mêleraient, bandeaux défilants, arrière-plan, images, vidéos, et derrière, la voix de Julien Queuille : la nuit et les morts, c'est une décision que j'ai pris seul, et j'offrirai ma seule démission.
Nous.
vendredi 8 octobre 2010
167. Délivrance vue du ministère (III).
Ils étaient cinq : Julien, le directeur de cabinet, un responsable de l'armée, un secrétaire, quelque autre chef. Ils étaient anxieux, mais ils l'étaient depuis dix jours. C'était l'angoisse et la colère – rien n'avait changé. La situation demandait, imposait. Un appel rapide lança le tout. Ils étaient informés.
Il était vingt-deux heures. X X X X X X X X X X X X X X X mourraient entre minuit et une heure du matin. L'idée d'origine, et par là-même de cause, est étrangère à ce travail. Je ne dirai pas ce qu'il se dit entre vingt-deux heures et l'heure à laquelle Julien pris sa décision : ce devait être quatre heures. Il y eut dix mort, cela suffit. Ils étaient plus accablés par ce qu'ils avaient fait que par ce que leur crime impliquait. Un miroir leur était tendu.
166. Délivrance vue du ministère (II).
Il était ministre. Il ne devait pas intervenir, c'est ce qu'il se dit les dix premiers jours. Le premier ministre parla. La nation se recueillait devant le poste depuis dix jours, et se faisait peur, n'osait ne demander si elle voulait que le feu cessât ou augmentât, sans oser se dire qu'elle désirait de plus grandes flambées, se désennuyer un peu. La nation avait tout de même un peu peur. C'est pourquoi il avait dû parler. Ces choses relèvent, disait-il, de Monsieur Queuille. Monsieur Queuille alors d'envoyer les diverses unités prévues lorsque les voitures brûlent. Les blessés ajoutèrent au feu. Il ajouta des unités aux unités. Associations et habitants dénonçaient l'escalade de la violence, les représailles, parlaient dialogue, cessez-le-feu, respect. Le respect était si partagé des deux côtés qu'on finit par être blessé et par mourir. Les trêves possiblement envisagées – entre militaires et moins qu'adolescents – furent oubliées. Les projets pareillement oubliés, assises des banlieues, Grenelle des banlieues, Plan Marshall des banlieues, cahiers de doléance des banlieues, et emploi, humiliations sociales, racisme ordinaire (largement partagé), urbanisme, etc. et tous les mots qu'il n'est pas vain toutefois de prononcer, chaque fois que la banlieue, brûlante, est sommée de se présenter à nous, bloc de mystère ou de trop grandes certitudes, comme un mal avec ses symptômes, dont l'origine peut-être, est trop peu (ou trop) connue, qui attend la médication.
Chacun voulait à présent, la classe politique unanime, habitants unanimes, la nation parlant d'une voix que cela cessât. Qu'une commission se charge et enregistre, qu'on programme, dialogue, prévoie, propose, promette. Mais ces feux dans la nuits, angoisses ou grandes joies, devaient être éteints.
Nous nous trouvons dans le bureau de Julien Queuille. Responsables convoqués, sous-ministres présents. Le président l'autorise à prendre les mesures qu'il jugera bonnes et utiles.
jeudi 7 octobre 2010
165. Délivrance vue du ministère (I).
Le pays, disait-on, allait mieux. Il est vrai que ce qu'il y a de courbes, de barres et de taux était réjouissant. Les mots qui guident nos vies, mais de manière si oblique, sans que nous sachions si la nouvelle d'un changement nous concernait, ou le changement lui-même, les mots étaient tous prononcés : croissance, chômage, commerce extérieur. Depuis quelques années, on parlait relocalisation, et chacun s'enthousiasmait. Le gouvernement, en place depuis deux ans, était félicité. Certains se demandaient s'il était vraiment à l'origine du phénomène ou s'il profitait de circonstances et d'une situation qu'il ne maîtrisait évidemment pas.
Si les Français profitaient de cette embellie Daumas (c'était son nom officiel) de l'annonce et de représentation d'une promesse d'embellie, dont Daumas n'était sans doute pas l'origine, en dépit d'efforts sincères, ils n'en profitaient pas de manière égale. Disons-le, les Français aux noms étrangers, aux peaux sombres, ne voyaient pas de changement (pas moins que les autres, mais il n'y avait pas de promesses de taux, de barres, de parts). La faim ni le froid ne tuaient en France, seulement, on y était humilié. On y brûlait un peu, aussi. Régulièrement voitures et commissariats et écoles brûlaient. Il y avait bien des raisons, l'humiliation sociale bien sûr, des raisons culturelles étaient avancées, la faillite de l'État, une qui ne fut pas évoquée, l'impossibilité d'exprimer une idée simple avec une phrase simple. Certains évoquent une révolte de la misère, d'autres, de l'opulence.
