dimanche 31 octobre 2010

205. Unité.

A poursuivre. Bonne idée, mal écrit.

Une question se posait à lui cependant. Devenir adulte ne signifiait pas, pour lui, faire l'épreuve du malheur, de la honte, des explications qui s'ajoutent aux explications, qui nous permettent de nous lever, encore, de la complexité. Il y voyait plutôt une une unité qui n'était pas là, à l'origine, apparaître, vagues et plis, grains paraître aussi, se concentrer, faire cette unité, suaves, se fondre et durcir. Sa bonté, une volonté nouvelle, une utilité, serait retrempées. Ce qui n'avait pas de centre en lui, ce qu'il percevait comme épart, qui n'était pas lui, en quoi il n'aurait pu se reconnaître serait évident. Il serait une lame, la violence ou la miséricorde. Quelques mots, une phrase peut-être rassemblerait ce qui était lui sans doute, mais par intermittences, qu'il ne savait pas s'il devait l'attribuer au hasard ou à sa nature propre, si un mot, une phrase subsumerait ce qui, à perte de vue, était lui, une complexité qu'il trouvait sans valeur, désagréable, à démêler, sans que le désir de le faire soit en lui. Il ne savait pas même s'il existait un projet, et qu'il aurait à trouver, ou si entreprendre ces recherches, la quête même définirait se projet. Surtout, il ignorait s'il avait le courage que toute quête réclame. L'unité viendrait.

204. Raffarin.

Il était alors d'usage, pour celui qui, trente ans durant, s'était montré médiocre ou impuissant, souvent mesquin ou servile, la plupart du temps nuisible, et qui parce qu'il devenait vieux, qu'aucune récompense, électorale ou pas, n'était envisageable, ou qu'une rente lui était offerte, dix ans sénateur, entrée au Conseil constitutionnel, de jouer au sage. La rhétorique si lasse, si usée qu'il avait usée plus encore, vingt ans, trente ans, ne le concernait plus. Il ne prononçait plus les mots pétrifiés qu'il disait chaque matin. Il n'évoquait même plus la politique politicienne, qu'il s'obstina à combattre, jadis. Pareillement, ses dieux n'en étaient plus et, ingratitude terrible, étaient capables d'erreur. Lui même devenait capable de prononcer des phrases qui n'avaient pas été dites par d'autres. Il est mandarin. Il voyage. Une distance et un surplomb, la possibilité même de réfléchir avant de ferrailler devenaient sa coutume. Voilà qu'il parle, et qu'il n'éructe ni ne se prosterne. Il évoque le passé de la France, les grands hommes qui furent de droite comme de gauche. Il considère la France dans ce qu'elle a de plus vieux que le dernier entretien du chef de l'État. Il voyage et, dans ce qu'il voit en Allemagne, en Inde, en Chine, aux États-Unis, s'enrichit, entrevoit une géographie plus vaste, plus profonde que la Seine et l'arche de la Défense. Distance, surplomb, ce dont il était si dépourvu, voilà qu'il l'a fait sien, qu'il a cette distance, ce surplomb, qu'il en est prodigue et qu'il pourrait dispenser des leçons. Il apparaît, par moments, sympathique, sans doute parce qu'il est presque possible de l'écouter sans, désormais, changer de radio, de chaîne, mais parce qu'un bon sens parfois élémentaire, donc rare et précieux, se percevait, parfois, dans ce qu'il disait. Ou bien, ce qu'il n'avait pas de nuisible, mais de simplement terne, luisait d'un éclat inconnu, il parlait franchement aux puissants, ou se montrait sévère. Il parle avec mesure. Il est passé de l'insulte à la platitude. Doit-on se réjouir qu'un homme raisonnablement honnête, sincère, intelligent se trouve dans le dernier des hommes, et le plus malfaisant, que les porte-paroles, les secrétaire d'État à la coopération, les ministres de l'écologie, soient, une fois délestés des oripeaux qui résument leur vie, titres, ambitions, soient des hommes et des femmes ? Se désoler qu'en cinq mille ans, l'honnêteté publique n'ait pas progressé ?

jeudi 28 octobre 2010

203. Vieillards.

Nous sommes des vieillards. Nous pouvons avoir trente ans, mais l'enfance nous a quittés. C'est une forme d'insouciance, et peut-être d'inconscience qui nous a quittés, et non quelque pureté que certains attachent à l'enfance. Ce sont eux qui détruisent, c'est à eux que reviennent la folie, l'oubli aussi, les coups portés, et la sérénité dans la violence. La tranquillité, la quiétude de ceux qui ont œuvré et qui peuvent à présent trouver le repos, qui purent concourir au bien et s'en félicite toujours : voilà ce qui précisément n'est pas nôtre. Nous savons que la douleur et que le mal existent. Pensons-nous qu'ils ne sont pas étrangers ? Sans doute que oui. Mais nous y voyons plutôt là une sorte de fatalité, une nouvelle dimension du monde qui dépasse ou écrase. Nous nous plaisons à annoncer le malheur, quand bien même il ne frapperait pas que le voisin, et qui pareillement nous menace. Nous désirons seulement que la pluie de sel et de feu concerne d'autres que nous. Nous le prédisons avec joie. Nos yeux vivent à ces moments. Nous avons soif de malheur, pour nous comme pour les autres. Rien n'est plus conscient ni désiré. Nous ne frapperons pas, nous n'avons pas décidé et, disons-nous, nous le redoutons. Il y a plus de méchanceté en nous que dans les enfants qui nous frapperont. Nos mains seront tachées de notre sang. Il y aura, pour nous des ivresses calmes, de plats triomphes, quand d'autres hurleront. Les vieillards auront tout de même gagné. Joies, satisfactions mauvaises, assentiments plein de douleurs. Nous ne résisterons à rien, nous savons, nous désirons ce qui nous accablera. Je ne sais toutefois pas à quoi l'attribuer : aux peuples qui, trouvant l'opulence, recherchent la barbarie dont ils furent délivrés, ne parviennent, riches et cultivés, qu'à désirer le néant qu'ils ont quitté, à la fascination de ceux qui ont tout pour la mort, au plaisir coupable, orgueilleux de dire j'ai raison, quand ce serait les derniers mots prononcés, et qu'ils envoient au bûcher, à une génération plus faible. Nous consentirons à tout.

mardi 26 octobre 2010

202. Démographes.

Les démographes, paraît-il ont annoncé la fin de l'URSS. Ils prédirent des victoires et des défaites. Il dirent que Chirac gagnerait, il gagna. Il dirent que la guerre en Irak serait perdue, elle le fut. Lire l'avenir dans les courbes et les taux, oublier ce qui relève de la politique, de l'économie, de la diplomatie, ou du moins ne les envisager obliquement nous trouble. Ceux qui naissent et ceux qui meurent, immigrés, émigrés, ceux qui se marient nous importent peu. Nous n'expliquerions rien par eux. Nous nous doutons qu'ils puissent pâtir, ou du moins manifester quelque peu les grands changements qui nous précédèrent et qui à présent, nous menacent. Mais à considérer qu'ils soient des signes suffisant, clairs, offerts à l'interprétation et à la compréhension, surtout qu'ils ne sont pas des signes mais qu'ils entrent dans un système de cause, qu'ils deviennent nécessaires et suffisants, nous n'y croyons pas : des enfants, des agoniques ? Les démographes sont peut-être plus chanceux que les politologues et les économistes. Nous ne les convoquons pas. Il leur est plus facile, pour les quelques qui surent et qui lirent de se présenter comme des prophètes. Il y a tant d'imposteurs dans d'autres domaines. Nous ne connaissons pas un démographe qui mente. Précision, sobriété des mathématiques, rigueur donnée enfin aux sciences de l'homme. Croyons-les. Ils ont sans doute raison. Mais alors des causes dont nous ignorons l'existence, plus lentes et lourdes, invisibles et à chaque instant, agissent. Ce sur quoi nous prenons barre est si inutile. Productivité, rentabilité, annuités. Les vieillards et les nouveaux-nés disent des vérités plus sûres et plus terribles, et d'abord que nous ne pouvons rien que rien n'est décidé, ni prévu, pas même inscrit, mais que le désastre adviendra en dépit de nous, qu'il nous sera imputé et que déjà, nos pères, n'y pouvaient rien.

Coïncider (liant).

Sa chance et son grand malheur avaient été de coïncider parfaitement avec le nouveau Parti. Son ascension ne s'expliquait pas seulement par les hasards ou les coups portés, par les manœuvres pensées et intelligemment menées. Par des circonstances qu'il ignorait, il leur ressemblait. Il ne savait pas les causes de cette honnêteté extrême, de cette volonté de bien faire, des atermoiements et des scrupules, de l'inutile sens du sacrifice qu'ils partageaient. Ils se reconnurent. Il occupa quelque poste de secrétaire, dans le Parti. De là...

lundi 25 octobre 2010

201. VIe République.

Mal écrit, bonne idée.

La VIe République devait être la synthèse de la IVe et de la Ve, assurer simultanément l'efficacité et l'équilibre des pouvoirs, la puissance du législatif et de l'exécutif, le rôle d'un président et celui d'un parlement, la modération et la réactivité, éviter le règne des partis, c'est-à-dire des médiocres et d'un seul homme, c'est-à-dire d'un roi entouré de sa cour. La Constitution, que nous votâmes le **/**/** réduisit les pouvoirs du président, augmenta ceux du parlement. Elle les sépara plus franchement. Elle introduisit une dose de proportionnelle. Elle permit au Parlement de devenir plus puissant et, parce qu'il était moins facile de conserver une majorité que précédemment, parce que le scrutin uninominal existait encore, et qu'il fallait ferrailler et convaincre, composer sans doute, pour décider et agir, quelques individualités apparurent. Parce que le président n'était plus tout-puissant, que le premier ministre n'existait plus, des personnalités apparurent également parmi les ministres. Un homme ne décidait plus de tout. Quelques princes pouvaient à présent régner. Une aristocratie se forma. Le pouvoir dépendait moins étroitement du peuple ou des instituts de sondage. Nous vîmes de nouveau des barons et des familles. La primogéniture mâle avait de nouveau cours. Le pouvoir se conservait plus terriblement. Il n'y avait plus d'homme à qui le demander. Il n'y avait plus d'officine, d'antichambre où le convoiter puis s'en emparer. Le pouvoir venait à nouveau de la terre.

L'impression de médiocrité ou, plus encore, d'uniformité, disparut. Il y avait à nouveau des places à prendre, des charges à tenir et à exercer. L'ordre ancien, dans ce que l'inégalité a de rassurant, de divertissant, réapparaissait, avec fiefs, habit ducal, serment des pairies, pactes, palais, privilèges, trahison, et poignard ajusté sous l'omoplate. La nostalgie pardonna beaucoup de choses. On se désespérait d'un nouveau système, et sans doute taré, mais il réjouissait. Les passes d'armes ne semblaient pas si inutiles et incontournables. Il y avait à gagner.

Un plus grand mensonge cependant, n'avait pas été révélé. Tandis que l'on tuait ou que l'on s'amusait, que l'on se disputait, qu'une dynastie naissait et ne laissait personne toucher à ce pouvoir, on oubliait qu'il n'existait pas, et qu'on ne mourrait que pour ses apparences, dorures, voitures, honneurs.

200. Grandes manoeuvres.

Les grandes manœuvres avaient commencé.

Ce qui nous occupa durant des mois ne signifie plus rien, désormais. Rappelons tout de même qu'A. n'était plus secrétaire du Parti. Il fallait en choisir un nouveau et celui qui serait choisi, qui prendrait le parti, prendrait aussi la France : les prochaines élections ne pouvaient être perdues. Il fallait tout au plus se montrer généreux, susciter la confiance, éviter quelques combinaisons malheureuses.

Julien avait de nombreux amis. Il militait depuis huit ans et désirait s'élever. Quatre camps s'étaient donné rendez-vous. Les amis de Julien gagnèrent. Il m'importe peu de savoir comment, et qui fut traître, qui joua et l'emporta, par quel procédé, par quelle alliance, par quel jeu subtil et progressif, par quel coup de force. Il y avait eu ceux qui jouèrent la comédie du sérieux et de la responsabilité ; ceux qui promirent ; ceux qui firent croire en la possibilité et peut-être en la disponibilité d'un autre monde, ceux qui évoquaient la fraternité ; ceux qui se voulaient à gauche ; ceux qui disaient Jaurès, Hugo, Blum ; ceux qui n'aimaient pas la droite ; ceux qui disaient réformer ; ceux qui désiraient modifier le système.

Ses amis gagnèrent. C'était une amitié évidente, vieille et sincère. C'était aussi de profondes convictions. Il appartint au camp qui promit « justice et rigueur », qui fit « les seules promesses que l'on peut tenir », qui promit modestement, qui ne désirait pas susciter l'ivresse, qui promettait « le progrès et la responsabilité », qui ne prétendait pas s'être délivré de l'idéologie, mais dont les mots lumineux supprimaient ce qui heurte, ceux qui, avant toute chose, tranquillisaient. Ce n'était pas une tranquillité plate et satisfaite qu'ils offraient, mais la certitude que les tensions, la douleur, les crispations, l'épuisement que la lutte implique (non pas l'effort ou le scrupule) nous seraient évités. Ils gagnèrent assez largement. Ils s'étaient abusés eux-mêmes avant d'abuser le Parti et le pays.

Julien ne pouvait qu'appartenir à cette chapelle, dont le programme (lui aussi importe assez peu) qui prévoit d'assainir les relations sociales, le maintien d'une protection sociale forte, sa diplomatie, largement européenne, sa gestion prudente des emprunts, sa relance par légères touches de l'économie, la suppression de mesures impopulaires et parfois détestables, se résumerait facilement : son seul objectif était d'éviter, non pas dans la mesure du possible, mais avec minutie et inquiétude, les tensions, les souffrances inutiles, en somme, la douleur et le mal du monde. Bien sûr, la conscience et le soin apportés à déposséder le monde du malheur, s'oublier, s'admirer grand et scrupuleux, lui permettraient, à nouveau, de régner.

dimanche 24 octobre 2010

Brûle.

Une chose nous protège encore de la résignation. Nous qui n'existons que par les sarcasmes, nous la tenons secrète. Au moins la fin des temps nous divertira-t-elle.

199. A quoi bon ?

Nous demandons que chaque arbre, ceux qui sont presque beaux, les quelconques, les maisons qui bordent la route, les panneaux, la voiture qui nous dépasse, et celle que nous ne voyons plus, nous apprennent quelque chose de nous, justifient notre présence ici. Qu'ils ne soient pas livrés à l'incohérence, et qu'ils disent une même chose. Un coin de chêne laisse passer le soleil, des haies, des restaurants. Ils promettent tous la banalité calme, terriblement confortable et morne, que sera la journée, nous promettent notre survie, douillette par ailleurs. Nous attendons sans cesse les métamorphoses. Nous ne désirons pas vivre, mais que le centre commercial nous explique pourquoi nous sommes et pourquoi nous sentons. Que de la terrasse au plant d'olivier, aux voitures garées, à la bouteille jetée, il y ait un même monde et un même projet, que nous puissions le découvrir et découvrir quelle partie de ce monde nous habitons, pourquoi nous y avons été déposés.

Restent une file de voiture, la ligne d'horizon et les fils à haute tension, les restes d'un marais, une nationale, le repas qui s'est achevé par un café, une famille qui nous aime, que nous aimons sans doute. A quoi bon monte et roule, n'a rien submergé, remplace chaque haie de roseaux, chaque bouquet et chaque poteau, revient à table, quand nous marchons, remplace trottoirs et gymnases, devient notre cœur qui, à présent, accepterait tout, ne décide de rien.

Nous sommes adolescents et déjà des vieillards. Viennent les pluies de sel, nous aspirons à céder.

198. Mort officielle.

Un arrêt cardiaque, le baron n'est plus. C'est dans ces circonstances que se manifestent les caractères. Ils sont pourtant tempérés par l'intérêt politique. Ne pas prononcer, par communiqué de presse, quelques mots est un erreur. Que révèlent ces quelques mots ? La prudence de ceux qui s'en tiennent au constat Un homme qui a marqué et continue de marquer la ville de Lyon, ou qui a compté durant près de quarante ans, qui a marqué de son empreinte, dont le destin ne peut être séparé de celui de, de ceux qui voient en lui (la chose est d'autant plus habile qu'elle vient d'un adversaire) Un grand homme politique qui a su faire de Lyon une métropole européenne, Un visionnaire et un homme puissant ; la critique de ceux qui devraient être ses amis, évoquant les zones d'ombre, provocations inutiles et puisque la lumière ne tombe que par intermittences, le contraste de son bilan, une part d'ombre. Ceux qui n'ont rien à dire ou par calcul ne disent rien. Les hommages qui rendraient pareillement hommage à cent autres personnes, Un grand homme, transformation, énergie, volonté, sans doute parce que nos vies sont semblables et diffèrent moins qu'on ne le voudrait, et que la banalité de la puissance et du pouvoir existe, comme existe, nous le savons, la banalité de la médiocrité, peut-être aussi parce que la médiocrité est avant tout celle de ceux qui parlent, qui filent les détermination, courage, rôle majeur, sourient ou paraissent graves. Viennent les partisans de la précision : un paradoxe, un homme qui beaucoup fait mais qui cependant, se rejoignent l'honnêteté et la lâcheté. Trublion, iconoclaste qui ne coûtent rien. Les faux pas n'existent pas. Quelques réussites sont remarquées. Comme de coutume, ce qui doit être dit est dit, ne signifie rien, et rejoint lentement les montagnes de chiffres, mots prononcés, discours de circonstance, prévisions, intentions, ne signifiant rien et, cette fois-ci ne sont les symptômes de rien, disent moins que de coutume : un homme qui compte, un ami, intelligence, au-delà des désaccords, une figure de. Comblez le vide de ce que vous désirez : c'est un … qui s'en va. Les artistes sont moins bien célébrés.

197. Survivait.

Sa mère, qui avait écrasé trente ans de vie publique, et qui l'avait, par la même occasion, écrasé, survivait dans son nom. C'était Jean-Marie G., fils de Marie G., pareillement diplômé, député, qui savait qu'il allait devenir tout ce qu'avait été sa mère, conduire les mêmes politiques, administrer les mêmes domaines, faire voter des lois de même inspiration, qu'il ferait tout cela et qu'elle lui serait toujours supérieure. Elle réussit plus jeune, fut puissante, plus redoutée mais aussi plus recherchée. Elle n'inspirait pas que la crainte. Ses alliés étaient craints. Elle devint, pour dix ans, la France. Quant à lui, sa puissance, c'était un nom qui n'était pas le sien. Un réseau dont il héritait. Des amitiés pour des hommes et des femmes qu'il méprisait et souvent craignait. Des plans que d'autres avaient tracés. Il ne savait pas ce qu'il désirait prouver, puisqu'elle ne pouvait être surpassée, qu'il ne l'égalerait pas, qu'il suscitait, tout au plus, une immense compassion, le mépris le plus souvent, puisqu'on ne tremblait pas devant lui, et qu'à la haine ne s'ajoutait pas une forme de respect. Elle suscita la stupeur. Une fois morte, on se vengea sur son fantôme. Inconsistant, il avait tout de même ses formes, un reste de menton, quelques phrases et des mouvements brusques, une ombre de regard qui n'était que d'elle. On se vengea un peu. Dix ans, on lui montra tout ce qui le séparait de sa mère, on le laissa prospérer, un peu, sur un héritage dont il n'était pas digne. On défit ce qu'elle avait fait trente ans. On se vengea encore. On le laissa perdre une circonscription, on l'oublia. Il trouva enfin un destin à sa mesure : retrouver des souvenirs presque tous douloureux, les bouteilles se succèdent. Accablé par sa médiocrité, il pense, avec raison, qu'il aurait pu être meilleur.

Empathie.

Je suis toujours en empathie avec tout le monde, là n'est pas le problème.

samedi 23 octobre 2010

196. Petit traité (à mettre ?).

Ce que nous savons des batailles, des hommes et des villes décroît à mesure que nous nous éloignons d'elles. De la même manière, la puissance de notre imagination augmente, et ce que nous proposons, de manière sérieuse ou pour nous divertir, pour expliquer tel mythe, telle bataille dont l'existence nous fut assurée, l'identité des chefs, les lieux presque certains, mais ni le nombre d'homme, ni celui des morts, ni la durée ; cette cité que les eaux firent oublier, exister enfin pour l'éternité ; cet homme cruel et fourbe, sa femme honnête et douce dont les noms seuls nous sont parvenus. Ici commence le règne des fous et des curés : Sa colère a frappé les impies ; les anges ont fait pleuvoir le feu du Ciel ; c'était la plus grande civilisation que le monde a connu, plus nombreuse et puissante que la nôtre ; c'était un roi terrible, cruel et sanglant, le plus grand empereur de tous les temps. Vient ensuite le règne de ceux qui savent : Hadès : tout au plus un hobereau, qui devait se marier, dont le mariage rata, qui enleva (mais rétribua parents et frères) une jeune fille locale. Il était sinistre, à n'en pas douter. Troie : deux-cents âmes, une fort belle enceinte. Ys : un village typique dont les fondations laissaient à désirer (du travail de Celte). Arthur : un roitelet, fort aidé par un barde intriguant. Femme légère. Jésus, Judas : le fou et le salaud. Puis, les fous reprennent le dessus : les vieilles chroniques mentent, bien sûr, mais parce que les moyens, disons, littéraires dont disposaient les auteurs ne suffisaient pas. On n'avait pas encore appris à exprimer l'infini : New-York ne fut pas plus grand que Mohen Jodaro. Rien ne surpasse en beauté et en grandeur les jardins suspendus de Babylone : mille hectares, dix-mille variétés, autant de ruisseaux et de petits canaux, de statues de dieux et de démons, les murs décorés, le bleu et le jaune, les ailes des lamassus. Puisque tout s'achève par la dialectique, de plus érudits encore assurent que ce mythe n'en est pas un, et raisonnablement, vraisemblablement, distinguent le vrai du faux. Je rêve pourtant à ce Zeus, baronnet minable, tout au plus satrape, qui tyrannise un canton et qui reste pourtant maître du mouvement des choses. Poséidon qui règne sur trente pêcheurs et peut, d'un revers de la main, noyer un monde, inverser terre et mer. Les douze et les cent mille tours d'Ys. Le petit berger qui touche un cadavre et le rend à la vie.

Je rêve aussi à ces hommes et ces femmes qui disposent du monde, et qui pourtant, vieillards, ne semblent décider que de l'avenir d'un commis, d'un huissier, ne maîtrisant pas même la couleur d'une cravate, le menu du jour. D'un pape qui parle à la terre et au ciel et n'a pas vingt soldats sérieusement armée. Les présidents disposent du feu du Ciel, pourraient mêler ce Ciel et la terre, meurent d'une balle bien ajustée, ils s'assemblent et ne parviennent pas à gagner une guerre, perdent devant mille fous, qui n'ont pas même mille carabines, à peine autant de moutons.

Bataille.

Ce qui moutonne à l'horizon ne donne ni laine ni de lait.

vendredi 22 octobre 2010

Vérités intro.

Pourtant, nous en avons, des vérités. Les phrases sont prêtes, celles que l'on a dites tant de fois.

jeudi 21 octobre 2010

195. Quand il était secrétaire d'Etat (III).

Ce qui s'était manifesté alors, c'était son goût des crises. Des reportages diraient plus tard qu'il avait été transfiguré dans la situation. Mais il n'avait pas changé, rien ne s'était révélé, lorsqu'il avait fallu décider, séparer les combattants, faire sonner la police, et s'interposer, parfois. Rien ne s'était ajouté. Devant l'imminence du contact, des coups échangés, certains aspects de sa personnalité s'étaient effacés, scrupules à décider, soupçons, désir d'expliquer, de ne rien laisser à la chance. Il n'était resté que sa puissance et, disons-le, son charme.