Reste que brûlaient voitures, écoles. Les policiers arrivaient. Des coups étaient échangés. On promettait davantage de sévérité et, en subtils dialecticiens, davantage d'espérance. Le premier prétexte faisait brûler voitures, écoles. Des plans étaient prévus.
Pour des raisons qui furent toutes évoquées, les mêmes, d'autres, de nouvelles et d'ingénieuses, de scandalisées, qui s'excluaient ou, dialectiquement se mêlaient, les feux s'allumaient de nouveau. Nous étions le **/**/****. L'horizon noir s'allumait de rouge et d'orange depuis maintenant un mois. Julien était ministre de l'intérieur.
164. Jean-Baptiste Nô.
Ce qui fit son succès était pourtant qu'il ne savait rien du Japon : le riz, le Mont Fuji, les pétales de cerisiers, de pruniers, les statues se levant dans la brume. Le nom venait bien sûr de Molière. Enfance banale, adolescence banale, quelques brillantes études, le passage du jean aux costumes, aux minces cravates nouées et coûteuses, le verbe sans accent aucun, la syntaxe raisonnablement respectée, des positions qui n'allaient pas avec la caricature du Japonais que chacun attendait, travail, technologie, respect, scrupules, minutie. Il était certes, de droite, et pensait, famille, efficacité économique, travail, mais par des prises de positions inattendues, libéral pour ce qui concerne les mœurs, protectionniste, social parfois, surprenait, non qu'un Japonais ne puisse penser ainsi. Plutôt, il ne correspondait pas à ce que nous attendions de lui, nous le découvrions français, républicain, social, ce qu'il fallait pour être enthousiaste, et lui, mince, droit et dur, élégant et recherché, sa sublime femme, blanche et d'Alsace, à ses côté. C'était ce que nous désirions : la diversité française devenue française, un visage nouveau pour la France, la jeunesse et la compétence, l'expérience mince mais qui mûrira, l'alliance du pragmatisme économique et du respect de la dignité humaine, douze pour cents virgule trois aux élections. Il parla beaucoup, fonda un mouvement au sigle intéressant, devint peut-être ministre et n'exista plus.
Première phrase.
J'ai connu (cf. précédent). Mais très court. 3 lignes.
Voici ce qui l'a guidé (tout le post).
mercredi 6 octobre 2010
163. Fin préface (II).
Je sacrifierai beaucoup (dont l'explication et les causes, que ce livre dit rechercher) au plaisir de venger Julien et de pourfendre les médiocres.
Ce n'est plus l'inévitable recueil de mémoires, souvenirs spirituels puis acides. Je ne sais ce que cela sera : tableau d'époque, inévitable livre de justification, petite chose enlevée ou boursouflée, recueil, morceaux mal rapetassés.
162. Fin préface (I).
Sonder et révéler un cœur, chercher la vérité, du moins sa forme dégradé, la seule peut-être qui nous soit accessible, l'exactitude, s'accorde mal avec ce qui suit, si inutilement compliqué. Tout ce que je sacrifie aux phrases, au ronron, au plaisir orgueilleux de s'écouter, dont je parlerai, plus tard. Julien s'écouta, s'admira et fut, par bien des aspects, criminel. Tout ce qu'on hésite à attribuer au désordre, ou à la subtilité, qui nous coûte tant, ces phrases qui ne sont pas nouvelles, qui prétendent l'être, à quoi me serviront-elles ? Ai-je été son ami pour écrire cela ?
Malheureusement, la vérité ne se délivre pas d'un coup, en une dizaine de pages lumineuses et évidentes. Les phrases que nous entendons et que nous nous disons si souvent nous dispensent des vérités simples, ce sont des vérités simples que l'on cherche : elles nous sont pourtant inutiles. Serai-ce cette banalité que j'ai cherchée pendant vingt ans ? Rien ne nous sera révélé. Ce n'est pas là un évangile.
Je ne dis pas toutefois qu'elle vient des méandres. Elle ne sera pas lue dans telle métaphore, telle inutilité syntaxique, un paragraphe qui se contredit, une phrase qui ne finit pas.
Il y aura des pages inutiles, bêtement retorses, une bonne foi constante.
J'espère qu'on y trouvera de quoi se nourrir. Il me faut moins le pardonner que l'expliquer.