Il prendrait goût à cela : forcé, par les choses, à changer, renonçant à ce qu'il était, et qui le gênait parfois, forcé d'être libre. Il apprendrait à ne pas céder aux menaces, à la rage, à chaque camp qui n'aspire qu'à triompher et à détruire l'autre en triomphant. Lorsque, ministre, il verrait les universités bloquées, les routes bloquées, la police accusée, lorsque chacun serait crispé et lui, aspirant au calme, à l'innocence, ce goût se développerait. Il s'admirerait parfois, lui qui devait oublier ce qu'il était, dans l'action, se trouverait efficace, juste. Il serait en pleine page. Il glisserait alors quelques mots, sûrs, subtils.

Les voitures qui brûlent furent une crise de gravité moyenne. Il avait l'habitude. Il scrutait sa conscience, agissait (et se regardait agir) : les mains qui ne tremblent pas, le costume qui ne s'est pas froissé, les sueurs, et quelque négligé qui manifestent d'autant plus un chef d'État, qui redoute et n'hésite pas. Tout serait comme d'habitude, et comme il l'avait toujours imaginé : quelques hommes, le président, les grands ministres, de grands commis, tous attendant sa décision, non qu'elle l'emportait sur les autres, mais, enfin, il était l'homme des crises. Nous nous souvenons des vingt-deux morts.

Cendres.

J'aimerais dire de notre époque : Les cendres ne fument plus.

Je me souviens, dans la nuit...

C'est une guerre que nous n'aurions pas dû gagner.

Julien adolescent.

Il venait de la grande bourgeoisie et nous avait épargné son récit de vie. Papa immigré, maman populaire, tel ne m'aimait pas assez, etc.

194. Les Forces.

Un univers soumis à des règles et à des forces, qui ne sont pas celles de l'attraction, un univers avec peu de codes, qui s'appliquent toutefois avec autant de pitié que les lois physiques. Le temps est mesuré, l'espace est parcouru, mais les décomptes ne sont pas rigoureusement les mêmes. Modifications, altérations, comme les sciences qui s'attachent à décrire les molécules, mais avec un système de causes plus complexe, aux inconnues moins terribles mais plus nombreuses, aux paramètres moins saisissables, qu'on hésite à expliquer après coup. Déconfitures, pourrissements, agitations, grouillements, qui se rejoignent dans le mouvement, cessent, prévisibles par moments, voulant être, ils regardent le néant qu'ils ont un jour quitté. Les lois attendent parfois pour se manifester, accélérer le changement, la chose qui fut posée là, attendante. Elles l'altèrent, la rendent identique aux minéraux.

193. Crâne (début et fin).

Mini récit sautillant sur trajet d'un personnage.

On parlait beaucoup, à cette époque, de (choisir). Il était jeune, surprenait par moments. Il avait quelques dons appréciables, comme celui de plaire, d'ajouter au charme l'instinct, un don pour parler au bon moment. Il se situait difficilement parmi les débats sur le protectionnisme et le libéralisme, sur la dignité ou la liberté, la sécurité ou la liberté, l'égalité ou la liberté, mais savait quand parler.

La chance d'abord, l'avait servi. Le député qu'il suppléait mourut rapidement. Il lui restait quatre ans de mandat. C'était le plus jeune de l'assemblée, trente-trois ans, c'était pour sa jeunesse même qu'il avait été choisi comme suppléant. Il venait de Lille et, comme chaque personne à qui est confié quelque talent, que le hasard et l'ambition animent, il devint ambitieux.

Il se rappelait de.

Il avait été choisi par.

Ce qu'il voyait à l'assemblée.

Il ne comprenait pas que.

Son mentor était.

Il louvoyait parmi.

Il fut aidé par la chance que seuls les opiniâtres obtiennent. Un manque de conviction et de projets terribles (sinon pour soi) ne le desservait pas.

***

Pendant dix ans, l'on rit beaucoup, l'on parla beaucoup.

En ** il était.

En ** il rencontre.

En ***

***

Voici la grande affaire de sa vie. (inventer).

Séance de vote.

***

Nous n'en parlerons plus. Pour des raisons qui l'excèdent tellement, par goût de manoeuvrer les hommes de, par son âge, par son par son, et par la certitude qu'il disparaîtrait de manière instantanée, il fut choisi.

Le voilà ministre.

mercredi 20 octobre 2010

Curés & polissons.

Toute décision, tout propos est jugé en fonction d'un unique critère : correspond-il au dogme ? D'autres, de moins en moins rares ne font que se réjouir de déranger ce dogme. Nous n'avons que des curés et des polissons. Quand à se demander quels rapports cette décision, ce propos entretiennent avec la vérité, ou du moins sa forme dégradée, l'exactitude, nous ne le faisons pas.

192. Symptôme.

Ce que nous vivons, les changements que nous connaissons, les modifications peuvent lui être attribués, puisque par lui et par ses gestes, notre pays a changé. Nous notons tout de même que par le monde, ce phénomène existe aussi, et qu'il dépasse largement notre pays. Lui est-il un agent ? N'est-il pas qu'un symptôme ou le levier par lequel des forces qui ne pensent ni ne peuvent être identifiées, qui ne se lient certes pas à des hommes et à des intérêts humains, agissent ? Si ce n'est pas lui, c'eût été un autre. Un autre aurait toujours fait, moins talentueusement, avec plus de lenteur, ce qu'il a fait, à son corps défendant, à mèche lente. Sa personne est la manifestation la plus bruyante, la plus agitée de notre monde, ses complications, rien de plus. Il serait bientôt défait, le monde continuerait, et ceux qui l'attaquaient, qui refusaient de faire ce à quoi il se prêtait si volontiers le feraient quand même. Non que sa marque, à lui, ne puisse désormais être ôtée. Seulement le monde comme il va, par le scrupule, par l'honnêteté et le quant à soi, ne change pas. Le monde pourrait changer (et changerait) mais par d'autres causes que le scrupule. Il n'est pas impossible que la bonne volonté s'unisse à la nécessité. Seulement, encore une fois, nous trouverons des hommes de bonne volonté, et un pouvoir exercé dans la dignité et la mesure. Nous ne trouverons pas un homme qui, par son action, marquerait les institutions et les cœurs. Lui était détestable, d'autres étaient admirables. Sans doute. Condamnons ou louons ce qu'ils dirent, ce qu'ils voulurent. Ôtons-leur toutefois un poids trop lourd pour des hommes. Ils firent, malgré qu'ils en aient, ce que des forces permirent qu'ils firent. D'autres forces agiraient et changeraient. Espérons seulement que des hommes bons seront chargés de faire ce qu'ils n'ont pas décidé.

191. Brûlent les voitures (début).

Sommes nous des assiégés ? Nous sommes devenus des vieillards. Voici notre colère, nos menaces, notre courroux qui ne se manifeste jamais. Notre voix tremble quand nous menaçons. La peur gagne chaque instant de nos journées. La nuit ne nous délivre pas. Nous hésitons à frapper ou à nous soumettre, mais nous reconnaissons volontiers notre faiblesse, nos erreurs passées, celles que nous commettons encore. Nous regrettons de n'être pas l'objet d'une malédiction. Que nous puissions agir, réussir... Nous avons des passions de vieillard : le calme, la permanence d'un monde que nous aimons, que rien n'arrive.

Sommes-nous fous ? Nous sommes épuisés par ce qui ne finit pas d'empirer, par ce qui tient et craque. Nous lisons la haine, la peur, la douleur, les menaces, nous les désirons. Chaque cri nous est adressé, et si ce n'est pas personnellement, menace ce que nous représentons, ce que nous sommes. Les insultes écrites sur les murs, les noms que nous ne connaissons pas, chaque banc cassé, l'herbe qui ne repousse pas, les affiches, chaque lieu qui fut tranquille, et qui n'aspire qu'à la laideur nous menace. Ce cri de bête, était-ce de la douleur ? Les victimes mêmes nous menacent. Ce malaise vient d'un monde barbare. Nous l'avons créé, nous ne le comprendrons pas. Notre haine et notre peur l'emportent tellement sur celles de ce monde. Il menace, promet de nous détruire.

Nous enverrons, sans nul doute, le feu du ciel. Et ce que nous désirions : le calme, la page de nouveau blanche, le crime sans doute, mais dans sa simplicité, et sa pureté, ne nous sera pas offert. Les cris continueront, plus malades, animaux. Les phrases tracées ne seront plus des phrases. Les coups qui nous seront portés le seront plus désordonnément, par des mains plus sales.

Notre citadelle ne tient pas. Nous nous demandons encore « qu'avons-nous fait ? » sans comprendre, « que faire ? ».

190. C'était aux derniers jours du monde.

C'était aux derniers jours du monde. Nous scrutions les signes du malheur qui nous frapperait. Ce n'était pas le ciel qui se troublait, le feu qui tomberait du ciel, les sauterelles, d'autres plaies encore, les moissons malades, l'esprit qui arpente les ruelles, vient frapper ceux dont la porte n'est pas marquée du sang d'un agneau. Le ciel changeait, sans doute. Nous ne savions pas si nous devions lutter ou, avec plus de courage que pour la lutte, nous résigner. Nous ne savions sur qui porter notre colère, notre accablement. Les choses, pourtant, avaient cessé de mûrir. Ce serait bientôt, pour chacun, ceux qui tomberaient et ceux qui frapperait, l'heure de la délivrance.

Quels sont les signes de cette certitude : brûlent les voitures, les menaces plus insistantes, qui ne sont pas plus nombreuses, mais moins dispersées, dont la précision, l'imminence enfin, nous soulage. Surtout, les signes changeaient. Les vidéos contenaient moins de menaces que de sarcasmes. C'était un répit de quelques semaines. Nous n'étions plus sujets à la pesanteur, aux cris, aux pierres. Mais les sourires, et la concertation des sourires, la méchanceté qui se lisait au coin des lèvres, dans le regard, dans un bonnet descendu, sur les vestes, dans la force du cou, la manière dont les mains semblaient libres, tournaient et ne se refermaient pas. Les rues se vidaient, sans doute se concertait-on quelque part. Nous étions en octobre, et les orages n'étaient pas exceptionnels, il pleuvait, les éclairs parcouraient le ciel. Le ciel se délestait encore de sa pluie. Le soleil, me semble-t-il, est plus rare. Nous ne faisons que l'entrevoir, un coin, un angle, la présence chaude derrière un nuage moins épais, plus tendre. Les plaques grises et sombres se modifient, remuent par moments, nous laissent penser, présager. Le soleil n'est pas là, il ne pleuvra peut-être pas de la soirée. Les murs n'étaient pas nettoyés. Les tags ne disparaissait pas. Nous nous promenions, des cris montaient, insistaient. Nous ne savions pas s'ils nous étaient adressés personnellement, mais ils concernaient toute idée de permanence, de respect, de scrupules, qu'ils ruinaient. De grandes lueurs étaient visibles, la nuit, les marques grises, oranges, touchaient le ciel et formaient un halo. Elles montaient d'on ne sait quelle usine, quel collège brûlant.

C'était notre faiblesse, nos bons sentiments mêlés à notre vulnérabilité, nos forces nombreuses, dont nous ne disposions déjà plus, que chacun de ces signes nous rappelaient. Moins l'insolence, les insultes et la vulgarité qu'un mépris qui, bientôt, s'exprimerait autrement. Étions-nous des assiégés ? Mais de quel château, mais avec quels soldats, et protégés par quel rempart ? Nous ne serions pas frappés par le feu du ciel, des hordes barbares, par ce qui viendrait de sous la terre, des exilés qui nous entourent et déjà sont aux portes, mais de quelle citadelle ? Vienne le combat, la fin des temps.

Lexique.

Concentrer, décentrer, altérer.

Veine, rade,

A plat. La vacance.

Cuirassez-vous. Parlez. Vous psychologisez.

Champs de céréales.

L'arpenteur.

À leur corps défendant.

A mèche lente.

Elle le rend identique aux minéraux.

189. Quand il était sous-secrétaire (II).

Il eut ce que le talent ni le courage d'offre : la chance. Un bateau eut une fuite, et le pétrole s'étendit, s'avança jusqu'à menacer le rivage d'Eylött. Il y avait là des maisons, des plages et, plus au Sud, un parc naturel. Le ministre en charge de l'écologie y alla. Julien le suivit. Ils parlèrent et promirent. Les écologistes ne désemplissaient pas les lieux. Il y eut les écologistes et les marins. Les uns défendaient la planète, les autres leur vie. La polémique n'était pas encore nationale. Le souci venait de ce que certains avaient des fusils, d'autres des couteaux. On ne sait pour quelle raison l'assaut fut donné. On ne sait d'ailleurs pas pourquoi Julien fut le seul homme politique présent, alors que tous avaient quitté les lieux depuis quelques heures. Les policiers arrivèrent une heure plus tard. Les ministres, ni les députés n'arrivaient. Il eut de la chance d'être là. Il sut renseigner la police. Il ne supervisa pas l'évacuation ni ne dirigea l'assaut. Les faits ne présentant aucun intérêt. Cependant il était là, il sut merveilleusement résumer la situation aux journalistes venus dans l'heure, parler, et prononcer les phrases si justement balancées qui seraient sa marque : nous comprenons et mais nous ne pouvons approuver, une juste colère face au désespoir, etc. Le miracle était que ces phrases lui étaient naturelles, lui venaient sans qu'il ait à se forcer. Son univers n'était pas blanc et noir. Il était merveilleusement dialectique. Les ressorts de chacun étaient évidents. Rien ne se résolvait, mais tout s'entendait. De rares spécialistes politiques ne découvrirent pas son visage. Il apparaissait sympathique à tous. Chacun le résumait bien sûr à cet épisode, ce qu'il disait n'intéressait pas, ses convictions, ni son travail, ni ce qu'il représentait. Il était l'homme d'Eylött. Ce qui s'attachait à lui et qui s'ossifiait déjà en banalités, par chance, et par la rencontre de la chance et de sa personnalité, ne suscitait que la sympathie : c'était un garçon appliqué, qui manifestait quelque intelligence, quelque sens pratique, que la souffrance pouvait émouvoir, qu'il la comprenait, qui parlait bien.

Le voilà ministre.

La narration du Crâne = minable qui devient ministre ou député.
Psychologie / Galerie de portraits, mais pas que.

Dernière phrase : Le voilà ministre.

mardi 19 octobre 2010

188. Quand il était sous-secrétaire (I).

De quoi était-il le sous-ministre ? Que patronnait-il ? La jeunesse, l'Outre-mer, les anciens combattants lui avaient été épargnés. C'était à l'écologie, ou au développement durable. Aucun budget, aucune administration, il avait la seule puissance que lui donnaient ses apparitions à huit heures trente, à dix-neuf heures quinze. Personne ne le connaissait, sinon à Lyon. Il était un symbole, c'est à dire rien, le sujet de quelques billets d'humeur, l'occasion de dénoncer les belles âmes, les charges inutiles de ceux qui se paient de mots. Il n'était rien et comprenait que d'autres décidaient pour lui, qu'il n'avait pas même à appliquer des décisions, seulement à sourire, à revêtir de coûteux costumes, lorsqu'un photographe serait invité. Quelques interviews à donner, et les leçons à dispenser : ressources à économiser, énergies à renouveler, terre à préserver. Il devait sourire, vider les lieux avec un changement de majorité.

Sainteté dégradée.

Il était inquiet et honnête. Il n'aspirait pas à la sainteté, seulement à l'honnêteté, à quelque efficacité et, s'il aspirait au repos et ne le trouvait pas, il trouvait son repos d'un intérêt moindre à l'honnêteté et à l'efficacité. Il s'accusait de transiger, des mesquineries qui résumaient ses journées, des mesquineries qui ne lui permettaient pas d'agir efficacement, qui le compromettaient inutilement, des sacrifices pareillement inutiles. Il avait honte, se reprochait une honte qui ne menait à rien, l'inquiétait et l'empêchait encore d'être utile et bon. Bonté, convictions, bien commun, les mots qu'il prononçait, auxquels il pensait souvent, qui ne le guidaient pas, lui qui toujours composait. Le cynisme, l'humour l'aidaient, un instant, et retournaient au néant, un bon mot l'avait réjoui le temps de le former et de le prononcer. C'était la forme mesquine et dégradée de la sainteté, la seule qui lui soit autorisée, ne suscitant rien, sinon l'accablement, le haussement des épaules. Il s'ennuyait parfois.

Il n'arrivait pas à donner un centre à sa tristesse, sa fatigue, l'espoir auquel il pensait, parfois, à des puissances abstraites et pourtant toutes-puissantes, qui étaient lui, qu'il ne nommaient pas et faisaient sa vie.

187. PARTIE II. Avant notre rencontre (9).

Nous voyions des collège brûler. Que devions nous ressentir ? Colère, tristesse, horreur sacrée devant les flammes qui montent, et ce qu'elles détruisaient ? Pour nous, les collèges sont pris dans les flammes. Nous les voulions magnifiques et incandescents, le jaune plus soutenu, les tâches claires et parfois blanches, marquées, s'étendant, se substituant aux laides ailes, aux couloirs, à la cantine. Que le feu qui brûle soit celui de la colère qui tombera bientôt. Qu'il purifie . Qu'il soit fournaise.

Les murs cèdent aux couches de gris, fenêtres, barres, plaques. Elles sont bientôt grises, piquées de jaune, de blanc sale. Ils brûlent moins qu'ils ne diminuent. Des lumières passent par les fenêtres mais ce qui vient de la ville, voitures, immeubles, usines, les messages et les néons, à présent fourgons et camions, plus varié, mobile, les valent bien. Le collège cède et se dépiaute, lentement, tendrement. Il tient plus de la tarte, au four, fondante, suave au moment ou le feu la pétrifie. Par instants, l'air tremble, et un souffle chaud part. Nous avons toujours froid. Nous voulions le feu et la nuit. Voilà des murs livides qui se foncent et se tachent, des parois qui éclatent sans bruit, le verre qui cède. Nous ne voyons rien que de laid, et de décevant : des organes malades, chauffés, torts et gonflés, la récurrence des barres et des fiches, rouges, brunes ; des tas compliqués, noirs, qui tiennent du livre, de la craie et du globe. Des livres, sans doute, et la bibliothèque fut belle dans la nuit, plus brûlante et plus claire que les arbres de la cour, que les cuisines ou les salles de dessin. Plastique fondu, couvertures, des pages, et de petits volumes sales qui ont survécu. Un poumon fut chauffé, des griffes ont poussé. Le plafond et les chaises ne sont plus, ou si laids encore. Ils ne nous sont plus utiles. Le feu ne les a pas assez travaillés pour qu'ils nous effraient. Rien n'a été tourmenté. Tout est passé au noir, fatigué tout au plus. Nous voulions la ruine et les cendres.

Raide.

Il voulait qu'il y ait un vainqueur et un défait. Il se raidissait. Jamais il n'y eut d'homme plus ferme au sommet de l'État. Il perdrait tout.

dimanche 17 octobre 2010

186. PARTIE II. Avant notre rencontre (8).

Les morts étaient rares : depuis deux ans, nous n'en comptions pas trente. Mais les attentats stupéfiaient l'opinion. Que les voitures brûlent dans les quartiers, nous le savions. Qu'elles volent et explosent, c'était ajouter de la variété à ce qui est trop uniment gris. C'était des frissons encore, de voire des pauvres fourmiller et s'entr'égorger différemment.

Un métro explosa et vola. La rame prit feu avant de se tordre et de lever, et les voyageurs purent descendre. Quelques intoxications, quelques malaises. Un métro pareillement s'oublia et vola, trois morts. Près de Notre-Dame, une voiture devint une sphère jaune et blanche, fut suspendue, vibra et se souleva, n'exista plus et fut remplacée par de noires fumées, des ombres brunes à terre. Une grand-mère, trois hommes moururent. Il y eu des blessés. Voilà ce qui constituaient les deux tiers des journaux télévisés, presque l'intégralité des émissions politiques, ce que nous pressentions sans l'admettre, une évidence que personne ne songeait à nier : nous étions vulnérables. Une vingtaine de bombes avaient été déclenchées. Des centaines avaient été trouvées et neutralisées. Chaque semaine des bombes étaient annoncées. Nous ne savions pas qui les installait. Des groupes parlaient, revendiquaient, tournaient et montraient de grotesques vidéos. Les noms fusaient et donnait l'occasion de se faire peur. Les polices œuvraient, et avec une certaine efficacité. C'était du bon travail. Nous ne savions pas ce que nous devions craindre : l'intégrisme terroriste, ou le banditisme, nous savions que c'étaient deux réponses à la misère, différentes sans doute, qui nous effrayaient toutes deux. Nous ignorions dans quelle mesure, et par quels justifications ces deux menaces se mêlaient.

Aux lignes argent, santé, amour, famille qui guidaient, organisaient, ou plutôt nous permettaient de résumer notre vie, de comprendre plus que d'agir, s'ajoutait la menace terroriste.

Sombre comté.

Pour la partie "Avant notre rencontre", cf. Sombre Comté Même genre.

185. PARTIE II. Avant notre rencontre (7).

Elle n'était pas brûlante, mais il me fallait tremper cette épée. Je savais que je ne tranchais rien. Mouliner, fendre et frapper m'était possible. Mais pour ce qui est de toucher, de savoir si les coups portaient, et où les porter... Je me sentais fiévreux, et sans fièvre, ce qui revient au même. Un but me manquait. La frénésie succède au calme, sans que l'on puisse dire s'il y a eu frénésie et calme, sans pouvoir tracer une limite. La frontière n'était pas floue ou progressive. Seulement, qu'y avait-il à séparer ? Voilà, un but me manquait. Les secrets ressorts seraient délivrés, la force libérée, le coup porterait, trancherait.

Fiévreux, sans fièvre, me voilà arpenteur, inquiet, compulsif, les volumes passent sous mes doigts, les journaux, magazines, témoignages ; plus tard, saint François, parlant aux oiseaux, aux fusées, d'un calme soutenu, la révélation ne saurait tarder. Ciel scruté, contemplation pénibles, passer vingt pages, ouvrir un instant et bâiller aux corneilles.

Julien Queuille était déjà apparu. Le nom revenait, que je le lise ou y pense. Il m'empêchait de trouver ce que je cherchais. La distance entre ce qu'il était et ce que je prévoyais de faire m'empêcher d'y penser. Le nom revenait pourtant, et ce qui s'y attachait.

samedi 16 octobre 2010

184. Ils arrachent une dureté, etc.

Qu'est-ce que le pouvoir dont ils se nourrissent ? Des choses dorées, les fleurs blanches et jaunes changées chaque matin, la livrée noire que portent commis et huissiers, les cravates des secrétaires, les tailleurs d'autres secrétaires, et d'autres signes encore, les plaques de marbres, les sabres levés, les tapis rouges sur lit de gravier. La main tachée (ce n'est pas de l'encre), pommadée, qui faiblit et, pourtant, signe l'ordonnance. Les repas au cours desquels on mange peu, dont la ligne d'horizon (la ligne grenat, le verre qui tremble et que l'on brandit parfois), longs, où, le verbe paraît, le respect. On l'humilie à l'Assemblée, dans les journaux, mais on ne l'interrompt lorsqu'il commente un vin, un livre qui paraît, les nouvelles du matin. Les femmes et les secrétaires qu'il renverse, et montrent encore ce qui ressemble à une émotion. Moins le respect ou la gloire que ce que la tradition a figé, où s'exprime toujours un pouvoir que l'on aime et dont on trouve une dignité. Ce qui entoure un vieillard, parfois quadragénaire, parfois indigne, qu'on répugne à oublier : moins le fait de gloire que le conséquence de la gloire. Les honneurs, qui font que l'on oublie l'origine des honneurs, dont la vie se poursuit, rituels, quelque chose de sacré pour qui rien ne l'est. Ils se nourrissent moins de leur puissance que de ce qui accompagne cette puissance, non les richesses et les genoux qui plient, mais un sentiment qui passe outre le mépris et l'antipathie, outre les faits de guerre, et la puissance, qui n'est pas l'admiration, moins encore le respect, la soumission, l'adhésion, qu'une aura n'explique pas. Ce qui donne aux plus cyniques un rien de stupeur. On attend sa mort, il est ridicule chaque jour, mais on n'interrompt pas un discours. Qu'est-ce que ce pouvoir ? Une substance permanente, ou plus durable que ceux qui l'exercent, dont ils arrachent une dureté, une stabilité, une force ? Quelle est cette substance ? Un mélange de puissance et de protocole, le droit de parler et de jouir ? Être écouté, signer, qu'enfin, dire et désirer devienne une cause ? Ceux qu'un cancer envahit et empoisonne, ceux qui vieillissent et dont le cœur bat de manière irrégulière ne savent pas ce qu'il assimilent. Ils renonceront à vivre, non à exercer ce qui relève des bouquets des verres levés et des j'ai dit à la France. Ils tremblent. Ils ont à prononcer quelques mots, qu'ils ont tenu à écrire. Ils sont à nouveau des rois.

Regard.

Le regard de Dieu avait baissé.

Mensonge.

Je me trouvais grand et bon. Un mensonge remplaça ce mensonge : la souffrance enrichit les médiocres.

183. PARTIE II. Avant notre rencontre (6).

Je ne pense pas avoir été arrogant. Ou bien c'était une forme supérieure et moins élaborée de l'arrogance. Je ne méprisais rien et regardais tout de haut. Je voyais le monde depuis les nuages, je m'adressais parfois aux hommes. Pareillement, je ne connaissais pas l'inquiétude. La chance et le mélange d'intelligence, d'assurance et de charme qui suscite la chance m'était offerts. Cependant, mon crâne rose devenait plus visible. Un début de calvitie me rendait songeur. Je méditais. J'avais la taille fine, des amis (quelques uns) bientôt célèbres. Je portais, dès le réveil, des chemises blanches qui ne se froissaient pas. Le génie ni les prodiges ne me tentaient, je me contentais d'être brillant, de réussir et de plaire. J'avais des convictions, et une discrétion qui ne compromettait rien. Les sujets graves restaient graves. Beau (d'une beauté bourgeoise que je préfère à la beauté, et que le port et la couture font entièrement), intelligent, cultivé, drôle et divertissant (dans ce que l'humour a de léger, sa cruauté – unanimement goûtée – d'une seconde, n'insistant pas), dont le bon goût ne se compromet pas plus de deux répliques, moral, bon par tout ce que la beauté, l'intelligence, la culture, l'humour et la moral impliquent de bonté. Une absence de haine qu'un léger mépris et les mouvements de main remplacent. Il m'arrivait, par moments, de connaître le désarroi. Une vie tranquille, qui n'était pas une vie réglée, que les malheurs concernent parfois. Vivais-je ?

182. JQ.

Je savais ce que disaient quelques notices de dictionnaire, des essais, une biographie qui lui était consacrée et que j'avais trouvée sur un site spécialisé. Son nom apparaissait rarement dans les chroniques politiques. Il valait pour son origine (il était lyonnais), il était parfois une parabole (il y a peu de la gloire à la ruine, nous voyons les superbes passer...). Rarement, il était mentionné pour ce qu'il était, et ce n'était jamais de manière directe. Il n'était pas menacé par le sarcasme, non plus. On savait, les critiques les plus érudits savaient qu'il avait dû démissionner après que des policiers eurent lancé l'assaut qu'il y eût dix morts. Dix morts ne sont jamais anodines. Il surprit toute le monde et désamorça toute polémique en démissionnant immédiatement. D'autres auraient tenu, auraient demandé qu'une enquête soit menée. Était-ce parce que son cas ne pouvait être défendu, ou parce que sa honte emportait tout, il n'avait pas hésité, ou son hésitation n'avait pas duré. Voilà pour les faits.

M. Queuille n'apparaissait pas dans les annuaires et un ami m'avait dit comment le joindre. J'avais appelé, il m'avait répondu. Je ne serais pas capable de reproduire ici les quelques phrases que nous avions alors échangée. Je lui avais exposé brièvement ma situation : étudiant, journaliste politique, projet de livre. Il avait immédiatement accepté et m'avait donné rendez-vous le lundi suivant.

181. PARTIE II. Avant notre rencontre (5).

Parlons enfin de moi. J'ai bien changé et je peux d'autant mieux dire qui j'étais à cette époque, qui je fus lorsque je décidai de rencontrer Julien. J'avais, me semble-t-il tout ce que l'on peut désirer. J'avais vingt-sept ans. Après de brillantes études, j'avais entrepris une thèse. Ç'avait été, ensuite, le journalisme politique. Un livre comme nègre : Des Ambitions françaises (le titre n'est pas de moi), puis Le Sérail, enfin, d'une diffusion confidentielle, mais dont j'étais fier, Les Rois d'ennui, sur « le pouvoir qui se met en scène pour faire oublier qu'il n'est plus le pouvoir » [à refaire]. Voilà : une « biographie romancée » qui apparaissait « enthousiaste quoique critique », ma contribution au remplacement de la politique par les récits de vie ; un « pamphlet enlevé et drolatique » ; un tableau prétendument bien écrit de la « condition politique du temps ». Il m'a fallu autre chose, le sujet que chacun cherche : pertinent, mais de manière oblique (nous disions aussi « en creux »), qui répondrait aux questions que nous nous poserons toujours, pourquoi prendre le pouvoir ? comment ? qu'en faire ? qui ne proposerait qu'un autre angle pour voir le monde et répondre aux questions que ne se posent jamais ceux qui désirent. Je menais là vie inquiète et pressée de ceux qui cherchent un sujet, soit qu'avidement, ils lisent et lisent encore, espérant quelque révélation, soit qu'ils sondent et scrutent encore le ciel, la ligne d'horizon, arbres et pavés, puis leur conscience.

Comme chaque révélation, c'était une idée qui ne naît pas, pas plus qu'elle ne croît ou s'insinue. Elle est là, sans qu'on ne puisse la rattacher à quelque moment ou à quelque effet de notre volonté. Elle apparaît par intermittences et, souvent, nous empêche de résoudre le problème. Nous nous apercevons enfin que ce ne sont pas deux lignes mélodiques qui se croisent ou plutôt que coïncident là la réponse et sa question. Julien Queuille, qui m'était apparu il y a un mois, au cours d'une recherche, que je ne connaissais pas et qui, cas singulier, m'avait touché ; mon désir de trouver un thème précis. Julien Queuille, célébré puis oublié ; le pouvoir que chacun convoite pour en faire si peu. Voilà mon thème. Le souci est, bien sûr, qu'une fois que nous avons notre réponse, elle ne répond qu'imparfaitement et modifie la question, qu'elle nous change et que la question que nous nous posions est périmée. Sans elle toutefois, nous ne serions pas ce que nous sommes. Me voici en quête de Julien.

180. PARTIE II. Avant notre rencontre (4).

Nous parlions avant d'emploi, de croissance, d'écologie, d'Europe. Nous ne vivions, dès lors, que pour résoudre la question qui nous était sans cesse posée : qu'allons nous devenir ? Un peuple entier cessait de penser à lui et, pour mille raison, s'obsédait à ne voir que mosquées, femmes voilées, femmes battues, communautarisme, grand banditisme, sans savoir ce qui l'ennuyait, une religion, l'Islam, ou une couleur de peau, brune ou noire. Les problèmes existaient et avaient, pendant trop longtemps, été tus, par ceux qui n'étaient pas concernés, ou qui n'étaient pas préparés à voir, pour mille raisons, dont une qui est que la victime a toujours raison, ce que d'autres voyaient chaque matin et chaque soir. Les problèmes avaient cru. Je ne sais pas si les mots racisme ou xénophobie pourraient expliquer ce qui se passaient. C'était, sans nulle doute, une obsession. Mais rien de haineux dans ces mots et ces soucis qui s'affichaient à la une des journaux, à la moitié des journaux télévisés, dans les conversations, dans les repas, aux ministères, sous les porches, le soir, autour du poste de télévision. L'angoisse gagnait les Français, mais aussi les sphères, qui n'avaient pas seulement profité de la situation pour stabiliser une puissance précaire.

L'autre France n'était pas moins angoissée. C'était d'abord ceux qui ne se pensaient pas différents, avec raison, des autres Français. Qui, par suprême acte de foi, se pensaient mêmement menacés par Islam, voile, attentats, etc. C'étaient ceux qui, étaient regardés, non avec haine, qui sentaient l'angoisse rouler sur leurs épaules, les mains serrées contre les sac, le pas qui se presse, le mur que l'on frôle. Qui savaient qu'une chose étrange s'était enroulée autour d'eux et inspirait la terreur. Secret serpent, secret poison qui n'empoisonnait pas moins celui qui le dispensait. Parlons bourreaux : si peu, ils existaient toutefois. Ils souffraient et avaient souffert cent ans durant. Il avaient voulu que cette souffrance soit partagée. Ce fut alors tout ce qui s'étalait dans la presse : cris, menaces, vidéos et voiles, affiches rouges, jaunes. Ce qui avait cent têtes et cent noms, c'est-à-dire aucune, nul meneur, nul prophète, pas un homme pour guider un grouillement, seulement des symptômes de folie, de bêtise sans doute, de crime, de menaces et d'angoisse, pour ceux qui se recueillent devant un journal, un poste de télévision.

.

Pouvoir signer chaque phrase.

Classique-extatique.

400 papiers. 300 numéros. 0 idées restantes.

G.

Que l'alcool pris à huit heures du matin révèle quelque chose : la volonté de s'oublier, goûter le néant qui n'est pas si complet dans le sommeil. Et pourtant, même pour celui-là, qui déteste boire et n'aime pas plus manger, ni personne, ni l'indispensable télévision qui n'offre que son ronron, quand l'occasion, rare, se montre, la vie se montre disponible : il peut baiser et non pas s'oublier dans le rut, mais triompher de se voir enfin vivant et maîtrisant. Il peut aimer l'improbable compliment qui lui sera décerné. Il s'oublie et disparaît, mais n'attend que d'être éveillé.

jeudi 14 octobre 2010

179. PARTIE II. Avant notre rencontre (3).

C'était de grandes peurs de trente ans qui s'avéraient, enfin, fondées. C'était d'abord le banditisme des quartiers qui s'étendait et nous faisait peur. C'était l'islamisme : pratiques moyenâgeuses et provocantes. Par l'un ou par l'autre, chaque mois, les voitures brûlaient et volaient. C'était les unes des magazines. Je n'enterai pas plus avant dans les détails. Nous savions que le monde que nous avions aimé ne serait bientôt plus. Nous savions les responsabilités de chacun, qui s'était trop écouté, qui se faisait plaisir, qui se punissait, qui se complaisait. C'était l'angoisse d'un pays. Il ne se faisait plus peur. Il avait fait sienne cette peur, et ne tremblait plus seulement parce qu'il est agréable, quand il n'y a pas de danger, de s'effrayer et de se rassurer au coin du feu.

Je ne me sentais toutefois pas concerné. Julien précédait cette période de peur, l'annonçait sans doute par bien des aspects. Mais ce n'est pas ce que je désirais, explications, interprétations, en sonnant à sa porte. Originalité, certes, intérêt d'un sujet nouveau, ou plutôt nouvellement étudié, considéré, intérêt pour la politique, et pour ce que nous appelons l'analyse politique, c'est-à-dire la psychologie de ses acteurs. Julien était le parfait homme à portraiturer. Symptôme d'une époque et d'une société, ses remords, son impuissance, l'alliance des bons sentiments, d'une volonté qui pourrait être esquissée et qui n'est jamais que déclaration d'intention, actions inefficaces ou nuisibles, sens de l'histoire pourquoi pas, et démesure de l'histoire et de ce que nous pouvons faire devant elle. J'avoue, surtout, que je ne me sentais pas concerné par tout cela : manque d'intérêt pour les faits de société, pour ceux qui souffrent et que je ne connais pas, absence d'angoisse, de remords. La politique m'intéressait dans ce qu'elle a de moins politique : les portraits, les jeux, le calcul, les discours qu'elle amène à prononcer, la suite de salauds et de grands homme qu'elle déroule à nos yeux, de manœuvres florentines qu'on condamne et qu'on aime se faire, encore raconter.

Vous psychologisez, m'a-t-on dit. Où sont les macrostructures, les rapports de force, les réseaux, l'avancée dialectique des choses, où est le monde progressivement recouvert, et imparfaitement ? Il est aussi bien dans le destin de Julien Queuille.

178. PARTIE II. Avant notre rencontre (2).

Le **/**/**** volait la voiture de ***. Nous aimons les symboles. Nous nous rappelons de cette date. C'était un homme […] qui est-il ?

Oublions tout système de causes. Ce jour là, le monde dans lequel nous vivons change. Bien sûr, rien n'a bougé dans l'exactitude du monde, si ce n'est la manière dont nous l'appréhendons. Nous aimions nous faire peur. Les frissons menaient notre vie, et nos lectures, et les journaux, les frissons qu'ils faisaient naître, nos peaux parcourues. Nous étions sur le pont d'un bateau et ce qui se brisait plus bas nous menaçaient et nous grisaient de nous menacer. Ce jour est une angoisse nouvelle. Une question était posée, et plus clairement qu'avant. En posant les choses si simplement, nous étions plus ronflants, plus tonitruants, et regardions enfin, fût-ce au prétexte de vendre du papier, notre destin tragique. Ce n'étaient pas les morts à venir, les choix terribles qui faisaient qu'il était tragique, seulement notre impuissance.

La question était : « Que deviendrons-nous ? ».

177. PARTIE II. Avant notre rencontre (1).

C'était une seule et même conversation par toute la terre. Nous disions risque, escalade, montée, prolifération, menace, durcissement, radicalisation. Pour s'exprimer de manière moins feutrée : Noirs, Arabes et musulmans étaient dans la balance. Que pesions-nous ? Notre capacité à intégrer, non des personnes, mais des populations que nous n'avions pas prévu d'intégrer, dont nous nous désintéressions, qui avaient fait, en partie, le pays, et qui avaient surtout fait ce que nous ne désirions pas faire. Nous les avions désespérés. Ils s'écoutèrent et se firent plaisir, nous firent peur. Ce furent quarante années où le phénomène ne put être scruté, puisque chaque dimension du problème, analysée, même honnêtement, ne pouvait rien expliquer, niée et ridiculisée par n'importe quelle autre dimension, humaine, culturelle, ethnique, associative, cultuelle, sociale, policière, urbaine, scolaire. Le dialogue, lorsque personne ne veut écouter et ne veut que parler, ou ce qui nous illusionne si facilement et par quoi nous prétendons connaître le réel, la dialectique, n'est pas un dialogue et ne permit rien. Nous disions : intégration, assimilation, stigmatisation, racisme, antiracisme, quartiers, jeunes, voile, république, laïcité, clichés, essentialisme. Ou nous ne disions rien, puisque rien ne suivait les bonnes intentions. Suivaient des pactes, associations, mesures, Grenelle, plans, engagements, c'est-à-dire rien. Nous savions que le grand banditisme augmentait, et l'intégrisme religieux.

176. Sphères.

Le mouvement excède bien sûr ma naissance, de cinquante ans, et de cinq-cents ans pour les causes les plus évidemment attachées à ce problème. Que je m'inclue dans ce nous ne me fait pas partager la culpabilité d'ancêtres dont je ne connais pas même le nom, qui ne furent peut-être pas français. Mais, conséquence de ce monde, si typique de mon époque, si peu différent de mes contemporains, même sans décider, ni même agir, je suis le même que ce nous qui m'a précédé et qui m'entoure et qui, même lorsque de me désolidarise, si rarement de ses décisions, je les ai mille fois approuvées, même différemment, mille fois rendues inéluctables. Somme de conséquences, particule de cause, je dépend entièrement, non par mes besoins, mais par ce que je suis, d'un système que je chéris et approuve à chaque instant, contre lequel, parfois, modestement, en rougissant, je dit m'insurger. Et ma dénonciation n'est pas plus combattue qu'ignorée (ou prévue) : elle fait partie de la régulation de ce même système. Si bien que la plus fausse comme la plus malhonnête des positions serait, chaque semaine, après sept jours d'acquiescement et de profondes révérences, de penser déranger, insinuer son grain de sable dans les rouages. Le crissement du grain dans les rouages les fait d'autant mieux fonctionner. Les sphères ne contrôlent rien, mais tout est régulé. Dans le monde de l'achat et du débat, toute contradiction nourrit ce qu'elle attaque.

Pourquoi ce nous qui revient ?
Je ne me désolidarise jamais de la médiocrité.

175. JBR.

Son cœur ne put être sondé. Nous savons tous ce qu'il fit et par quels moyens il fut, douze ans, son pays. Il ne l'était pas comme son prédécesseur, qui était physiquement son pays, par les rues, avenues, par la capitale, qui portaient son nom, qui fit son pays par les centaines de maîtresses et les milliers d'enfants, par la Maison Acajou où il les amenait, qu'elles ne quittaient qu'au matin, par son nom et par son visage, par les poèmes à sa gloire, que chacun devait connaître, et que chacun récitait. Il le fut en coïncidant parfaitement avec ses aspirations : le besoin d'être fier, et de se dire que trente ans à se courber étaient nécessaires, était une marque d'honneur, et sa permanence, disait bien, lui qui l'avait soutenu trente ans durant, que le pays existait toujours, qu'on ne reniait rien, partant, qu'on pouvait être fier d'avoir connu et aimé la dictature. Il était aussi l'aspiration à autre chose, à la douceur d'un changement de régime, à la fin des tortures, aux relation normalisées avec les autres puissance : la fierté, la puissance qui ne se sépareraient plus de la dignité. Voilà pour ce qu'il était, ce qu'il fit, comment il le fit et pour quel résultat. Comment il nous apparaissait : l'adéquation parfaite entre ce que l'on attendait de lui et ce qu'il accomplissait. La médiocrité et l'efficacité absolues simultanées. Il n'aimait pas les femmes, ni les hommes, ni l'argent. Il buvait une bière par semaine, et quelques verres de vin. La nourriture ne lui était pas désagréable, ni les promenades. Il allait à l'Eglise, il n'est pas sur toutefois qu'il croyait. Il était la raison pour laquelle la dictature avait duré trente ans, la raison pour laquelle elle n'était plus. Par lui la transition démocratique fut possible, puis la démocratie. Puis le bipartisme et la stabilité de l'État. Il n'est pas sûr qu'il aima l'État, ni le pouvoir. Il ne l'utilisa pas, et ne fit rien que d'utile. Il fut tout-puissant quand il dut l'être, pourtant. Il rendit sa puissance dès que les crises étaient passaient. Son visage était disgracieux, sans attirer l'attention. On ne voyait que son ventre, et les costumes qu'il mit cinquante ans : olive, aux franges dorées.

Il est possible qu'une chose unique ait déterminé ce que fut le pays pendant cinquante ans : la satisfaction qu'éprouvait un homme quand le travail était bien, méticuleusement accompli.

dimanche 10 octobre 2010

174. Bataille. Dernier assaut.

Il était nuit. Il pensait à ce soir, quand il rentrerait, blessé, aux lampes éteintes, aux reproches de sa femme ou de sa mère. La main sur le front chaud, la veine qui bat. La ligne d'horizon n'était plus, le rouge, le jaune la piquaient et séparaient à présent la terre et le ciel. Il oubliait le froid. Les voitures fonçaient, s'agitaient. Qu'ils viennent : ils venaient. Il s'avançait pareillement. Vienne enfin le contact. C’était onze heures, et rien ne luisait comme les gants et les camions. Lune, lampadaires. Les protections doraient.

Sa main n’était plus à lui, il n’y avait que sa main, son poing dressé, son bras engourdi, le corps immobile dans l’assaut. Sa main moulinait et frappait, il se gardait à gauche, se gardait à droite. Il appelait la miséricorde. Il n’y avait de froid ni d’horizon pour les braves et les soldats, mais une tempe offerte, la poitrine que rien ne protégeait. Il vengeait l'ami et le frère. Il vengeait et ne tombait pas.

C'était le héros, le bras soudain négligent. Il mourait, avait froid. Il contemplait, pour la minute d'agonie, sa main, l'herbe grise, la nuit qui va au loin, tachée de jaune et de rouge.

C'était la défaite et bientôt la légende : son nom, et d'autres noms, prononcés par toute la terre, lus. Des douleurs pour ses ennemis. La légende qui naissait entre deux carcasses noires. Il y aurait un chant.

Comprenons-nous, à présent ?

173. Bataille.

Y a-t-il une vision pure de la délivrance ? Il y a sans doute celle des chiffres, il y a la vérité que donnent vingt-deux heures dix, minuit quarante, cent policiers, cinquante-six jeunes, trente-deux supplémentaires, vingt-deux morts, le désespoir de vingt mères, de cent amis, cinq heures à se considérer, pour Julien, onze heure, deux minutes, l'instant de la démission. Pourrait-on envisager minutieusement et même exactement cette nuit-là ? Les rapports l'ont fait. Les enquêtes, et ce qui permet aux hommes de séparer le juste et l'injuste. Nous savons tout des embusqués, ceux qui tenaient le siège et ceux qui attendaient puis lançaient l'assaut. Nous savons presque qui blessa qui, qui tua, et dans quelle mesure cette mort pouvait être comprise, tolérée même puisqu'il faut bien se défendre, cette autre plus difficile. Qu'est-ce qui explique vingt-deux morts ? Une part revient au hasard. Cherchons cependant d'autres causes que le hasard, le mouvement et la musique célestes.

C'était bien sûr une mauvaise évaluation des ennemis : les grands criminels existent sans doute. Ils n'étaient pas sortis cette nuit-là. Les rues et les cours étaient pleines, les ombres passaient sous les feuilles, les treilles métalliques, entre les voitures et les flammes. Les ombres étaient de jeunes gens désœuvrés. C'était des armes de guerre qui les recevaient, depuis si longtemps, et cette nuit-là, des pierres et des insultes. Armés de pierres, armés de bouteilles et de nique ta race, héroïques par ailleurs, volontaires, subtils, ils attendirent et reçurent les balles qui ne tuaient pas. Certains se relevèrent. Ce furent les marteaux et les matraques, les gaz et les mélanges, les pierres et les matraques, l'eau et la fumée, les roues enfin et, qui s'offraient aux roues, côtes et poumons. Des amis et des frères étaient étendus. Des doigts serraient plus fort, s'insinuaient aux angles des pierres, aux angles des bâtons, dans les creux et sur les arrêtes, les anneaux, les cercles, une arme irrégulière. Les doigts étaient marqués à présent, se tâchaient de rose. Des deux côtés, ce qu'ils avaient chanté si souvent, en y croyant peut-être, haine, rage, à quoi ils ne pensaient plus, c'était eux désormais. Les doigts où se prennent les armes. Les yeux qui ne défroncent plus, le visage douloureux, auquel on ne pense plus depuis longtemps. Les habits qui sont peut-être déchirés, auxquels on ne pense pas plus. Un monde, même dans la nuit, de couleur et de bruit, qui n'est plus perçu. Et la seule chose qui est maintenant considérée : l'ombre qui tremble, le renflement derrière le poteau, l'ombre qui porte trop loin, les massifs humains où se dissimule moins et plus qu'un homme : l'homme à tuer. Nous aimerions parler bataille : les troupes rangées, ce qui luit à mesure que la lune tourne, l'angle des parapets, les étendards ou d'autres étendards, rois, les maquis qui se soulèvent, tigres, éléphants, la lutte des croix et des lunes, le cheval dans la bataille, les hommes grands, le cœur qui éclate et qui rejoint le goudron. Un fracas honorable, l'horreur qui luit et les frissons.

Tout fut furtif. Les coups, les insultes lancées au loin, une grenade qui s'ouvre doucement et ne détonne pas. Les flammes s'élèvent, le silence. Des cris montaient parfois. Il y eut deux assauts et chacun fut bref. Il y eut un dernier assaut. Les balles fusaient sans bruit. Vingt-deux morts, dix-sept et cinq.

samedi 9 octobre 2010

Guerre civile.

Est-ce une guerre civile qu'une partie du pays déteste l'autre partie, et l'affronte par polices interposées ?

Médiocre.

La médiocrité cause le malheur du monde, sans doute. Elle est pourtant si terrible pour celui qui la perçoit, qui accable et s'insinue à la fois, qu'elle excuse beaucoup. On ne peut fournir l'absolution à qui ment, vole et tue. Ses souffrances, pourtant, expliquent ce qu'il est.

Tragique.

Notre monde était plus tragique. Ce n'était plus les guerres et les crimes qui le marquaient, seulement notre impuissance. Nous ne le savions pas, et étions d'autant plus impuissants.

172. Inquiet.

Il ne savait plus rien, sinon qu'il était triste et qu'il ne parvenait pas à pleurer. Il ne donnait pas de nom à ce sentiment : l'accablement des premières semaines était passé. Il ne se considérait plus comme un criminel. Il n'était pas innocent, toutefois, et parce que le châtiment n'était pas venu, que c'était l'oubli qui l'avait puni, qu'il n'avait à considérer que sa conscience, que son absence de cynisme d'une part, sa responsabilité entière d'autre part équilibraient les plateaux, que sa famille ni ses quelques intimes n'abordaient ces choses, il était seul et souffrait. Ou bien, il se demandait s'il souffrait, il ne souffrait plus et ne savait pas s'il devait se réjouir ou avoir honte, et souffrir encore. Ce n'étaient plus des douleurs mais de l'inquiétude. La violence s'était adoucie mais s'était par ailleurs compliquée. Elle disparaissait, des jours, et non le bonheur mais la tranquillité pouvait être envisagées. Le cœur était pressé de nouveau, par quelque angoisse qui avait un visage, qui revenait, un nom, une phrase, qui n'étaient pas plus accablants que d'autres êtres, d'autres mots, mais qui à cet instant, ne pouvaient plus être supportés. C'était l'angoisse, le vertige qui devient par moment une grande joie, immense. Des choses compliquées, inutiles qui n'avaient pas de valeur, qui ne s'enroulaient pas en un écheveau. Les causes de la douleurs s'étaient diffusées, n'avait rien de vif, partant, rien de saisissable et de compréhensible, rien ne pouvait être saisi ou dit « d'un coup », il fallait y revenir, se contredire enfin, saisir l'intuition d'un instant, qui était une banalité, ou, l'heure d'après, encore, des phrases embarrassées. Il se souvenait de ce qui le peinait, condensait ce qui, de toute part, fuyait et le peinait, trouvait une forme presque esthétique à ce qu'il était, maniait la douleur et l'expression de la douleur, pour ne rien gagner. Il renonçait sans toutefois renoncer, se perdait encore. Il se jugeait misérable tout en sachant qu'être misérable délivrait d'une chose : de la complexité. Malaises, joies, son malaise qui croissait encore, n'était plus. Il était inquiet, ce qui est une forme encore trop pure pour exprimer les mélancolies, les crises, l'instant où le cœur se vide et s'emplit d'un métal, froid, liquide, où marcher même est une grâce qui nous fait ressembler à Dieu, au matin.

Ironie.

L'ironie : nous connaissons notre misère. Nous pensons donc être moins misérables.
Entrons plus avant...

171. Cadre.

Je lui avais rappelé, non sans sourire, son premier article. Il sourit aussi, honteux sans doute, mais le sourire ne s'efface pas. La honte n'existe plus, et sa première fierté paraît, à peine cadre, les dîners, penser et ourdir, convoiter, se résigner jusqu'au soir, briller à ce dîner.

Les mots avaient roulé dans sa bouche. Alors que je lisais, c'est lui qui avait terminé la phrase. Il s'en souvenait encore. L'article était plus long, des chiffres et des propositions le concluaient. Le Premier ministres les avait lues. Et à un certain nombre de partisans, elles avaient plu. Ce n'était pas une conviction nouvelle, mais plutôt l'expression politique et littéraire d'un agacement. Il se souvenait encore de l'article, il n'était pas plus intelligent ou documenté que les articles qui paraissaient chaque jour, mais il avait séduit. Je ne sais pas s'il regrette d'avoir choisi entre une vie bourgeoise, être cadre, haut cadre, s'ennuyer une vie durant et sa vie : une vie de frisson, la réussite et l'opprobre, la honte et le remords à remâcher une vie durant.

C'était l'homme politique qui avait dit le plus clairement, et qui en parlait de la manière la plus obsessionnelle, que la République avait cessé de définir les êtres, et que l'appartenance à une communauté le faisait désormais. Julien n'était ni une femme, ni noir, ni arabe, ni homosexuel. Comme chaque personne appartenant à une majorité, il ne comprenait pas que des personnes oppressées puissent se définir par ce qui fait leur impression. C'était un égoïsme bien naturel, et généreux par moment de penser que l'homme ne se définit pas parce ce qui lui est imposé et qu'on lui rappelle chaque jour. Mâle, blanc, hétérosexuel, il était tout cela et ne s'y résignait pas. Il était ses études, l'État, la solitude ; l'amour, un peu ; une vie passée dans de vieilles rues, parmi de vieilles gens, que rien ne bouscule – sinon moi ; les tournesols, le café, les routes de nuit, le tabac blond, la fourrure au col des vestes, ce qui occupe nos conversations plus encore que le temps, la politique, la famille, donne une identité et comble un gouffre ; la viande rouge, Incrédulité de saint Thomas, des odeurs, le sucre aux doigts, des particularités qui ne le sont jamais ; plus encore, il était une grande délivrance, et toi Soleil, tout est grâce, prononcés lentement, le soir, dans les bus, qui, plus encore qu'un parfum ou une chanson, comblent et gonflent en nous, sont une chaleur puis notre souffle, croissent et touchent nos doigts, notre front, dérisoires – plus désirables pourtant que d'être mâle, blanc, hétérosexuel.

170. Secrétaire d'Etat.

Le roi superbe passait. Une volée de marches, les hauts plafonds, les fauteuils qui luisent et craque le cuir doré, marron, sous la dent et devient noir. Grande liesse pour celui qui va parler au parti et au pays. Il y avait de grandes glaces, le café se dédorait lentement. Il était populaire, surtout à la fin de l'année 20**, les cadres du parti apprenaient à le connaître, chaque intervention suscitait l'enthousiasme. L'enthousiasme naissait, je nous vois encore le contempler : les drapeaux levés, la salle s'était agrandie sous les vivats. Les mots vides de sens, mais qu'il nous fallait toutefois entendre, il les prononçait : peuple, gauche, État, justice et injustice, et quand la salle était mûre, nous ferons. Il n'apparaissait pourtant pas ambitieux. Il l'était, sans doute, mais ne donnait pas l'impression que presque tous donnent, que le monde peut basculer une fois qu'ils le possède. Par ailleurs, le discours finissant était toujours moyen. Des journalistes l'avaient noté, l'orateur n'était pas parfait. Il n'avait rien changé, et je sais pourquoi, je l'ai su bien plus tard, lors de nos discussions. Il ne s'agissait pas tant de rassurer, de montrer qu'un démagogue ne gagnerait pas l'élection ; il calmait le peuple qu'il avait chauffé : l'assentiment qui lui serait offert, il ne l'aurait pas arraché dans le rut. Les meilleurs effets ne devaient pas tout emporter. Une croyance l'emportait en lui : que la raison devait se manifester, au moment même ou elle ne se manifeste plus, lors des terrible instants qui ont précédé l'élection de chaque mauvais président, les j'y crois, je l'aime bien, qui inaugurent dix ou quinze ans d'incompétence, parfois de dangerosité. Il voulait que la responsabilité soit partagée entre celui qui a menti et ceux qui ont consenti au mensonge, et qui ne pourraient évoquer plus tard quelque trahison, reniement, parler engagements, promesses. Il tomberait, et nous qui l'avions voulu, plus que désiré, nous qui l'approuvions médiocre ou lorsqu'il brillait. Les plus sages haussaient les épaules, ceux qui disent il est comme tous les autres, qui ont raison, bien sûr, et qui, s'ils diffusaient leur langueur au monde, l'empêcherait de se tuer et de tourner.

169. Notre amitié.

Je ne vois ni Saône, ni sureau, ni même la truite que j'ai manquée, Julien tardant à prendre l'épuisette, le poisson disparaît dans le fleuve blanc, se dorant presque, l'incandescence paraît de nouveau. Pardon, nous irons au restaurant.

Ce midi, il était aussi une bière et une assiette de frites, une côte de bœuf, la sauce que le médecin n'autorisait pas. Nous revenions de la pêche, il n'avait pas plu. Qu'est-ce que notre amitié sinon la froide bière, la botte lavée, et nos tu crois, ah le salaud, tu te moques de moi.

168. Délivrance vue télé.

Et voici ce que vit la Nation : des vidéos prises par des téléphones portables. Les feux et les ombres qui courent entre les feux. Le surplomb que donnent trente étages, la nuit brune, les taches jaunes et rouges, l'auréole qui couvre ces taches et bientôt la nuit, qui, noire, brune, grésille et, laiteuse, attend encore d'autres ombres, et d'autres poursuites. Au matin, ce qu'elle voyait : les barres et les tours, laides, la surprise de voir qu'il y avait des plantes et des fleurs, que le matin et le soleil pénétraient jusque là. Pourtant, les images défilaient, et c'étaient à présent les sombres voitures, fondues, les sombres traces, le bitume qui a brûlé. Ce qu'elle entendit : la glose, par les journalistes, par les spécialistes, par ceux qui étaient là et qui virent, par ceux qui s'y attendaient. Les mots qui revenaient, un rythme, peut-être une mélodie, continue, sans saccade ni secousse, jeunes, banlieues, Islam, chômage, République, espoir, répression, réglé, organisé, chacun dit ce qu'il est prévu qu'il dise : familles, spécialiste, politiques de gauches, politiques de droite. C'était ce qu'elle entendait depuis vingt jours et depuis vingt ans.

Et voici ce qu'elle vit et entendit cette nuit-là : le soir d'abord, c'était les images de la veille. Les chaînes d'information, la nuit, montraient des images d'archives. Ce ne devait être qu'une nuit parmi d'autres. Puis vers deux heures quelques insomniaques apprirent que cette nuit pouvait être différente : que les flammes allaient plus haut, que les cris montaient, également, s'amplifiaient, que le calibre des balles tirées augmentait. Les rédactions, vers quatre heures, savaient que des choses importantes, entendons graves et faisant frémir, s'étaient déroulées. Les éditions du matin disaient, vers six heures, que l'armée était intervenue, qu'on était mort, cette nuit-là. Les chiffres variaient, augmentaient et dépassaient les douze morts de la nuit. Les journaux disaient Nuit de violence, Nuit sanglante, Plus de dix morts, Au bout de la nuit (personne ne pensa à Nuit de Chine, Nuit câline). Les spécialistes étaient dépêchés, dès six heures. Un seul programme était prévu, pour les heures à venir. Violence, morts, parmi les jeunes, parmi la police.

Le président de la République devait intervenir le soir. Julien Queuille parla dès onze heures, et parla moins de deux minutes.

Deux lignes mélodiques, pour toute la journée se mêleraient, bandeaux défilants, arrière-plan, images, vidéos, et derrière, la voix de Julien Queuille : la nuit et les morts, c'est une décision que j'ai pris seul, et j'offrirai ma seule démission.

Nous.

Nous (je n'étais pas né, j'appartiens toutefois à ce nous qui se résume si bien : soyons divertis et rassurés)....

vendredi 8 octobre 2010

167. Délivrance vue du ministère (III).

Je n'aimerais pas que l'on croie que cette soirée, et tout ce qui enveloppe cette soirée et cette nuit, les bureaux dorés du ministère, le vent qui fait jouer les rideaux, les hommes venus là, graves, les traits tirés par les veilles, ait été unique, et que ceux qui étaient là l'aient vécue comme telle. Ils ne pressaient pas le bouton qui commande à la puissance nucléaire. Ils n'envoyaient pas le feu du ciel, seulement l'armée. Ce n'était pas la première fois. Jamais, pourtant, le symbole et la puissance n'avaient été si utilement liés : c'était à la fois un signe de guerre civile et ce furent, quelques heures plus tard, dix morts. Ils ne pensaient pas être à l'origine (ou être la fin) de quoi que ce soit. C'était un moyen en vue d'une fin, une solution qui ne semblait pas radicale, que d'autres avaient envisagé.

Ils étaient cinq : Julien, le directeur de cabinet, un responsable de l'armée, un secrétaire, quelque autre chef. Ils étaient anxieux, mais ils l'étaient depuis dix jours. C'était l'angoisse et la colère – rien n'avait changé. La situation demandait, imposait. Un appel rapide lança le tout. Ils étaient informés.

Il était vingt-deux heures. X X X X X X X X X X X X X X X mourraient entre minuit et une heure du matin. L'idée d'origine, et par là-même de cause, est étrangère à ce travail. Je ne dirai pas ce qu'il se dit entre vingt-deux heures et l'heure à laquelle Julien pris sa décision : ce devait être quatre heures. Il y eut dix mort, cela suffit. Ils étaient plus accablés par ce qu'ils avaient fait que par ce que leur crime impliquait. Un miroir leur était tendu.

166. Délivrance vue du ministère (II).

Il était ministre. Il ne devait pas intervenir, c'est ce qu'il se dit les dix premiers jours. Le premier ministre parla. La nation se recueillait devant le poste depuis dix jours, et se faisait peur, n'osait ne demander si elle voulait que le feu cessât ou augmentât, sans oser se dire qu'elle désirait de plus grandes flambées, se désennuyer un peu. La nation avait tout de même un peu peur. C'est pourquoi il avait dû parler. Ces choses relèvent, disait-il, de Monsieur Queuille. Monsieur Queuille alors d'envoyer les diverses unités prévues lorsque les voitures brûlent. Les blessés ajoutèrent au feu. Il ajouta des unités aux unités. Associations et habitants dénonçaient l'escalade de la violence, les représailles, parlaient dialogue, cessez-le-feu, respect. Le respect était si partagé des deux côtés qu'on finit par être blessé et par mourir. Les trêves possiblement envisagées – entre militaires et moins qu'adolescents – furent oubliées. Les projets pareillement oubliés, assises des banlieues, Grenelle des banlieues, Plan Marshall des banlieues, cahiers de doléance des banlieues, et emploi, humiliations sociales, racisme ordinaire (largement partagé), urbanisme, etc. et tous les mots qu'il n'est pas vain toutefois de prononcer, chaque fois que la banlieue, brûlante, est sommée de se présenter à nous, bloc de mystère ou de trop grandes certitudes, comme un mal avec ses symptômes, dont l'origine peut-être, est trop peu (ou trop) connue, qui attend la médication.

Chacun voulait à présent, la classe politique unanime, habitants unanimes, la nation parlant d'une voix que cela cessât. Qu'une commission se charge et enregistre, qu'on programme, dialogue, prévoie, propose, promette. Mais ces feux dans la nuits, angoisses ou grandes joies, devaient être éteints.

Nous nous trouvons dans le bureau de Julien Queuille. Responsables convoqués, sous-ministres présents. Le président l'autorise à prendre les mesures qu'il jugera bonnes et utiles.

jeudi 7 octobre 2010

165. Délivrance vue du ministère (I).

Puisque nous devons expliquer ce qui c'est passé cette nuit-là, puisque nous pensons que le phénomène porte en lui son explication, puisque nous y voyons même ses causes, voici la délivrance. La souffrance porte de nombreux noms : ils les a tous prononcés, chacun lui permettait, pensait-il, de se comprendre, et bientôt d'aller mieux : inquiétude, remords, impuissance.

*****

Le pays, disait-on, allait mieux. Il est vrai que ce qu'il y a de courbes, de barres et de taux était réjouissant. Les mots qui guident nos vies, mais de manière si oblique, sans que nous sachions si la nouvelle d'un changement nous concernait, ou le changement lui-même, les mots étaient tous prononcés : croissance, chômage, commerce extérieur. Depuis quelques années, on parlait relocalisation, et chacun s'enthousiasmait. Le gouvernement, en place depuis deux ans, était félicité. Certains se demandaient s'il était vraiment à l'origine du phénomène ou s'il profitait de circonstances et d'une situation qu'il ne maîtrisait évidemment pas.

Si les Français profitaient de cette embellie Daumas (c'était son nom officiel) de l'annonce et de représentation d'une promesse d'embellie, dont Daumas n'était sans doute pas l'origine, en dépit d'efforts sincères, ils n'en profitaient pas de manière égale. Disons-le, les Français aux noms étrangers, aux peaux sombres, ne voyaient pas de changement (pas moins que les autres, mais il n'y avait pas de promesses de taux, de barres, de parts). La faim ni le froid ne tuaient en France, seulement, on y était humilié. On y brûlait un peu, aussi. Régulièrement voitures et commissariats et écoles brûlaient. Il y avait bien des raisons, l'humiliation sociale bien sûr, des raisons culturelles étaient avancées, la faillite de l'État, une qui ne fut pas évoquée, l'impossibilité d'exprimer une idée simple avec une phrase simple. Certains évoquent une révolte de la misère, d'autres, de l'opulence.

Reste que brûlaient voitures, écoles. Les policiers arrivaient. Des coups étaient échangés. On promettait davantage de sévérité et, en subtils dialecticiens, davantage d'espérance. Le premier prétexte faisait brûler voitures, écoles. Des plans étaient prévus.

Pour des raisons qui furent toutes évoquées, les mêmes, d'autres, de nouvelles et d'ingénieuses, de scandalisées, qui s'excluaient ou, dialectiquement se mêlaient, les feux s'allumaient de nouveau. Nous étions le **/**/****. L'horizon noir s'allumait de rouge et d'orange depuis maintenant un mois. Julien était ministre de l'intérieur.

164. Jean-Baptiste Nô.

Il avait alors tout ce que l'on demande à quelqu'un dont la peau et les traits (on eût dit naguère la race) diffèrent des nôtres : l'extrême appartenance à ce (insérer le mot qui n'est pas polémique), le visage marqué, extrêmement, les yeux tirés, la peau olive, les cheveux ras et noirs. Que ses grands parents viennent en France, essaient de s'y fondre, que ses parents y excellent et qu'il réussisse plus encore n'avait aucunement, par quelque impression ou sentiment devenu physiologique, modifié ce qu'il était, beau sans doute, très beau, mais jusqu'à la caricature, olive, yeux tirés et allongés, traits fins et féminins, cuisinier japonais, tueur japonais, homme d'affaire japonais.

Ce qui fit son succès était pourtant qu'il ne savait rien du Japon : le riz, le Mont Fuji, les pétales de cerisiers, de pruniers, les statues se levant dans la brume. Le nom venait bien sûr de Molière. Enfance banale, adolescence banale, quelques brillantes études, le passage du jean aux costumes, aux minces cravates nouées et coûteuses, le verbe sans accent aucun, la syntaxe raisonnablement respectée, des positions qui n'allaient pas avec la caricature du Japonais que chacun attendait, travail, technologie, respect, scrupules, minutie. Il était certes, de droite, et pensait, famille, efficacité économique, travail, mais par des prises de positions inattendues, libéral pour ce qui concerne les mœurs, protectionniste, social parfois, surprenait, non qu'un Japonais ne puisse penser ainsi. Plutôt, il ne correspondait pas à ce que nous attendions de lui, nous le découvrions français, républicain, social, ce qu'il fallait pour être enthousiaste, et lui, mince, droit et dur, élégant et recherché, sa sublime femme, blanche et d'Alsace, à ses côté. C'était ce que nous désirions : la diversité française devenue française, un visage nouveau pour la France, la jeunesse et la compétence, l'expérience mince mais qui mûrira, l'alliance du pragmatisme économique et du respect de la dignité humaine, douze pour cents virgule trois aux élections. Il parla beaucoup, fonda un mouvement au sigle intéressant, devint peut-être ministre et n'exista plus.

Première phrase.

Ce ne sera pas un livre de souvenirs, la chronique enlevée ou spirituelle des cinquante dernières années.

J'ai connu (cf. précédent). Mais très court. 3 lignes.

Voici ce qui l'a guidé (tout le post).

mercredi 6 octobre 2010

163. Fin préface (II).

Voici quelques princes. J'ai aimé ces princes dont il me parla si souvent. Je ne pense pas qu'ils furent si bons qu'ils le dirent, si disponibles à la caricature et au portrait acide, si symptomatiques du désastre que je le laisserai parfois entendre. Voici quelques princes, donc. Leur destin, leur utilité, ce que j'ai appris sur eux.

Je sacrifierai beaucoup (dont l'explication et les causes, que ce livre dit rechercher) au plaisir de venger Julien et de pourfendre les médiocres.

Ce n'est plus l'inévitable recueil de mémoires, souvenirs spirituels puis acides. Je ne sais ce que cela sera : tableau d'époque, inévitable livre de justification, petite chose enlevée ou boursouflée, recueil, morceaux mal rapetassés.

162. Fin préface (I).

On voudrait que la vérité nous fût révélée par des signes nouveaux, non par une phrase pareille à celles qu’on s’était dites tant de fois.

Sonder et révéler un cœur, chercher la vérité, du moins sa forme dégradé, la seule peut-être qui nous soit accessible, l'exactitude, s'accorde mal avec ce qui suit, si inutilement compliqué. Tout ce que je sacrifie aux phrases, au ronron, au plaisir orgueilleux de s'écouter, dont je parlerai, plus tard. Julien s'écouta, s'admira et fut, par bien des aspects, criminel. Tout ce qu'on hésite à attribuer au désordre, ou à la subtilité, qui nous coûte tant, ces phrases qui ne sont pas nouvelles, qui prétendent l'être, à quoi me serviront-elles ? Ai-je été son ami pour écrire cela ?

Malheureusement, la vérité ne se délivre pas d'un coup, en une dizaine de pages lumineuses et évidentes. Les phrases que nous entendons et que nous nous disons si souvent nous dispensent des vérités simples, ce sont des vérités simples que l'on cherche : elles nous sont pourtant inutiles. Serai-ce cette banalité que j'ai cherchée pendant vingt ans ? Rien ne nous sera révélé. Ce n'est pas là un évangile.

Je ne dis pas toutefois qu'elle vient des méandres. Elle ne sera pas lue dans telle métaphore, telle inutilité syntaxique, un paragraphe qui se contredit, une phrase qui ne finit pas.

Il y aura des pages inutiles, bêtement retorses, une bonne foi constante.

J'espère qu'on y trouvera de quoi se nourrir. Il me faut moins le pardonner que l'expliquer.